Aller au contenu principal

JUSTICE ET EFFICIENCE : EST-IL IMPOSSIBLE DE RÉFORMER UN SYSTÈME FERMÉ ET ANKYLOSÉ ?

1. ARTICLE – Réforme du système judiciaire : « La résurrection des peines planchers priverait les juges d’une partie de leur pouvoir »

Dany CohenAvocat, professeur de droit privéDominique Luciani-MienMaître de conférences en droit pénal  – LE MONDE 27 07 25

Le projet porté par Gérald Darmanin contient des mesures qui rabotent l’indépendance de la justice, soutiennent, dans une tribune au « Monde », les juristes Dany Cohen et Dominique Luciani-Mien.

Dans une lettre adressée aux magistrats, le nouveau garde des sceaux propose d’engager « immédiatement » une concertation en vue de créer une procédure de plaider coupable en matière criminelle, mais aussi de rétablir les peines planchers qui avaient existé entre 2007 et 2014, pudiquement appelées ici « seuils minimaux ».

A cela s’ajoutent diverses propositions, manifestement destinées à faire le « buzz », dont le fait de faire payer les frais de l’enquête au condamné. On ne s’intéressera ici qu’aux deux premières, qui rabotent l’indépendance de la justice.

Une des premières lois du quinquennat Sarkozy (du 10 août 2007, renforçant la lutte contre la récidive) avait interdit au juge de descendre au-dessous d’un certain montant de peine, sauf s’il prenait le soin de motiver spécialement sa décision – sachant qu’en pratique, ployant sous les dossiers, il n’en a guère le temps.

Lire aussi |  Benjamin Fiorini, juriste : « L’institution d’un plaider-coupable en matière criminelle serait catastrophique »

Une loi du 14 mars 2011 (d’orientation et de programmation pour le renforcement de la sécurité intérieure [Loppsi 2], le mot justice n’y figurant même pas) est allée encore plus loin, en permettant d’appliquer ces peines planchers en l’absence même de récidive. Ce système n’a pas montré son efficacité (aucune baisse de la récidive ne fut observée) et fut après étude abandonné par une loi du 15 août 2014. Il a seulement fait augmenter la durée moyenne d’emprisonnement, aggravant ainsi l’engorgement des prisons.

Comme dans maints Etats des Etats-Unis

La leçon de l’expérience n’a manifestement pas porté, puisque M. Darmanin propose de les rétablir, y compris en l’absence de récidive et cette fois plus seulement pour les infractions les plus graves, mais aussi pour la délinquance du quotidien.

Si elle se combinait avec la proposition de loi déposée par M. Attal (qui tendrait à n’appliquer qu’à titre exceptionnel l’excuse de minorité, laquelle permet une peine moins lourde pour les mineurs de 16 à 18 ans), cette résurrection des peines planchers pourrait donc frapper des adolescents. En pratique, le gouvernement propose de priver les juges d’une partie centrale de leur pouvoir : la loi déciderait à leur place, comme dans maints Etats des Etats-Unis. C’est inquiétant sur le plan des principes, puisque l’article 66 de la Constitution fait du juge judiciaire le gardien de la liberté individuelle.

…/…

2. ARTICLE – « On va dans le mur » : Le projet de « big bang » judiciaire de Darmanin critiqué par les magistrats

Les 10 mesures de Gérald Darmanin pour réformer le système judiciaire sont loin de répondre aux attentes des professionnels qui déplorent de ne pas être écoutés.

Par Jade Toussay Huffingtonpost 29 07 25

Dix mesures et presque autant de critiques. Le projet de réforme pénale porté par le Garde des Sceaux Gérald Darmanin est très loin de convaincre la profession. Laquelle réclame, par la voix des syndicats, davantage de « moyens » plutôt que des mesures à l’efficacité questionnée.

« Il n’y a jamais eu autant de peines de prison » et pourtant « une peine sur deux n’est jamais effectuée parce qu’elle est aménagée directement après le prononcé du tribunal », a déclaré le ministre de la justice en présentant son projet de loi à la presse le 28 juillet. « Les juges ne sont pas laxistes, mais le système l’est devenu », a-t-il affirmé.

Pour y remédier, Gérald Darmanin a présenté un paquet de dix mesures parmi lesquelles le rétablissement des peines de moins d’un mois d’emprisonnement ferme, le sursis réservé uniquement aux personnes sans casier judiciaire, l’extension de la procédure de plaider-coupable ou encore la multiplication et l’extension des compétences des cours criminelles départementales (les CDC) afin qu’elles puissent aussi juger en appel et en cas de récidive.

« Cette justice-là, on n’en parle jamais »

Retour de flammes dès le lendemain. En marge d’un déplacement au tribunal de Nanterre, une avocate du barreau des Hauts-de-Seine a laissé éclater sa colère devant la presse, dénonçant le manque de moyens pour répondre aux vrais problèmes de la justice. « On est tous au bout du rouleau, qu’il s’agisse des greffiers, des magistrats… Quand des gens viennent nous faire des sujets de niche sur le narcotrafic… La réalité de la justice, ce n’est pas celle-ci. C’est nous, à la commission d’office, avec des personnes qui ne sont pas des narcotrafiquants ni des mafieux. Cette justice-là, on n’en parle jamais », a-t-elle tonné devant les caméras.

L’accueil est tout aussi froid du côté des syndicats de magistrats. « La philosophie de cette réforme est d’aller plus loin dans le tout carcéral », a commenté auprès de l’AFP Justine Probst, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche), sceptique sur la capacité de cette réforme à enrayer la surpopulation carcérale. Même son de cloche chez l’Union syndicale des magistrats (USM). « Est-ce qu’il y a un intérêt aujourd’hui à refaire une énième réforme sur une matière complexe qui n’arrête de changer ? Nous n’en sommes pas certains », cingle au micro de RTL Alexandra Vaillant, la secrétaire générale qui déplore que le projet de loi « parte sous l’angle (d’une) justice trop laxiste. »

« Ligne rouge » sur le plaider-coupable

Si elle partage le constat du Garde des Sceaux sur les délais de traitement judiciaire trop longs, la représentante syndicale estime que le manque d’effectifs en est la véritable cause. « C’est la conséquence de 30 ans d’abandon de la justice par les pouvoirs publics, ni plus ni moins », a-t-elle insisté, avant de balayer la majorité des mesures souhaitées par Gérald Darmanin.

Le retour des peines de moins d’un mois ? « Un choix politique » sur lequel « il n’existe pas aujourd’hui de consensus scientifique et sociologique sur l’efficacité des courtes peines. » Le sursis limité aux primo-délinquants ? « Nous ne sommes pas persuadés que changer actuellement les règles du sursis simple contribue à améliorer la confiance des Français pour leur justice. »

Mais la « ligne rouge » du premier syndicat de la magistrature porte sur l’extension du principe de plaider-coupable. Aujourd’hui possible pour certains délits, le projet de loi propose de l’appliquer aussi aux crimes, à condition que la victime soit d’accord. Cette procédure permet d’éviter un procès mais elle se fait souvent au détriment de la victime dont « la place est extrêmement réduite » puisque les échanges ont lieu entre le parquet, le juge, la personne poursuivie et son avocat, souligne Alexandra Vaillant.

« Il y a quelques mois, le procureur général de la cour de cassation rappelait que nous allons dans le mur parce que les dernières réformes faites en matière criminelle l’ont été contre l’avis de tous les professionnels et à moyens constants. Aujourd’hui nous n’avons plus les moyens d’audiencer rapidement et c’est pour ça qu’on est au pied du mur. On se dit que peut-être on va devoir créer cette procédure, qui a priori n’est pas demandée par la majorité des professionnels du droit », conclut-elle.

Le projet de loi doit être présenté en Conseil des ministres d’ici cet automne, après avis du Conseil d’État. Face aux critiques, Gérald Darmanin a assuré se battre pour obtenir davantage » de moyens, à l’issue de sa visite à Nanterre. « Avec le ministère des Armées, nous sommes les deux seuls ministères à connaître non seulement nos lois de programmation à l’euro près », et pour le ministère de la Justice à avoir obtenu « 200 millions d’euros de plus, mais surtout 1 600 effectifs supplémentaires », a observé le ministre. Visiblement insuffisant pour les professionnels.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.