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L’ÉCHEC DU RÉGIME MACRONISTE ET SON « REPLI SUR SA SEULE VERTICALITÉ TECHNOCRATIQUE »

« UNE DÉMOCRATIE HYSTERISÉE »

« Et aujourd’hui, nous vivons dans ce vide laissé par un pouvoir qui a épuisé l’idée de dépassement sans jamais réinventer de récit commun. » VOIR ARTICLE

« Nous vivons dans une démocratie de la surchauffe. Tout est amplifié, accéléré, hystérisé. Ce n’est pas une crise passagère, c’est un effondrement symbolique. » ID

« Le lien entre les mots et le réel s’est distendu. Le rapport à la vérité est devenu flottant »

« L’espace médiatique est saturé de récits émotionnels, et le politique, pour exister, est sommé de crier plus fort. » ID

ARTICLE – Chloé Morin : « Nous vivons dans une démocratie de la surchauffe où tout est amplifié, accéléré, hystérisé »

Le clivage gauche-droite est-il en train de faire son retour dans le paysage politique français ? « Les Echos » ont interrogé quatre politologues. Aujourd’hui, l’analyse de Chloé Morin.

Par Isabelle Ficek LES ÉCHOS. 1 août 2025

La politologue Chloé Morin revient sur ce qu’Emmanuel Macron avait tenté d’incarner en 2017 avec le « refus du simplisme idéologique » et le « dépassement des clivages binaires » et analyse l’état du débat public, les nouveaux clivages, la difficulté pour une parole nuancée à être entendue.

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Dépassement des clivages et d’abord du clivage gauche-droite, revendication d’une « pensée complexe » … c’est avec ce récit qu’Emmanuel Macron a fait irruption et a été élu en 2017. A moins de deux ans de l’élection présidentielle, assiste-t-on, comme l’ont dit Sophie Primas et Bruno Retailleau, à la « fin du macronisme » ?

Le drame politique de notre époque, ce n’est pas la fin du macronisme. C’est la disparition des conditions mêmes qui l’avaient rendu possible : la nuance, le doute, l’idée qu’un espace de complexité puisse exister sans être immédiatement disqualifié.

Emmanuel Macron avait tenté d’incarner ce refus du simplisme idéologique, ce dépassement des clivages binaires, cette promesse d’une parole réconciliatrice. Il n’en reste presque rien. Non pas parce que l’idée était mauvaise, mais parce que le pays, abîmé par la défiance et sursollicité émotionnellement, ne sait plus entendre ce qui ne s’aligne pas sur la logique binaire, celle de la guerre de tranchée numérique qui nous tient désormais lieu d’espace mental.

Le macronisme n’est pas mort comme on enterre une doctrine. Il s’est dissous faute d’avoir réussi à construire un imaginaire politique partageable. Il s’est replié sur sa seule verticalité technocratique. Il n’a pas su faire école. Il n’a pas produit d’héritiers. Il a démonétisé la modération en la réduisant à une posture de gestion. 

Et aujourd’hui, nous vivons dans ce vide laissé par un pouvoir qui a épuisé l’idée de dépassement sans jamais réinventer de récit commun.

Emmanuel Macron porte-t-il une responsabilité ?

Il porte une part de responsabilité, oui. Parce qu’en gouvernant au centre tout en paraissant nier l’existence des désaccords, il a involontairement vidé le centre de sa substance. Le centre, ce n’est pas le consensus mou, c’est un lieu de médiation, de frottement, de désaccords féconds. A force de refuser le conflit, le macronisme l’a laissé se radicaliser ailleurs.

Le centre est devenu un entre-soi qui n’écoute plus, une parole qui performe plus qu’elle ne transforme. Or une parole modérée ne peut survivre que si elle est en lien avec des affects collectifs, des mémoires partagées, des colères légitimes. Si elle reste suspendue dans le vide de la compétence et de la com’, elle devient inaudible – voire insupportable.

Macron n’a pas tué le gouvernement modéré. Mais il a contribué, comme tous ceux qui ont gouverné avec lui, à en faire un objet politique illisible.

Pourquoi le climat politique s’est-il autant dégradé ?

Nous vivons dans une démocratie de la surchauffe. Tout est amplifié, accéléré, hystérisé. Ce n’est pas une crise passagère, c’est un effondrement symbolique. Le lien entre les mots et le réel s’est distendu. Le rapport à la vérité est devenu flottant. L’espace médiatique est saturé de récits émotionnels, et le politique, pour exister, est sommé de crier plus fort.

Je vois la montée d’un nouveau clivage : entre la parole qui veut convaincre, et celle qui veut appartenir.

Emmanuel Macron lui-même a parlé d’« effraction ». Mais après l’effraction, il aurait fallu réinventer une scène habitable. Une scène où l’on puisse de nouveau débattre sans s’aligner, écouter sans renoncer, formuler une critique sans devenir ennemi. Rien de cela n’a été reconstruit. Et aujourd’hui, le débat public n’est plus seulement polarisé : il est devenu impraticable pour tous ceux qui pensent lentement, qui doutent, qui cherchent encore.

Le climat est brutal, non pas parce que la société serait radicalisée, mais parce que les structures d’accueil de la parole partagée ont disparu.

Ce qui se dessine est-il un retour au clivage gauche-droite ?

Pas vraiment. Ce qui revient, c’est le désir de lisibilité. Dans un monde désorienté, la vieille carte paraît plus rassurante. Mais ce clivage ne fonctionne plus. La gauche et la droite ne s’opposent plus sur la redistribution, mais sur l’émotion dominante. Le clivage structurant d’aujourd’hui, c’est entre ceux qui veulent simplifier le réel, et ceux qui essaient encore de le penser.

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Ce que je vois, c’est la montée d’un nouveau clivage : entre la parole qui veut convaincre, et celle qui veut appartenir. Entre le politique comme théâtre de l’émotion partagée, et le politique comme travail sur la complexité. La gauche et la droite ne sont plus des pôles idéologiques : ce sont des codes culturels, des formes d’adhésion, des signaux sociaux. Le vrai conflit se joue ailleurs : dans notre capacité à tolérer l’ambivalence.

Fait-on face à une tripartition durable du paysage politique ?

La tripartition existe arithmétiquement. Mais elle ne dit pas grand-chose du climat mental du pays. Ce que je vois aujourd’hui, c’est un peuple fragmenté entre trois régimes et émotionnels : les enragés, les épuisés et les autres.

Le premier camp, c’est celui de la colère spectaculaire : figures radicales, masculinités revanchardes, tribuns numériques. Le second, c’est celui des résignés : ils n’y croient plus, mais continuent à voter ou à faire semblant. Et puis il y a les autres : ceux qui sentent que quelque chose cloche, mais n’ont plus les mots pour le dire. Ce sont ceux qui m’intéressent le plus aujourd’hui. Parce qu’ils sont nombreux, mais silencieux. Et que leur silence pourrait bien être le prochain séisme.

Le bloc central est-il menacé de disparition ?

Il n’est pas menacé : il est en lévitation. Il flotte. Il ne s’appuie plus sur une base électorale clairement identifiable, ni sur un imaginaire collectif. Il reste une force de gravité institutionnelle, mais il ne tient plus les imaginaires. Et un pouvoir sans imaginaire, ça ne dure pas.

S’il veut survivre, ce bloc doit redevenir un lieu de dialogue, de narration, de conflit productif. Il doit réapprendre à habiter la société réelle : celle qui doute, qui a peur, qui pense encore. S’il se contente d’être une assurance-vie technocratique face aux extrêmes, il finira remplacé. Le vide n’est jamais stable en démocratie.

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Dans ce peuple fragmenté, le troisième camp, les silencieux se disent que nous sommes sur la mauvaise pente mais sans réellement trouver d’offre politique qui les rassure. Ils sont lucides, vont chercher des figures d’autorité, calmes, qui ne cèdent pas aux guerres de tranchées permanentes, acceptent de ne pas toujours tout trancher et n’ont pas une vision simplificatrice du monde. Ce sont des gens plutôt éduqués, informés, mais que l’on retrouve aussi dans les sondages parmi ceux qui souffrent de fatigue informationnelle.

Ce sont ceux que l’on n’écoute pas parce qu’on n’est plus équipés pour écouter les silencieux. On n’entend que ceux qui hurlent, pas ceux qui doutent ou s’enferment dans une indifférence inquiète. Parce que les appareils politiques savent que les plus faciles à mobiliser, ce sont ceux qui sont en colère, qui revendiquent.

Des voix comme Raphaël Glucksmann ou Edouard Philippe peuvent-elles incarner un récit modéré ?

Peut-être. A condition qu’ils osent aller au bout du doute. A condition qu’ils ne se contentent pas d’être les figures raisonnables d’une époque qui ne croit plus à la raison. Il ne suffit pas d’être modéré pour être audible. Il faut incarner une forme de parole habitable. Une parole qui relie, sans céder au spectacle. Une parole qui engage, même quand elle hésite.

Le vrai défi, c’est de parler juste dans une époque qui valorise l’agressivité, la simplification, l’identité de camp.

Ce qui est frappant, c’est à quel point l’architecture du débat public écrase aujourd’hui tous ceux qui ne rentrent pas dans des formats de communication très simples. A partir du moment où ce qui est visible, et de plus en plus, aux yeux des gens qui sont sur leur écran, est ce qui est poussé par l’algorithme de leurs réseaux sociaux, c’est-à-dire ce qui est tranché, émotionnel, percutant, immédiatement compréhensible, tout un pan de l’offre politique est en train d’être invisibilisé.

Le vrai défi, ce n’est pas de parler juste. C’est de parler juste dans une époque qui valorise l’agressivité, la simplification, l’identité de camp. Le centre ne renaîtra pas en récitant des synthèses. Il renaîtra s’il parvient à dire le doute, sans en avoir honte. A formuler une vision, même incomplète, sans céder au bruit, ni vouloir écraser.

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