
L’amour et l’amitié
Publié le mercredi 25 juin 2025 FRANCE CULTURE
Ce matin, Guillaume Erner évoque la correspondance de Vladimir Jankélévitch avec un ami de longue date, Louis Beauduc. Une correspondance disponible aux éditions Frémeaux et Associés, qui dévoile une ode à l’amitié.
Ce n’est pas dans l’actualité, mais c’est peut-être dans votre actualité – je veux dire : votre actualité personnelle. Et puis cela rassemble deux choses : la une du Parisien d’aujourd’hui, et un livre que j’ai reçu et dont je voulais vous parler.
La une du Parisien évoque le divorce facile, le piège du divorce en ligne. Divorcer en trois clics ? Il paraît que ça ne marche pas, ou que ça marche mal. Ça, c’est l’échec de l’amour, disons.
Mais à côté de l’échec de l’amour, j’ai reçu une merveilleuse ode à l’amitié : l’amitié fantastique de deux étudiants, Louis Beauduc et Vladimir Jankélévitch.
Ils sont tous les deux de la même année, 1903. Ils se rencontrent en étudiant la philosophie. Le premier deviendra professeur à Limoges, le second professeur à la Sorbonne. Leur première lettre date de 1923, et cette correspondance va se poursuivre jusqu’en 1980, date à laquelle Louis Beauduc décède. Et je ne doute pas que pendant les cinq années qui lui restèrent à vivre, Jankélévitch continua à écrire à Beauduc.
137 lettres que Jankélévitch envoya à Beauduc. 137 lettres qui témoignent de ce que Jankélévitch a traversé : la guerre, la persécution, la faim, la dèche. Jankélévitch tirant le diable par la queue : il est juif, il ne peut pas enseigner. Son camarade Beauduc l’aide à subsister, à coups de copies corrigées. Jankélévitch travaille, aime, pense, peste aussi contre ce monde universitaire incroyablement petit, ce monde universitaire qui n’a pas levé la tête quand il fut révoqué parce que juif.
Comme il l’écrit – et on a envie de le dire à ceux qui le mécomprennent : « Vous comprendrez peut-être un jour, vous comprendrez plus tard, et que l’opportunité unique ne soit pas perdue pour jamais. »
L’amitié qui permet tout, qui permet de relier sans distinction de pensée, de philosophie, d’inclinaison : l’un aime la musique, l’autre les échecs, l’un est parisien, l’autre limougeaud. Et pourtant, ils ne se quitteront jamais.
Et ils nous laissent mieux qu’un héritage : un testament. Autrement dit, des mots – à lire et à relire.
Comme le disait Jankélévitch : « Mon père n’est pas dans le cimetière où il est enterré. Il est à sa table de travail, dans le livre qu’il m’a laissé, et dans la pensée qu’il m’a léguée. »
Une vie en toutes lettres, c’est la correspondance de Jankélévitch, édition de Françoise Schwab, chez Frémeaux et associés.