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GÉNÉRATIONS, X, Y, Z … QUELLES SPÉCIFICITÉS VÉRITABLES ?

ARTICLE – Dominique Méda : « Il y a parfois plus de différences dans une génération que les générations entre elles »

Par Léa Lucas Le 28 juillet 2025 COURRIER CADRES

La Gen Z fait ses premiers pas dans le monde du travail et représentera 30 % des actifs d’ici à 2030 en France. Un véritable défi pour les entreprises qui doivent cerner leurs attentes pour les attirer et les fidéliser. Mais, pour cela, il s’agit de ne pas tomber dans les clichés ! Éclairage de Dominique Méda, professeure de sociologie à l’Université Paris Dauphine-PSL, autrice du livre Une société désirable (Flammarion).

Comment définiriez-vous la Génération Z ?

Dominique Méda (DM) – Comme je l’écris dans mon livre, la Génération Z est un concept marketing qui n’a que peu de réalité. Ses membres, nés autour des années 2000, seraient, selon différents discours médiatiques, plus agiles en matière de nouvelles technologies que leurs aînés, moins conformistes que ceux-ci, valoriseraient leur épanouissement personnel et seraient pêle-mêle : zappeurs, individualistes, matérialistes, nomades, désengagés… La jeune génération n’accorderait plus d’importance au travail, ne penserait qu’aux loisirs, aux horaires aménagés, aux congés, aux RTT, au nombre de jours télétravaillés. Les jeunes seraient rétifs à l’effort, parce que trop élevés dans le confort comme des “enfants-rois”.

Dans leur article de 2010, intitulé “Pour en finir avec la génération Y. Enquête sur une représentation managériale”, les sociologues François Pichault et Geoffrey Pleyers invitaient déjà à relativiser le discours dominant sur la spécificité de la génération Y et sur les réponses managériales à apporter. Mes propres enquêtes mettent en évidence la même chose. Je signale aussi, et nous devons tous le garder à l’esprit, qu’il y a parfois plus de différences à l’intérieur d’une génération que parmi les générations entre elles.

Leur rapport au travail ne serait, donc, pas si différent de celui de leurs aînés ?

DM – Le rapport réalisé par le CREDOC pour l’INJEP, en novembre 2023, montre que les jeunes ont un rapport au travail qui n’est, en effet, pas très différent de celui de leurs aînés. Les différences entre générations, bien réelles sur certains points, apparaissent finalement peu importantes au regard de celles observées à partir des caractéristiques socio-démographiques des personnes interrogées (genre, situation d’activité, catégorie socio-professionnelle) à l’intérieur d’une même génération.

Ainsi, questionnés sur ce que représente pour eux le travail, jeunes et plus âgés répondent de façon extrêmement proche : pour 57 % des moins de 30 ans et 62 % des plus de 30 ans, le travail est “un moyen de gagner sa vie”, alors que pour 31 % des moins de 30 ans et 29 % des plus de 30 ans c’est “une source d’épanouissement et de fierté”. Les jeunes apparaissent moins matérialistes et utilitaristes que leurs aînés. Notons que 12 % des moins de 30 ans et 9 % des plus de 30 ans considèrent le travail comme une source de souffrance et de mal-être.

Alors, que répondre à ceux qui assimilent leurs comportements à de la paresse ?

DM – Les jeunes ne sont pas paresseux ! Ils sont souvent maltraités par les entreprises qui ne prennent pas la peine de répondre à leurs envois de CV, ou ne leur donnent pas d’autonomie dans leur quotidien professionnel. Ils sont aussi les premières victimes des transformations du marché de l’emploi. En 2024, le taux de chômage des 18-24 ans s’élevait à 17,6 %, contre 7,4 % pour l’ensemble de la population active, selon l’Insee. Pour les non-diplômés, ce taux monte jusqu’à 34 %. De plus, les jeunes qui travaillent sont plus souvent en contrat temporaire (27 %) que les salariés de tout âge (12 %).

À cela s’ajoute le fait que les jeunes accèdent plus difficilement à la stabilité de l’emploi. Seulement 50 % des jeunes occupent un emploi stable trois ans après être sortis du système scolaire, contre 66 % de la génération précédente. Ils ont plus de mal à se projeter dans l’avenir, et sont donc plus ancrés dans le temps présent. En résumé, les jeunes ont d’immenses attentes à l’égard du travail, mais elles viennent se fracasser sur la réalité des conditions d’exercice du travail en 2025.

Quel serait le cadre de travail idéal pour les satisfaire ?

DM – Contrairement à ce que certains pensent, ils accordent une grande importance au travail et à sa finalité. Ils sont moins nombreux que les plus âgés à donner la priorité à la rémunération : interrogés sur les principaux critères pris en compte pour le choix d’un emploi, 74 % des plus de 30 ans mettent en premier le niveau de rémunération, contre 68 % des jeunes. Il n’existe pas de différence entre les hommes et les femmes parmi les actifs les plus jeunes, alors que les hommes des générations précédentes, eux, accordent plus d’importance à ce critère que les femmes de leur génération.

La génération Z, au même titre que celles d’avant, met ensuite en seconde position la possibilité de concilier vie professionnelle et vie familiale exactement dans les mêmes proportions : 52 % pour les plus jeunes, contre 53 % pour les autres. C’est un point essentiel ! Cette préoccupation d’articulation des temps de vie monte dans les enquêtes depuis une trentaine d’années. Elle concerne désormais toutes les générations et est, sans nul doute, à mettre en lien avec l’augmentation ininterrompue du taux d’emploi féminin, désormais inférieur de 6 points seulement à celui des hommes. Lorsque les jeunes mettent des limites à l’emprise du travail sur leur vie, c’est pour donner plus de place aux activités amicales, amoureuses, familiales, sportives et/ou associatives.

Enfin, en troisième position, jeunes et moins jeunes mettent en avant, avec des scores très voisins, l’intérêt du travail. Là encore, contrairement à ce que rapportent les discours médiatiques, les jeunes sont plus nombreux que les plus anciens à vouloir se voir confier beaucoup de responsabilités au travail : 58 % des moins de 30 ans le souhaitent, contre 46 % des plus de 30 ans. Si ce n’est pas le cas, ils sont prêts à changer plus facilement d’entreprise. Ils sont également très attentifs aux objectifs RSE des entreprises. Ils veulent que leur travail ait un impact positif sur le monde de demain.

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