
ARTICLE – Délinquants mineurs, violences majeures
Dimanche 3 août 2025
Alors que les débats se crispent autour de la question de la délinquance des mineurs, l’Unicef publie le rapport « Victimes avant tout. Protéger les enfants contre l’exploitation criminelle ». Comment protéger mais aussi punir ces mineurs à la fois victimes et bourreaux ?
Avec
- Corentin Bailleul, responsable du pôle plaidoyer France à l’UNICEF
- Laurent Mucchielli, sociologue, spécialiste des politiques de sécurité.
- Kathleen Taïeb, avocate pénaliste, membre de l’Antenne des mineurs du Barreau de Paris
Ils sont mineurs et pour certains déjà tueurs ou trafiquant. Ils font souvent la Une de l’actualité, leurs méfaits suscitent des débats houleux sur les plateaux télés et les réponses politiques se durcissent à leur encontre. Le 23 juin 2025, la loi de l’ancien Premier ministre Gabriel Attal visant à durcir la justice des mineurs est votée. Cette dernière prévoit notamment des mesures pénales renforcées à l’encontre des mineurs radicalisés ou coupables d’infractions en bande organisée.
Or, dans son rapport « Victimes avant tout. Protéger les enfants contre l’exploitation criminelle », l’Unicef met en lumière l’exploitation des mineurs dans des réseaux criminels.
Alors, qu’est-ce que la délinquance aujourd’hui ? Les réponses politiques apportées sont-elles adaptées ? Comment sanctionner et surtout protéger les enfants, à la fois bourreaux et dans le même temps victimes ? Comment penser de manière juste la notion de responsabilité dans le cadre de la délinquance juvénile ?
Des mineurs « poly-exploités »
Corentin Bailleul : « L’exploitation criminelle est l’une des formes de la traite des êtres humains. La traite des êtres humains peut prendre plusieurs formes : l’exploitation sexuelle, la prostitution d’autrui, l’exploitation par le travail, le prélèvement d’organes ou la mendicité forcée. L’exploitation criminelle — c’est-à-dire le fait de commettre des actes illégaux en conséquence de l’exploitation — est l’une des formes d’exploitation en France. Cette forme reste néanmoins peu apparente et largement invisible dans les statistiques. (…) Ce qui est important c’est qu’il y a différents éléments constitutifs de la traite. La traite est un acte, un moyen (la menace, la contrainte, la tromperie, l’abus de vulnérabilité), et un but — donc ici commettre des actes illégaux. Il faut savoir que pour les mineurs, on n’a pas besoin de démontrer l’utilisation des moyens, donc de la contrainte, puisqu’on considère qu’elle découle de l’âge de la victime.«
À écouter

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Définir la délinquance
Laurent Mucchielli : « On peut organiser les choses grâce à une petite typologie. On peut d’abord parler de délinquance initiatique : il s’agit de toutes les transgressions de l’adolescence et de la préadolescence, commises par énormément de jeunes qui n’ont pas nécessairement de parcours marqués par des difficultés particulières. Les chercheurs ont constaté que les années collège représentent un âge de la vie au sein duquel les jeunes se confrontent à un certain nombre d’interdits. Ce sont souvent des petits actes de délinquance qui s’arrêtent très vite, et qui visent juste à défier les normes, les adultes, et à goûter à la transgression. Il existe ensuite la délinquance pathologique : elle concerne des jeunes qui ont de vrais problèmes psychologiques. Ce sont des personnes avec des difficultés personnelles, et si on ne peut pas prendre ces difficultés en compte, les diagnostiquer, et surtout apporter du soin, on risque de passer à côté de l’essentiel. Enfin, on peut parler de délinquance d’exclusion : Il s’agit de jeunes qui sont d’abord marqués par plusieurs facteurs liés à l’exclusion : ils sont socialement marqués (ils sont d’origine populaire de manière très écrasante), ils sont également marqués par l’échec scolaire et marqués par leur adresse/ leur quartier qui deviennent leur lieu de sociabilisation quand le cadre familial et scolaire ne peuvent pas leur apporter de soutien. C’est dans ces quartiers précaires, à l’environnement parfois dégradé, que traîne ces jeunes, les conduisant dans un engrenage. Plus tard ( dans la grande adolescence et dans le début de l’âge adulte), ces jeunes vont faire un vrai parcours, une “carrière” dans la délinquance. Ce sont ceux qui occupent le cœur de la machine pénale.«
À écouter

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La loi et son esprit face aux discours politiques
Kathleen Taïeb : « L’ordonnance du 2 février 1945 pose un principe global concernant la justice des mineurs, qui doit être différente : un mineur n’est pas jugé comme un majeur. Comme c’est un texte vieillissant, il a été réformé en profondeur en septembre 2021 avec un Code qui reprend des principes, notamment celui de l’éducatif qui prévaut sur le répressif. C’est un principe à valeur constitutionnelle : la répression est secondaire concernant les mineurs. Ce qui prévaut, c’est aussi le suivi, la conscientisation de leurs actes,… C’est en dernier recours que doivent intervenir des sanctions et notamment des peines de prison.«
Laurent Mucchielli : « L’idée que la loi de 1945 est vieillissante par rapport à la situation de 2025 est un grand classique des discours politiques. En réalité, depuis 1945, la justice des mineurs a été réformée une soixantaine de fois. La dernière étant en 2021. Chaque ministre de la Justice fait sa loi, c’est une réforme constante. Aussi, en France, on entend difficilement qu’un auteur soit aussi victime. Dans une thèse que j’ai fait soutenir à l’université d’Aix-Marseille, portant sur les adolescents délinquants, repose sur l’étude de plus de 1800 dossiers. On a un jeune sur deux qui est ou était aussi victime quand il était enfant. Il serait important de l’entendre dans le débat public.«
À écouter

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Pour aller plus loin
- Rapport de l’Unicef, « Victimes avant tout. Protéger les enfants contre l’exploitation criminelle », 2025
- Laurent Mucchielli et Khedidja Mokeddem, « La délinquance juvénile : Réalités et prises en charge« , numéro spécial de revue Insaniyat, 2019
- L. Mucchielli (dir.), La délinquance des jeunes, La documentation française, 2015
- Marwan Mohammed, « Y’a embrouille ». Sociologie des rivalités de quartier, Stock, 2023
- Selim Derkaoui, Laisse pas trainer ton fils. Comment l’État criminalise les mères seules, Les liens qui libèrent, 2025
Ressources statistiques
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Les condamnations (2023)
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