
TAXER LES RETRAITÉS : C’EST FACILE, ILS NE SONT NI DÉFENDUS NI REPRÉSENTÉS – ENTRE RÉALITÉS ET CROYANCES
« Montant sidérant du coût des retraites, train de vie exorbitant de ces seniors en pleine santé qui se prélassent dans des villégiatures luxueuses ou trustent les croisières de rêve. » Autant de croyances ou slogans.
Mais qui les défendra ? Les futurs retraités ?
LIRE SUR METAHODOS :
LES SENIORS, UN DÉRIVATIF FACE AU DÉFICIT : LA RECHERCHE DE BOUCS ÉMISSAIRES – Jeunes vs. boomers
ARTICLE – Réponse d’un vieux « papy-boomer » à la meute des « babies-glandeurs »
Par Thierry Benne. 11/08/2025 MARIANNE
Docteur en droit, animateur du mouvement national de défense des retraités, Thierry Benne a tenu à rédiger une réponse « à toutes les calomnies et les avanies » qu’un certain nombre de « babies-glandeurs », comme il les appelle, tiennent à déverser sur leurs aînés. Ce texte s’attache à huit points fondamentaux qui devraient, assure-t-il, « remettre un certain nombre d’idées en place face à une cohorte d’économistes vindicatifs ».
Depuis quelques mois, tout est bon ou presque pour tirer à vue sur les retraités : le montant sidérant du coût des retraites, tout comme le train de vie exorbitant de ces seniors en pleine santé qui se prélassent dans des villégiatures luxueuses ou trustent les croisières de rêve. Si bien qu’en quelques années à peine, le retraité est devenu un nabab, un parasite qui aspire le sang de la Nation au détriment notamment de la jeunesse qui souffre et qui ne parvient pas à se loger, ni plus généralement à vivre décemment de ses salaires qui ne progressent pas. Il est grand temps de remettre l’église au centre du village et c’est précisément le but de ce billet d’humeur d’un vieux papy-boomer de 83 ans, qui en a trop entendu ces derniers temps pour ne pas réagir sur les huit points qui suivent.
1. UN TEMPS DE TRAVAIL EN CHUTE LIBRE
Deux chiffres de l’Insee, accablants dans leur brutale simplicité : en 1975, en France, la durée moyenne annuelle du travail atteignait 1 957 heures, alors qu’elle chute à 1 592 heures en 2024, soit une perte annuelle moyenne de 365 heures responsable d’une perte brutale de 18,65 % du temps de travail qu’aggrave encore ces derniers temps un goût immodéré pour l’absentéisme. Rajoutez donc chaque année 23 % (=18,65/(100,00-18,65) d’augmentation aux cotisations actuelles et notre système de retraite reprend immédiatement vie.
Or, nos babies-glandeurs qui geignent sur leur sort et l’insuffisance de leurs rémunérations, n’ont toujours pas compris que leurs augmentations sont entièrement passées dans les dividendes des 35 heures, puisque leurs employeurs leur ont maintenu peu ou prou leur pouvoir d’achat pour un temps de travail toujours moindre. Et oui, la civilisation des loisirs et les promesses des 35 heures ont inévitablement un coût et ce coût impacte obligatoirement les retraites, puisque les pensions sont assises sur des cotisations qui, elles-mêmes, reposent sur les salaires. Et c’est principalement cette chute vertigineuse du temps de travail de nos babies-glandeurs, qui prive indûment nos retraites actuelles des ressources qui auraient dû être les leurs.
C’est là qu’on mesure tout ce que notre système doit à la démagogie de deux fossoyeurs d’élite : un président qui, pour se faire élire, a imposé la retraite à 60 ans, dûment assisté de sa ministre du Travail, la géniale architecte des 35 heures. Le tout aggravé récemment encore par une gestion erratique de la crise du Covid-19 où l’on a payé des gens à ne rien faire et dont le pays ne s’est toujours pas remis. Rien donc ne sert de récriminer, ni de geindre, il suffit une bonne fois pour toutes d’avoir le courage de regarder la réalité en face, surtout quand elle dérange : dans notre pays, cela fait déjà un certain temps que la valeur-travail ne fait plus le poids face aux exigences sans limites du temps libre, des congés et des loisirs.
2. LE NIVEAU DE VIE SOI-DISANT SUPÉRIEUR DES RETRAITÉS
Reprise en boucle depuis des années, cette assertion est tout simplement fausse. Il suffit de se référer au graphique « Niveau de vie et pauvreté » de l’Insee qui, pour 2021, attribue un niveau de vie annuel moyen de 26 610 euros à l’ensemble de la population, contre 26 090 euros aux retraités et 29 140 euros aux actifs.
Il est vrai que les chiffres les plus fantaisistes circulent dans ce domaine. L’intox officielle et médiatique a remplacé par diverses sources l’information de l’Insee pour monter encore d’un cran le reste de la population contre les retraités. On verra hélas que cette sinistre manipulation n’est pas la seule.
3. LA DÉSINDEXATION DES RETRAITES
L’année blanche serait-elle la solution à tous nos maux, au prix de la violation de l’article L 161-25 du Code de la Sécurité sociale qui garantit l’indexation des pensions de base ? C’est évidemment ce que pensent nos babies-glandeurs, sans comprendre que la répétition des années blanches (ou grises) non seulement pèse sur les retraites d’aujourd’hui, mais qu’elles hypothéqueront aussi les retraites de demain. Sur 25 ans d’espérance de vie en retraite, une désindexation annuelle de 1 % ampute de 22 % le pouvoir d’achat de la vingt-cinquième annuité et sur toute la durée de sa retraite prive le retraité de plus de 11 % de ses droits à pension, ce qui équivaut à la perte de 2,79 années de retraite.
La désindexation est donc l’arme du lâche qui fait de l’assurance-vieillesse un contrat de dupe, avant de se terminer dans le dénuement ou la précarité pour les plus fragiles, dans une aisance fragilisée pour les autres. La désindexation, qui est une forme sournoise de prélèvement, ne doit donc être utilisée qu’en dernier recours et avec la plus extrême prudence, sous peine de devoir renflouer plus tard par plus d’assistance ceux qu’on aura sauvagement ponctionnés tout au long de leur retraite. Mais ces remarques de bon sens sur le temps long sont probablement inaccessibles à nos babies-glandeurs biberonnés au court terme, sans se douter qu’un peu plus tard, ils paieront aussi les pots qu’ils ont eux-mêmes cassés.
4. LES 400 MILLIARDS D’EUROS DE RETRAITES
Publié pour faire peur, ce chiffre est grossièrement faux. En effet, on ne peut sérieusement parler de retraites qu’à condition du versement préalable de cotisations. Or, tout l’art du gouvernement va consister à pratiquer un amalgame entre les retraites provenant des cotisations d’assurance et les dépenses d’assistance-vieillesse non contributives, dues aux seuls choix de la puissance publique et parfaitement étrangères aux retraites. Et en matière d’assistance-vieillesse, la prodigalité du gouvernement est légendaire, puisqu’il va jusqu’à verser des allocations substantielles à des étrangers qui n’ont jamais cotisé en France.
Toujours est-il que, malgré l’opacité de la comptabilité publique, on sait depuis le rapport Delevoye de juillet 2019, que les dépenses vieillesse se répartissent pour les trois quarts en dépenses de retraites et pour le solde en dépenses d’assistance vieillesse. Donc sans entrer plus avant dans les arcanes budgétaires, on peut légitimement estimer que le chiffre de 400 milliards d’euros jeté en pâture aux débats et à l’information est nettement excessif pour ce qui concerne les retraites, qui doivent plafonner aux alentours de 300 milliards d’euros et en tout cas très en dessous des 400 milliards qu’on veut nous faire gober.
5. LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE EN MATIÈRE DE RETRAITE
La question a été âprement débattue mais après bien des débats, il semble qu’un accord s’esquisse pour fixer à 9 ou 10 milliards d’euros par an les enjeux de la lutte contre la fraude des retraites. Cependant pour l’instant, les contrôles publics sont si timides que l’on peut se demander si l’État n’accompagne pas davantage la fraude qu’il ne la combat. Les chiffres actuels n’atteignent pas le milliard d’euros et encore trop de fraudes détectées ne donnent lieu qu’à des recouvrements dérisoires. On peut donc considérer que, par son désintérêt et son inertie, pour acheter aussi la paix sociale, l’État laisse volontairement filer chaque année de nombreux milliards de fraudes, qui sont autant de moins-values pénalisant indûment le financement du système.
6. LE DÉFAUT DE REPRÉSENTATION DES RETRAITÉS : L’APARTHEID FRANÇAIS
Alors là, personne n’en parle : ni les deux partenaires sociaux actuels – syndicats de salariés et organisations patronales – également jaloux de leurs privilèges, ni les parlementaires sourds à tous les rappels, ni les gouvernements pour lesquels la question relève du secret-défense. Or, dans le public, personne ou presque ne le sait, mais les retraités sont les seuls à être totalement exclus du système de retraite géré conjointement par une sorte de triumvirat entre le gouvernement et les deux partenaires sociaux actuels.
Des retraités ès qualités pour représenter leurs 18 millions de pairs ? Aucun ni au Conseil économique, social et environnemental (175 membres), ni au Conseil d’orientation des retraites (42 Conseillers), ni au Comité de suivi des retraites (5 commissaires), ni au conseil d’administration de la Caisse Nationale d’assurance-vieillesse (ce qui est un comble ! ) et de la Caisse nationale d’assurance-maladie (35 administrateurs chacun), ni enfin à la puissante Agirc-Arcco (27 administrateurs).
Les retraités sont exclus par principe et c’est tout juste si, à l’entrée de toutes ces vénérables institutions, on ne trouve pas une plaque portant l’inscription « Interdit aux retraités et aux chiens ». Naturellement, cette exclusion qui parque les retraités dans un apartheid peu glorieux, est contraire à la fois à la Constitution (égalité / fraternité / démocratie sociale indivisible / droit de suivre les affaires publiques etc.), aux diverses Déclarations internationales des Droits de l’Homme (participation de tous aux affaires publiques) et aussi à la loi française qui interdit l’âgisme sous toutes ses formes.
Pourtant, le Conseil constitutionnel, dûment saisi par mes soins, n’a rien trouvé à redire à cette exclusion qui porte amputation d’une partie de la personnalité sociale de chaque retraité. C’est ainsi que la patrie de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 est aussi devenue au cours du vingtième siècle celle de l’apartheid des retraités.
7. L’ABSENCE D’UN VRAI MINISTÈRE DÉDIÉ
Puisque l’ensemble de nos dépenses vieillesse totalise 400 milliards d’euros, soit six fois le budget de l’Éducation nationale, huit fois celui de la Défense, pourquoi viennent-ils se perdre dans une obscure direction du ministère du Travail, alors que précisément la plupart des retraités ont cessé de travailler ?
Il est urgent que tous ces crédits soient attribués à un seul ministère autonome et souverain, qui rassemblera tous les personnels présentement épars au gré des humeurs des ministres et du gouvernement. Car réunir ces fonds et ces agents sous un même toit et sous l’autorité d’un ministre de plein exercice, c’est le début de la reconnaissance de la personne des retraités, dont le nombre ne va cesser de croître durant les prochaines années.
8. L’URGENCE ABSOLUE D’UN TROISIÈME PARTENAIRE SOCIAL
Il faut désormais balancer par-dessus bord cette culture du mépris, qui s’affiche partout à l’encontre des retraités, alors qu’avec 18 millions d’individus (réservataires inclus), ils représentent 26 % de la population française, 37 % de son corps électoral et, vu l’assiduité des seniors, pratiquement 50 % des bulletins lors du dépouillement des urnes. Or, actuellement aucun politique ne s’intéresse aux retraités en dehors des campagnes électorales, c’est-à-dire pas plus de quelques mois tous les cinq ans. Il faut aussi sommer l’ARCOM de faire respecter une représentation équitable des retraités dans le paysage audiovisuel français, actuellement cantonnée à un taux infamant de 2 à 3 %.
Car, si les retraités sont nécessairement vigilants quant au maintien de leur pouvoir d’achat, ils tiennent surtout à briser une fois pour toutes la loi du mépris qu’imposent des politiques sans foi, ni loi et à recouvrer leur dignité citoyenne en récupérant l’intégralité de leur personnalité sociale. Ils revendiquent à cor et à cri ce titre de troisième partenaire social, qui aurait dû leur revenir de droit dès l’origine, puisque sans retraités, les retraites n’auraient jamais existé. Or, c’est uniquement ce nouveau partenariat qui ouvrira enfin les portes d’un véritable dialogue social à l’ensemble des retraités, qui pourront alors l’enrichir d’une expérience que n’ont pas et n’apporteront jamais les autres, ni les hauts fonctionnaires, ni les syndicalistes, ni les patrons : celle du vécu d’une vingtaine d’années de retraite. Comment enfin ne pas plaindre tous ces actifs vindicatifs, qui n’ont pas encore compris qu’ils assaillent les retraites qui demain seront les leurs ?