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RETRAITÉS DE DEMAIN ET D’AUJOURD’HUI / LA QUINTUPLE FACTURE : FIN DE L’ABATTEMENT FISCAL, GEL DES RETRAITES, GEL DU BARÈME FISCAL, GEL DES PRESTATIONS, DÉREMBOURSEMENTS
1. ARTICLE – Retraites : sacrifier les vieux, une politique indéfendable, périlleuse et hasardeuse économiquement
Débattons encore et toujours
Par Gérard Teulière. 30/06/2025 MARIANNE
La petite musique qui accompagne en sourdine la question des retraites et monte contre les seniors ne constitue pas seulement un dérivatif face à une situation de déficit public, mais aussi l’ultime variation d’un psychodrame échafaudé en plusieurs actes à la recherche de boucs émissaires faciles.
Faut-il mettre à contribution les retraités pour sauver notre modèle social, fragilisé par le vieillissement de la population ? C’est la question taboue à laquelle votre journal a tenté de répondre dans un grand dossier pour ouvrir le débat et proposer des pistes de réflexion. Comme elle s’y était engagée dans son éditorial « Aux anciens : prenez votre part ! », la directrice de la rédaction de Marianne Ève Szeftel vous donne la parole. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce sujet passionnel vous fait réagir. Nous publions ce lundi 30 juin un courrier de Gérard Teulière, maître de conférences honoraire, ancien diplomate culturel et président de PenserAgir.
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Le premier s’est joué lors de la pandémie du Covid, lorsque des âmes bien intentionnées ont placé sur un même niveau de gravité les risques encourus par nos vieillards, qui avaient le mauvais goût de mourir en masse, et les inconvénients du confinement pour les autres classes d’âge. « Protéger les vieux ne signifie pas sacrifier la jeunesse » entendit-on alors dans la bouche de ces vertueux moralistes – phrase qu’il fallait évidemment interpréter à l’envers. Les mêmes, détournant le sens du mot sacrifice, oubliaient que les seniors n’étaient pas les seuls à mourir et que la détresse psychologique de nombre d’étudiants était surtout due au mur de déshumanisation que le tout numérique dressait devant leurs études et examens.
Le deuxième acte a été constitué en marge des débats sur la réforme des retraites. Nombre de polémiques se sont déchaînées à cette occasion sur le poids des seniors dans l’économie : salauds de vieux qui ont l’outrecuidance de vivre plus longtemps et qu’il faut entretenir à grands frais.
Le troisième acte, instillé par certains journalistes, comme François de Closets, a renchéri sur la responsabilité que porteraient dans l’état de la France une génération de « boomers » égoïstes et prédateurs, ou plus récemment une classe de « vaches sacrées responsables du déficit » voire de « faux vieux » vautrés dans les loisirs. Un point de vue dans lequel les créatifs libéraux se sont engouffrés en rivalisant d’inventivité (gel des pensions, suppression de l’abattement fiscal, taxation des retraités les plus « aisés », etc.)
RECYCLAGE DE VIEUX
On distingue, en filigrane des arguties déversées en ces occasions, comme une scorie de préjugés plusieurs fois millénaires sur la valeur et le rôle des anciens. Or l’exacerbation actuelle de la polémique est moins radieuse que cette plaisante littérature, car la gérontophobie et la démagogie sont multiformes et comportent des conséquences.
Les réseaux sociaux transpirent aujourd’hui de la haine des retraités. Il n’était que d’entendre voici quelques mois, dans l’émission politique L’Événement, qualifier le gouvernement Barnier de « recyclage de vieux, surtout de vieux ». On s’étonne que nul n’ait protesté que le recyclage concerne par définition les déchets. On pourrait ajouter de nombreux exemples à ce tableau, comme une récente proposition de loi visant les conducteurs âgés alors que la proportion d’accidents mortels est bien plus élevée selon les statistiques chez les 18-24 ans. Ou encore les discours reprochant aux anciens la possession de leurs biens immobiliers, comme s’il n’était pas légitime (et souhaitable) de détenir davantage de patrimoine après une vie de labeur qu’au début de celle-ci.
Plus qu’à gérer, on cherche à montrer du doigt. Ainsi, la désignation d’une catégorie de citoyens artificiellement circonscrite allume les prodromes d’une guerre générationnelle où chacun oublie que la vie est évolution et nourrit un imaginaire social inquiétant où les retraités risquent d’apparaître comme ceux que, jadis, les calomnies raciales désignaient comme des riches et des profiteurs. On connaît les conséquences monstrueuses de ce genre de stigmatisations irresponsables.
SMICARDISER LES PENSIONS
Dans un tel contexte, sabrer les pensions encouragerait les actifs – comme l’espèrentdivers lobbies économiques, Medef en tête, – à se tourner pour leur avenir vers des solutions privées qui hypothéqueront les retraites de demain au lieu de faire nation par la solidarité intergénérationnelle.
Épargner les petites retraites pour justifier la spoliation de toutes les autres, comme le proposent en demi-mesure des âmes bien intentionnées, ouvrirait notamment la porte d’une smicardisation larvée de l’ensemble et constituerait un très mauvais signal pour une société qui fait de l’émulation professionnelle l’un de ses ressorts et ne ferait qu’entériner une discrimination catégorielle : pourquoi un retraité « aisé » devrait-il objectivement contribuer davantage qu’un actif « aisé », à moins de considérer que les retraités sont des parasites de la nation ?
Une telle politique serait contraire au pacte républicain puisque les retraités ont cotisé, en leur temps d’activité, exactement au taux qu’il fallait pour payer les retraites d’alors. Il est donc fallacieux de s’adonner à des calculs comparatistes destinés à savoir s’ils reçoivent, en quantité absolue, plus ou moins que ce qu’ils ont cotisé.
CONTRAIRE AU PRINCIPE DE SOLIDARITÉ
Les retraités fournissant les mêmes efforts que les autres Français à travers l’impôt, rien ne justifie que des ponctions supplémentaires leur soient appliquées d’autant qu’il existe des familles vivant sur une seule pension. Ainsi, on feint d’ignorer que l’abattement fiscal de 10 % compense partiellement la baisse de pouvoir d’achat par rapport au dernier salaire, et n’est pas une déduction forfaitaire pour frais professionnels (qui subira elle-même le prochain coup de rabot). Mettre en avant les dépenses de santé des anciens est également contraire au principe de solidarité, surtout depuis que le taux des remboursements diminue, et préfigure la taxation de toute catégorie de citoyens que l’on désignera un jour arbitrairement comme coûteuse.
Une telle politique est indéfendable moralement et relève de la lâcheté politique, visant des proies faciles qui ne peuvent décréter, comme l’aurait souhaité un personnage de bande dessinée Mafalda une « grève générale et illimitée des retraités ». Une telle politique est politiquement périlleuse. Elle risque de confirmer l’attrait des extrêmes qui s’érigent désormais en défenseurs des pensions alors que jusqu’aux dernières années les plus de 65 ans assuraient la stabilité de l’édifice électoral.
Une telle politique est enfin hasardeuse économiquement car affaiblir le pouvoir d’achat d’un quart de la population par des mesures discriminatoires aurait des conséquences sur la consommation, l’aide directe aux jeunes, l’action caritative, etc., et pourrait engendrer de leur part de puissantesréactions de ressentiment, comme il ressort malheureusement des réseaux sociaux.
2. ARTICLE – « Boomer », « vieux connard »… Sur X, le « Envoyé spécial » sur les taxes pour les retraités ravive le clivage générationnel
Jeunes vs. boomers
Par Marianne. Publié le 13/06/2025
Dans l’émission Envoyé spécial diffusée ce jeudi 12 juin sur France 2, des retraités étaient interrogés sur l’éventualité de se voir imposer de nouvelles taxes pour réduire le déficit de la France. Globalement, la réponse est quasi-unanime : c’est non. Ces témoignages ont suscité l’ire des utilisateurs des réseaux sociaux, qui les ont aussitôt qualifié de « boomers » et d’« égoïstes ».
Faut-il imposer de nouvelles taxes aux retraités pour redresser les finances publiques ? Et si leur abattement de 10 % était supprimé – une piste étudiée par le gouvernement Bayrou pour réduire le déficit ? Pour les principaux intéressés, dont le témoignage est relayé dans l’émission Envoyé spécial diffusée ce jeudi 12 juin sur France 2, la réponse est quasiment unanime : c’est non. « Nous, on a des retraites de misère ! » lance l’un d’entre eux. « Et pourquoi on ne prend pas sur la paye de monsieur Macron ? Hollande et tous ces gens-là, hein ? Pourquoi les retraités ? On met quatre sous de côté et on vient nous les prendre ! », enrage une autre.
Sur les réseaux sociaux, les extraits vidéos de l’émission, tournée à Andernos-les-Bains, une station balnéaire du bassin d’Arcachon, en Gironde, sont devenus viraux. Dans l’un d’eux, on retrouve René, ancien cheminot bénéficiant d’une retraite de 2 500 euros. Attablé avec ses amis du troisième âge, verre de rosé presque vidé et assiette presque léchée, le septuagénaire estime que sa génération « a eu plus de difficultés financières que les jeunes ont actuellement ». « On travaillait énormément d’heures »,ajoute-t-il, estimant que c’est aux « jeunes »de travailler davantage pour permettre au gouvernement de boucler son budget.
« Est-ce que nous, en tant que retraités, on ne pourrait pas reprocher à ceux qui travaillent maintenant d’avoir un travail et des aides dorées par rapport à ce que nous avons eu avant ? », fulmine René, refusant d’admettre qu’il appartient à la « génération dorée ». Des propos qui, sur X, lui ont valu de nombreux commentaires mais également d’être qualifié de « boomer » et d’« égoïste » – voire, de « vieux connard ».
« Les retraités, la génération la plus égoïste que nous devons supporter », déplore ainsi un utilisateur. « Vous pouviez acheter des maisons à 20 000 qui en valent 500 000 aujourd’hui. Vous avez des retraites géantes pour payer vos croisières de merde. Nous on a le smic, l’immobilier ultra-cher, l’insécurité, la dette, votre pollution en héritage », s’insurge une autre.
CLIVAGE GÉNÉRATIONNEL
Et parmi les retraités interrogés, soupçonnés d’« antijeunisme » par le journaliste, figure Josette, dont le témoignage détonne. Avec une retraite de 900 euros et les 450 euros de réversion de la retraite de son mari décédé, l’octogénaire constate que c’est sa « génération qui a creusé le trou » de la dette. « On est tous responsables, il faut faire un effort », martèle-t-elle, sa tasse de thé vacillant entre ses mains. Elle n’a toutefois pas échappé à son lot de critiques sur la Toile, certains la qualifiant de « soumise » ou encore, de « boomeuse solidaire ».
Outre ces commentaires sarcastiques, moralisateurs ou dépités, des utilisateurs de X ont dénoncé une émission visant à créer un clivage générationnel. L’un d’entre eux suggérant même « une commande de l’Élysée », dans le but « d’opposer les jeunes et les vieux ».