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APRÈS LA GAUCHE DES COMMUNAUTÉS ET MINORITÉS, UNE NOUVELLE GAUCHE ? « SOCIÉTALE » ?

L’ÉCHEC DE LA GAUCHE DE TERRA NOVA DE 2012

« L’étude se veut l’anti-Terra Nova. En 2011, la note « Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ? » faisait date en préconisant à la gauche d’abandonner la classe ouvrière, jugée acquise à une vision du monde trop conservatrice, pour lui préférer la constitution d’un électorat fait de « minorités » additionnées : jeunes, femmes, immigrés. « VOIR ARTICLES CI CONTRE

L’IMPASSE DE L’ÉLECTORALISME SANS PROGRAMME, VISANT IMMIGRÉS, MINORITÉS, MARGINALITÉS …

« Quatorze ans plus tard, le passionnant rapport de la Fondation Jean-Jaurès sonne comme une réponse de fond, instruite des changements à l’œuvre dans les gauches européennes. ». VOIR ARTICLES CI CONTRE

1. ARTICLE – Une troisième gauche émerge-t-elle en Europe ? Le rapport qui lance le débat

Entretien  Immigration, sécurité, justice sociale… Dans un rapport s’appuyant sur des expériences européennes, la Fondation Jean-Jaurès esquisse les contours d’une nouvelle gauche : plus dure aux frontières, plus offensive sur le partage des richesses. De quoi susciter le débat.

Propos recueillis par  Matthieu Aron NOUVEL OBS Publié le 25 juin 2025

Face aux populistes d’extrême droite qui ont le vent en poupe, la gauche européenne traverse une crise profonde. Mais, derrière le recul électoral et la fragmentation idéologique, une dynamique nouvelle est-elle en train d’émerger ? Dans un rapport publié par la Fondation Jean-Jaurès, Renaud Large, expert associé, analyse ces recompositions. Au Danemark, sous l’impulsion de la Première ministre, Mette Frederiksen, en Suède avec le recentrage des sociaux-démocrates, au Royaume-Uni à travers la stratégie du travailliste Keir Starmer, se dessine une « troisième gauche » post-sociétale. Elle conjugue contrôle des flux migratoires, souveraineté démocratique et reconquête des classes populaires autour de la justice sociale.

La réflexion engagée par la Fondation Jean-Jaurès prend le contrepied du célèbre rapport  de Terra Nova en 2011, qui avait théorisé le recentrage des gauches occidentales sur les « nouvelles classes moyennes », les diplômés et les minorités urbaines. Là où le think tank proposait une adaptation aux mutations sociologiques des électorats, la Fondation Jean-Jaurès estime qu’il faudrait revisiter le cœur du pacte social-démocrate …

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2. ARTICLE – Renaud Large : « En France, la gauche a perdu le sens de l’effort intellectuel et s’est réfugiée dans des postures »

Propos recueillis par  Hadrien Mathoux Publié le 12/07/2025 MARIANNE

Expert associé à la Fondation Jean-Jaurès et coordinateur de l’enquête « La troisième gauche », parue le 26 juin, Renaud Large détaille à « Marianne » les contours de cette nouvelle gauche européenne et de son « tournant post-sociétal ».

L’étude se veut l’anti-Terra Nova. En 2011, la note « Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ? » faisait date en préconisant à la gauche d’abandonner la classe ouvrière, jugée acquise à une vision du monde trop conservatrice, pour lui préférer la constitution d’un électorat fait de « minorités » additionnées : jeunes, femmes, immigrés. Quatorze ans plus tard, le passionnant rapport de la Fondation Jean-Jaurès sonne comme une réponse de fond, instruite des changements à l’œuvre dans les gauches européennes.

Marianne : D’où est venue l’idée de cette vaste étude sur la gauche européenne ?

Renaud Large : Nous sommes partis d’un constat de fond : entre 2013 et 2023, le nombre de gouvernements de gauche a été divisé par deux. La dynamique électorale et politique se situe plutôt dans la droite conservatrice et l’extrême droite. Entre le début du XXIe siècle et le mitan des années 2010, la gauche était encore prescriptrice ; elle a connu de grandes périodes de transformation idéologique. La troisième voie de Tony Blair et de Gerhard Schröder, puis l’altermondialisme porté par le mouvement Attac, enfin le populisme de gauche (Podemos, Syriza, LFI) face à la crise des dettes souveraines… autant d’efforts de doctrine pour répondre aux défis posés par la mondialisation, et qui ont conduit à des victoires électorales.

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3. ENTRETIEN – Une seule solution : la troisième gauche

ENTRETIEN AVEC RENAUD LARGE par Laurent Joffrin LE JOURNAL INFO

Expert à la Fondation Jean Jaurès, Renaud Large a coordonné pendant six mois une étude sur la gauche européenne (1). Pour lui, la gauche française, coupée des classes populaires, sortira de l’Histoire si elle ne lance pas une profonde mutation doctrinale, notamment sur la question de l’immigration.

LeJournal.info – Selon vous, une « troisième gauche » émerge en Europe. Comment la définir ?

Renaud Large – C’est une gauche qui réaffirme son ambition sociale et écologique mais qui est plus ferme en matière de sécurité publique et d’immigration.

Une gauche plus à droite ?

Non. C’est une gauche qui veut la transformation sociale, mais qui tourne le dos aux dérives identitaires. Elle est universaliste, égalitaire, attachée à la mutation écologique mais aussi au respect de la loi, à la souveraineté populaire et à la défense de l’État-providence. Si l’on utilise les catégories de la politique française, elle reprend à la première gauche la nécessité de l’intervention publique et de la souveraineté aux frontières, et à la deuxième une démarche mutualiste et coopérative, en matière d’écologie notamment. En se référant à la gauche française, on pourrait dire qu’elle cherche une synthèse entre Chevènement et Rocard. C’est en ce sens que nous l’avons qualifiée de gauche post-sociétale, ou post-identitaire.

Dans quels pays la voit-on à l’œuvre ?

Elle est au pouvoir au Danemark et en Grande-Bretagne. Au Danemark, la première ministre Mette Frederiksen, qui vient de la gauche du parti social-démocrate, mène une politique sociale très à gauche, qu’elle combine avec une grande fermeté aux frontières et une politique d’intégration très volontaire. En Grande-Bretagne, Keir Starmer, qui a remporté une victoire écrasante grâce au rejet des conservateurs, estime que pour durer, il doit satisfaire les demandes des classes populaires : plus d’égalité et de protection sociale, mais aussi une meilleure sécurité et une régulation plus ferme de l’immigration, alliée à une politique d’intégration destinée à éviter la partition communautaire qui menace le pays.

Vous partez d’un constat : la gauche européenne est en recul constant…

La gauche européenne gouverne dans trois pays, le Danemark, la Grande-Bretagne et l’Espagne. Partout ailleurs, elle est minoritaire et rejetée dans l’opposition. Au tournant du siècle, elle gouvernait la moitié des nations d’Europe. Mais comme elle n’a pas renouvelé sa doctrine et ses méthodes, elle court maintenant le risque d’une marginalisation, voire d’une disparition.

Comment expliquer ce déclin général ?

La gauche européenne s’est coupée des classes populaires, qui ont subi au premier chef les effets négatifs de la mondialisation. Elle représente désormais les classes diplômées des centres villes, alors que sa vocation historique et première est d’exprimer les aspirations des plus défavorisés.

Elle n’a pas cherché à réagir ?

Si. Elle a d’abord cherché à s’adapter aux principes de la mondialisation des années 1990. Tony Blair en Grande-Bretagne, Gerhard Schroeder en Allemagne, Dominique Strauss-Kahn en France, ont incarné une « troisième voie », qui a consisté à favoriser la libéralisation de l’économie tout en préservant l’État-providence. C’était une réponse étayée par un cadre théorique solide, exprimé notamment par l’universitaire Anthony Giddens, qui a inspiré en grande partie l’expérience blairiste. Ces leaders ont obtenu des résultats en matière d’emploi, de croissance et de modernisation de la société. Mais l’ouverture économique et culturelle, qui était l’autre versant de leur projet, a laissé de côté les classes populaires. Celles-ci se sont senties abandonnées et se sont progressivement tournées vers les partis nationalistes, qui ne cessent de progresser depuis. Le Brexit a été voté, les extrêmes-droites sont fortes dans presque tous les pays, elles gouvernent en Hongrie, en Italie, aux Pays-Bas et jouent un rôle important en France, en Autriche, en Allemagne, en Grèce ou en Espagne.

Une gauche plus radicale a aussi émergé…

La deuxième réponse s’est manifestée avec la montée en puissance de l’altermondialisme, qui a essaimé partout dans le monde, qui a entraîné derrière lui de grandes forces militantes, mais qui n’a pas su se développer sur le plan électoral. Puis on a assisté à la naissance d’un populisme de gauche qui s’est traduit par les succès de Podemos en Espagne, de Syriza en Grèce et de la France insoumise en France. Ces mouvements ont théorisé l’opposition entre un peuple frappé par les effets de la mondialisation et une mince élite qui en tire avantage. Ils ont fait un réel effort doctrinal, à la différence de la gauche traditionnelle qui en est restée aux schémas anciens, qui n’a pas su répondre aux différentes crises européennes, la crise migratoire, la crise climatique dont Greta Thunberg a été la porte-parole, ou la crise des « périphéries », rurales ou péri-urbaines, comme celle les gilets jaunes en France. Cette gauche immobile risque maintenant de sortir de l’histoire.

Mais la gauche radicale n’a pas convaincu les classes populaires…

Non, ou trop peu en tout cas. La division diagnostiquée par David Goodhart entre les « somewhere » et les « anywhere », ceux qui sont enracinés dans leur territoire et leurs traditions et ceux qui vivent bien dans la mondialisation, a laissé les gauches impuissantes. C’est l’extrême-droite qui en a bénéficié.

Pourquoi ?

Parce que les gauches ont négligé les questions de sécurité et d’immigration et parce qu’elles ont souvent donné le sentiment de ne représenter que des minorités.

En quoi cette « troisième gauche » répond-elle mieux aux aspirations populaires ?

Parce qu’elle met en avant trois thèmes principaux : la dignité du travail, ce qui comprend le pouvoir d’achat, mais aussi le sens du travail et la défense de la protection sociale ; la mutation écologique prise sous un angle populaire et coopératif, et enfin les questions dites régaliennes sur la sécurité et la maîtrise de l’immigration.

Sur ce troisième point, certains reprochent à cette gauche de courir après l’extrême-droite…

Ils se trompent. L’extrême-droite se fonde sur des préjugés ethno-différentialistes, en fait sur une forme de xénophobie, quand il ne s’agit pas de racisme. À l’inverse, ce que disent Keir Starmer ou Mette Frederiksen, c’est qu’on ne peut avoir une politique d’immigration décente sans intégrer dignement les immigrés. Or cette intégration passe principalement par le monde du travail. Il ne s’agit, en aucune manière, de fermer les frontières, mais d’instaurer une régulation qui permette aux nouveaux arrivants de s’insérer dans le monde du travail. La politique migratoire doit être organisée de telle manière qu’elle préserve la cohésion du monde du travail. L’accueil n’est possible que si les nouveaux arrivant y trouvent leur place.

Est-ce conforme aux valeurs historiques de la gauche ?

Oui. Contrairement à ce qu’on pense souvent, cette idée est classique à gauche. On la trouve chez Karl Marx, mais aussi chez Jaurès ou encore au sein de la CGT du 20ème siècle. C’est le thème de « l’armée de réserve du capital ». L’immigration inconditionnelle est une idée patronale, qui consiste à augmenter le nombre des travailleurs pour réduire les salaires et les droits sociaux. Tout au long du siècle dernier, on retrouve cette préoccupation dans les congrès de la CGT. En un mot, si on accueille, on accueille bien. L’idée d’ouverture totale des frontières est une idée patronale, libérale, qui facilite l’afflux de travailleurs qui seront par définition moins syndiqués et moins payés. Le parti social-démocrate danois a effectué un long travail sur le sujet en reprenant la genèse de ses débats internes. Dès les années 1980, plusieurs élus de la banlieue de Copenhague avait déjà tiré la sonnette d’alarme en expliquant que l’arrivée d’immigrés qui n’intégraient pas le monde du travail aboutissait à la constitution de ghettos ethniques dans ces banlieues et offraient à l’extrême-droite un thème de propagande tout trouvé. Mette Frederiksen et plusieurs intellectuels du parti ont fait ce travail de recherche critique, ce qui a donné une base intellectuelle à leur politique.

Quel est le poids électoral de cette troisième gauche ?

Outre les deux pays où elle gouverne, la Grande-Bretagne et le Danemark, on observe aussi la même évolution en Suède. Le Parti social-démocrate suédois a perdu le pouvoir sur le thème de l’immigration. Il essaie d’en tirer les leçons. Le travail est mené par Lawen Redar, qui est une élue d’origine kurde située à la gauche du parti. Avec d’autres, elle a convaincu son parti de modifier ses vues sur ces questions et, presque mécaniquement, les sociaux-démocrates sont remontés à 35% dans toutes les enquêtes d’opinion. En Allemagne, le SPD est en train d’évoluer dans la même direction.

Cette mutation présente un risque électoral : perdre les soutiens actuels de la gauche, au sein des classes diplômées notamment, sans rien gagner auprès des classes populaires, qui restent influencées par les nationaux-populistes… Tout à fait. Les mutations politiques de ce genre sont risquées. C’est un long travail sur le plan doctrinal. En France, il est à peine amorcé. Mais ce qui est clair, c’est que la gauche ne s’en sortira pas sans affronter ces questions. Sans évolution doctrinale, nous sommes sûrs que la chute va continuer.

(1) La « Troisième Gauche », enquête sur le tournant post sociétal de la gauche européenne. Fondation Jean Jaurès Éditions.

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