
ARTICLE – Face à la fin de l’illusion européenne, Draghi appelle à un sursaut politique et économique
Par Karl De Meyer. Publié le 24 août 2025 LES ÉCHOS
Dans un discours prononcé à Rimini, l’ancien président de la BCE exhorte les dirigeants européens à actualiser le logiciel de l’UE. Il préconise des dettes communes pour financer les technologies critiques et une révision de la politique commerciale.
Au lendemain de la publication des modalités du nouveau cadre commercial transatlantique,défavorable au Vieux Continent, Mario Draghi a tenu vendredi un discours solennel sur la nécessité d’enrayer la perte d’influence de l’Europe.
Il s’exprimait au Meeting pour l’Amitié entre les Peuples, un rassemblement annuel catholique à Rimini, sur la côte Adriatique. L’ancien président de la BCE a d’abord affirmé que 2025 « restera dans les mémoires comme celle où s’est dissipée l’illusion que la dimension économique de l’UE s’accompagne d’un pouvoir géopolitique ».
Il a dressé la liste des impuissances de l’Union : acceptation des nouveaux droits de douane américains ; soutien de la Chine à l’effort de guerre russe en Ukraine ; rôle « jusqu’à présent assez marginal dans les négociations de paix » en Ukraine, intensification du « massacre de Gaza ». D’où un certain scepticisme au sujet de l’Union européenne. Non sur ses valeurs, mais sur « sa capacité à les défendre ».
De spectateur à acteur
Le diagnostic de l’ancien président du Conseil italien : l’UE n’est plus adaptée à un nouvel ordre mondial fondé sur le rapport de force brutal. Créée dans les années 1950 pour « répondre à la tendance de l’Europe à sombrer dans les conflits », elle s’est assez facilement adaptée, à la fin du XXe siècle, « au libre-échange et à l’ouverture des marchés ».
Mais elle est aujourd’hui démunie, alors que « la géo-économie, la sécurité et la stabilité des sources d’approvisionnement inspirent davantage les relations commerciales internationales que l’efficacité ». Comment faire passer l’UE « du statut de spectatrice » à celui d’acteur principal ?
Lenteur des rituels communautaires
Selon Mario Draghi, l’Europe doit en parallèle « modifier son organisation politique » et réaliser des réformes économiques. L’UE est capable de sursaut en situation d’urgence, comme elle l’a démontré dans la pandémie ou après l’invasion de l’Ukraine. « Le véritable défi est désormais d’agir avec la même détermination mais en temps ordinaire » car le nouveau monde « n’attend pas la lenteur de nos rituels communautaires pour nous imposer sa force ».
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Mettre en oeuvre le rapport Draghi !
En ce qui concerne l’économie, Mario Draghi reprend les recommandations de son rapport sur la compétitivité, publié il y a un an. Il met l’accent sur la course aux technologies critiques, dans laquelle « aucun pays européen ne dispose seul des ressources nécessaires pour développer la capacité industrielle requise ».
Changer la trajectoire
D’où un nouvel appel à un endettement commun des Vingt-Sept, à condition qu’il finance « des investissements dans les priorités stratégiques et l’augmentation de la productivité ». Mario Draghi leur réclame de « se mettre d’accord sur le financement des colossaux investissements nécessaires », notamment dans les semi-conducteurs, et de « concevoir une politique commerciale adaptée » à la nouvelle donne.
Après avoir menacé les Européens de « lente agonie », l’an dernier, faute de sursaut, il assure cette fois que « nous pouvons changer la trajectoire de notre continent ».
De manière symbolique, Rimini se trouve à 50 km à peine de Ravenne, qui fut la dernière capitale de l’Empire romain d’Occident, de 402 à 476, jusqu’à sa chute finale. La ville aux sublimes mosaïques devint ensuite la capitale… du royaume des Ostrogoths.
Karl De Meyer (Bureau de Bruxelles)