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LE RISQUE D’UNE DÉMOCRATIE SOUS COUVERT ET LA NÉCESSITÉ D’UNE REFONDATION RÉPUBLICAINE – POINT DE VUE

1. ENTRETIEN – Réinventer la démocratie à l’ère de l’intelligence artificielle et du crédit social

À v gros la restriction progressive des libertés. Dans un entretien sans détour, il évoque la dette publique comme poison lent, la souveraineté numérique sacrifiée, la tentation d’une « démocrature » sous couvert de crise, et le besoin urgent d’une refondation républicaine fondée sur la transmission du savoir, l’esprit critique et la responsabilité citoyenne.

David Fayon, directeur de projets dans un grand groupe, mentor pour des start-up et des futures licornes en fécondation, membre de plusieurs think tank et associations pour le développement du numérique en France comme La Fabrique du Futur est président de Numérikissimo , l’annuaire des Top acteurs du numérique.

Il est l’auteur de Made in Silicon Valley – Du numérique en Amérique (Pearson, 2017) et co-auteur de Web 2.0 15 ans déjà et après ? (Kawa, 2020). Il a publié avec Michaël Tartar La Transformation digitale pour tous ! (Pearson, 2022) et Pro en réseaux sociaux avec Christine Balagué (Vuibert, 2022). Il vient de Publier Informez-vous !(L’éditeur à part, 2025).

ATLANTICO Vous venez de publier Informez-vous ! En quoi l’exemple des civilisations passées et de leurs chutes historiques peut permettre de tirer des leçons aujourd’hui pour éviter une forme de décadence contemporaine et assurer un renouveau démocratique ?

 

David Fayon : On dit que l’histoire bégaye. L’histoire est riche d’enseignements même s’il existe des ruptures. Les civilisations qui ont dominé le monde ou les villes phares résultent d’une avance technologique, qu’elle soit militaire, technique, industrielle ou commerciale. Les déclins peuvent être liés à plusieurs raisons, perte d’un de ces avantages par rapport à une nation qui innove davantage, problèmes politiques internes, corruptions ou décadence du pouvoir, non-maîtrise des frontières ou invasions, etc. La démographie d’une nation et son niveau d’éducation importent aussi. Sous Louis XIV et Napoléon 1er, la France était le pays le plus peuplé d’Europe ce qui a permis des guerres et des conquêtes territoriales. Nous devons en tirer des leçons pour ne pas reproduire des erreurs faciles à éviter.

Outre le nécessaire renouveau démocratique, nous avons aussi des opportunités de revenir dans la course sur la scène internationale. Ainsi, par rapport au développement fulgurant de l’intelligence artificielle depuis l’avènement de ChatGPT en novembre 2022, souvenons-nous d’une déclaration du président russe, Vladimir Poutine. Celui-ci avait déclaré le 1er septembre 2017 lors d’une conférence auprès d’étudiants russes que le « pays leader en intelligence artificielle dominerait le monde ». Pour l’heure, ce sont les États-Unis et la Chine qui se livrent un âpre combat en y mettant les moyens. Elles sont bien devant l’Europe, et ce sont les 2 puissances dans pratiquement tous les domaines, y compris pour les Jeux olympiques.

 

Vous évoquez dans votre ouvrage le risque d’un glissement vers une “démocrature”, notamment comme ce fut le cas lors de la période du Covid. Pensez-vous que ce phénomène est déjà amorcé en France, ou s’agit-il encore d’un risque latent ?

David Fayon : Nous assistons à une érosion progressive des libertés souvent se basant sur un prétexte comme le dérèglement climatique (alors que la France intervient à hauteur de 1 % de la pollution mondiale – et comme j’aime à le rappeler si nous baissons sur une période les rejets de CO2 de 30 % en France, cela serait effacé par une seule progression de 0,6 % de la Chine) qui conduit à exclure des véhicules jugés administrativement polluant ou encore les pandémies comme le Covid avec les confinements et les interdictions parfois ubuesques. C’est aussi les conséquences de Vigipirate en riposte à des attentats qui peuvent constituer des motifs de réduction des libertés de l’ensemble des citoyens alors que les responsables ne sont qu’une infime minorité. La punition est collective comme la loi de Gresham en économie « la mauvaise monnaie chasse la bonne ». Le risque est de banaliser un provisoire qui devient durable. Mais il existe aussi un risque d’érosion des libertés sur Internet avec un contrôle social accru et la fin de l’anonymat pouvant amener à moins donner de signaux faibles délivrés par certains citoyens sachant par ailleurs que les lanceurs d’alerte sont insuffisamment protégés : on commence par contrôler les enfants sous couvert de lutte louable contre l’addiction aux réseaux sociaux ou de les protéger contre les images violentes, le cyber-harcèlement ou la pornographie. Or le risque est une poursuite du processus avec les adultes. Les risques d’établissement d’un score social est réel en s’acheminant vers un crédit social à la chinoise. Or dans une démocratie, les signaux faibles qui doivent respecter le droit positif quand ils sont exprimés par voie de presse, dans les médias ou sur Internet et ne doivent pas être de nature diffamatoire mais factuels, sont nécessaires. Du reste, on notera que les signaux faibles sont souvent gommés par les IA génératives qui sont probabilistes et qui moyennent les résultats en chassant certaines réponses parfois extrêmes ou jugées farfelues.

On observera que la France est classée à la 24eplace des pays au niveau de l’indice pour la liberté de la presse par l’association Reporters sans frontières, ce qui n’est pas glorieux pour la 7e puissance mondiale, jadis 4e à la fin des 30 glorieuses.

Vous définissez les données comme le “nouvel or transparent”. Comment les citoyens peuvent-ils reprendre le contrôle de leur souveraineté numérique dans ce contexte de surveillance croissante ?

David Fayon : Nous pourrions revenir à l’adage « Vivons heureux, vivons cachés » alors qu’avec Internet et les réseaux sociaux on a tendance à se dévoiler et à semer des données contre la gratuité d’utilisation d’un produit ou d’un service, notamment les grandes plateformes numériques, les GAFAM. Ces données personnelles peuvent être utilisées pour le meilleur avec une meilleure connaissance de vos goûts pour vous faire gagner du temps (par ex. conseils d’achat sur Amazon ou de visualisation sur Netflix) quoiqu’enfermant dans des bulles et réduisant la curiosité et le hasard mais aussi pour le pire avec des cyberpirates par exemple (phishing, ransomware, etc.). Cet adage est toutefois préférable à celui de Klaus Schwab qui a dirigé le WEF jusqu’au 21 avril dernier et qui avait déclaré « vous ne posséderez rien et vous serez heureux ».

Déjà au niveau de l’Etat, il est important de disposer d’un cloud souverain en particulier pour certaines données (personnelles, liées à des savoir-faire des industries et des services). Il conviendrait de ne plus héberger les données de santé, qui sont des informations sensibles au sens de la CNIL, par Microsoft Azure sur sol américain. Cette décision est une erreur politique. Au quotidien chacun peut avoir un meilleur usage de ses outils numériques, avec des paramétrages optimisés mais ce n’est pas suffisant. Il est conseillé de privilégier des outils français ou européens même si cela amène à changer ses habitudes et que le flicage est possible de toute part. Et encore une fois, réfléchir à ce qui peut être communiqué et se poser la question « dans 5 ans, est-ce que l’information que je délivre pourrait avoir des conséquences favorables/défavorables à mon égard, pour mes proches, pour mon entreprise ou mon pays, etc. ». Il appartient à chacun tant au niveau personnel que professionnel d’être acteur de ses données : protéger son identité personnelle, promouvoir son identité professionnelle d’une part, sécuriser les données de l’entreprise, promouvoir la visibilité de son entreprise de façon positif d’autre part. Tout ceci participe à une bonne intelligence économique et sociale.

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Dans votre diagnostic d’une “crise plurielle”, quel est selon vous le facteur déclencheur principal de la défiance croissante envers les institutions ?

 

David Fayon : C’est la dette qui induit une perte de souveraineté et donne moins de marge de manœuvre pour gouverner notre pays. Une partie de la dette est en effet détenue par des acteurs étrangers. Celle-ci est liée à plusieurs facteurs. Globalement j’écris que nous sommes passés du triple A en 2012 au sextuple D (dette, déclassement, désouveraineté, décroissance, désorganisation, drogue) même si la communication officielle minimise les problèmes pour mettre en exergue tout satisfecit. Le chef de l’Etat et le Premier ministre ne gèrent pas le budget comme un bon père (ou une bonne mère) de famille. Ils dépensent plus que les recettes (impôts notamment) déjà énormes avec un niveau de pression fiscale sans égal. Le robinet est à couper, nous n’avons pas les moyens de faire des chèques sans fin à l’Ukraine alors que la Pologne et d’autres nations sont en première ligne et que nous disposons de la dissuasion nucléaire, d’aider des pays comme l’Algérie si en même temps ils nous méprisent (Boualem Sansal par exemple est toujours arbitrairement détenu). Que l’on commence par être maître chez nous, que l’on lutte efficacement contre les trafics, que l’on restaure l’état de droit, que les forces de l’ordre soient respectées et qu’elles aient les moyens d’agir sans bavure néanmoins. On voit se pointer un événement le 10 septembre qui fait craindre ce que j’appelle des « gilets jaunes au carré ». Pour les « Nicolas qui paient », la coupe est pleine. Et puis, il y a cette réalité d’une déconnexion entre ceux qui gouvernent et qui n’incarnent pas la situation vécue par les Français au quotidien et un fort entre-soi comme illustré par les nominations d’anciens membres du Gouvernement au sein de différentes instances, commissions, ou même au sein d’entreprise (Christophe Castaner chez le controversé Shein ou Sibeth Ndiaye chez Adecco par exemple), etc.

Vous insistez sur la nécessité d’une “administration 2.0”. Quelles réformes concrètes préconisez-vous pour sortir des logiques de silo qui freinent l’efficacité publique ?

 

David Fayon : Il conviendrait de passer de 5 niveaux hiérarchiques s’agissant des entités géographiques à 3. Cela revient à s’inspirer comme le font certaines grandes entreprises des start-up et de leur agilité. Il faudrait également supprimer les doublons voire triplons dans l’administration, assurer une transversalité entre les services et un partage de données tout en respectant le caractère sensible de certaines données personnelles, faire maigrir drastiquement le back office en remettant des processus à plat et utiliser l’IA tout en renforçant dans des proportions raisonnables le front office au contact des citoyens (plus d’infirmiers et de médecins, de juges, de policiers, de professeurs) : au global, cela conduirait à diminuer les effectifs des 3 fonctions publiques tout en ayant des augmentations à certains endroits où des renforts sont nécessaires. Il faudrait aussi renforcer le rôle du maire, diminuer le nombre de communes, revenir aux 22 régions d’avant la réforme Hollande pour assurer une plus grande cohésion géographique.

Mais aussi comme tout est lié, avoir une politique pour la natalité (dans notre pays vieillissant, les décès sont à présent supérieurs aux naissances), revenir au principe d’universalité des allocations familiales, simplifier fiscalement et pour un foyer établir une assiette sur l’ensemble de ses revenus tant du travail que du capital mais aussi des allocations. Il n’est pas normal qu’un agriculteur travaille 60 h par jour pour ne pas se verser un SMIC ou qu’un travailleur à 1 400 euros gagne moins qu’une famille qui a une rente de situation avec une kyrielle d’aides qui s’ajoutent et qu’elle collectionne encourageant la oisiveté. J’ai aussi une mesure plus cash pour « mettre un frein à l’immobilisme », instaurer un coefficient de vote de 2 pour les personnes ayant travaillé au moins 6 mois l’année précédente. Que l’on soit boulanger, commercial, ingénieur, artiste, on crée des richesses contrairement à un étudiant en licence de psychologie de 25 ans par exemple qui va faire des petits boulots très partiellement tout en étant hébergé chez ses parents ou un retraité qui souvent n’est pas assez tourné vers les générations futures. Une solidarité inter-générationnelle est nécessaire dans les 2 sens. Tout ceci passe par un projet fédérateur et d’envergure. Nous sommes devenus comme l’écrit Jérôme Fourquet un archipel français. Cette balkanisation est mortelle.

Votre ouvrage est critique à l’égard du modèle actuel, mais aussi porteur d’espoir. Quelles sont, selon vous, les forces spécifiques de la France qui pourraient nourrir un véritable renouveau ?

 

David Fayon : La France est créative, elle a des ingénieurs de bon niveau, est capable de prix Nobel, de médaillés Field, a créé le Concorde, a été pionnière du nucléaire, possède un patrimoine artisanale avec des savoir-faire ancestraux à préserver. On a pu constater à quel point cela était important lors des travaux de reconstruction de Notre Dame. La R&D doit être accélérée. Elle a aussi des talents au niveau artistique, nous avons une culture gastronomique, des territoires qui ont leur charme. C’est un réel plaisir de sillonner la France tant pour le travail que pour les vacances. Nous sommes le pays qui connaît tous les climats, les paysages. Des priorisations sont à effectuer avec une logique du temps long, des plans quinquennaux dans le bon sens du terme qui correspondent à celui d’une vision. Pour cela, un mandat présidentiel non renouvelable serait une solution quitte à le porter à 6 ou 7 ans.

Comment concilier pluralisme politique et stabilité démocratique dans un mondefragmenté et polarisé ?

 

David Fayon : C’est tout l’enjeu de gouverner dans l’incertitude mais en commençant par restaurer un climat de confiance sur le plan intérieur, un nouveau contrat social où les efforts ne soient pas à sens unique sans réformes structurelles d’envergure. Il serait bon pour la démocratie de recréer un débat entre une gauche et une droite rénovées plutôt que d’avoir un parti unique avec 2 blocs extrêmes en épouvantail, d’un côté Insoumis et les EELV faussement écologistes et wokistes et de l’autre le RN qui outre le passé sulfureux et raciste de Jean-Marie Le Pen est incohérent économiquement. Il est temps d’avoir le choix et de voter par adhésion et non stérilement pour faire barrage, ce qui conduit à des déconvenues ultérieures et un côté machiavélique de l’élu qui s’arroge une victoire même à la Pyrrhus.

À l’heure de l’IA générative et des deepfakes, comment cultiver un esprit critique dans un océan d’informations manipulables ?

 

David Fayon : Dans son ouvrage Vers l’armée de métier, Charles de Gaulle écrivait que la culture générale est la véritable école du commandement. Sans vouloir commander mais pour être acteur de son destin dans l’océan d’information qu’est le web, il est nécessaire d’être cultivé, de développer son esprit critique, de privilégier la qualité à la quantité, de vérifier les informations et de ne pas être crédule, de faire des liens entre des domaines de compétence différents. Dans Informez-vous !, je donne un hexagone du savoir avec les 3 compétences fondamentales qui restent d’actualité : lire, écrire et compter. A celles-ci s’ajoutent l’anglais, le numérique (avec la compréhension des principes des algorithmes), l’esprit critique face à l’information avec la créativité. Les enfants ne s’ennuient pas assez aujourd’hui. Happés par les écrans et avec moins de contact des livres, ils cultivent moins l’esprit d’évasion et de création. Et au cœur de cet hexagone j’ajoute les hard skills et les mad skills, ces dernières étant davantage prises en compte par les entreprises mais encore insuffisamment par des Ressources humaines encore ancienne école. Or c’est fondamental à l’heure des IA génératives.

 

2. Bonnes feuilles Informez-vous !, David Fayon, L’éditeur à part, juin 2025

[éléments du préambule]

Si Stéphane Hessel écrivait Indignez-vous !, je réponds au XXIe siècle par Informez-vous ! Comme il est scandé à l’École 42 de Xavier Niel auprès des étudiants à leur entrée, votre meilleur ami est Google… pour rechercher une information. C’est certes caricatural même si jadis nous empruntions le dictionnaire en cas de doute sur un mot, une notion. Désormais dans un monde devenu phygital, le champ des possibles d’investigation est immense : le réel et le virtuel cohabitent. Aussi il est crucial de le maîtriser. L’arrivée de l’intelligence artificielle générative change la donne en permettant à tout un chacun de créer à la demande des textes, du code informatique, des images, des sons et même des vidéos. Savoir rédiger un prompt efficace, c’est-à-dire une commande précise pour orienter des outils, devient désormais une compétence essentielle. L’art du prompt est roi et pas seulement Ubu. 

Cependant, il est tout aussi important de connaître les limites de ces technologies : elles peuvent être sujettes à des biais, produire des incohérences voire partager des informations erronées appelées « hallucinations ». Elles manquent aussi de transparence puisqu’elles ne partagent pas leurs sources ou du moins trop grossièrement. Autre point important, elles ne prennent pas en compte pleinement le contexte.

Chaque citoyen se doit en effet de développer son discernement, sa capacité d’analyse et son esprit critique dans le flot d’information qui ne fait que croître. La variété des sources est nécessaire non seulement dans le cadre du pluralisme mais aussi pour éviter les biais, les enfermements algorithmiques. Les réseaux sociaux, par exemple, favorisent souvent les contenus proches de nos centres d’intérêt, ce qui peut nous enfermer dans des « bulles de filtres ». 

Ces dernières limitent ainsi notre vision puisqu’elles ne font que nous présenter des points de vue similaires aux nôtres. En effet, pour le partage et la recherche d’information, nous avons connu 7 étapes successives. 

Au début de toutes les civilisations, nous avions la transmission orale. Vinrent les écrits sous différentes formes. Nous disposons aujourd’hui d’une multiplicité de sources multimédia qui se complètent et ajoutent une complexité. Du reste, la notion de pensée complexe d’Edgar Morin prend tout son sens dans notre société où la transdisciplinarité est nécessaire pour analyser avec recul et profondeur les informations multiples traitant d’un même sujet sous différents angles. Nous devons tenir compte de la fiabilité des sources selon les enjeux (politiques, économiques, de pouvoir, d’image ou d’(e-)réputation) et de la crédibilité des acteurs. 

La question centrale est la véracité de l’information. Et pour bien être informé et agir en connaissance de cause, il est nécessaire d’avoir l’intervention humaine éclairée tant dans la recherche que dans l’exploitation des données, laquelle permet jugement critique et contextualisation. Par ailleurs, les sujets de société sont complexes et demandent une approche holistique. Il est donc important de les analyser sous plusieurs angles tels que l’économique, le technique, le juridique ou le social pour ne citer que ceux-ci. Ceci permet alors à chacun de faire le tri entre la prétendue vérité car adoubée par la doxa, les possibles fake news et le complotisme. En effet « complotiste un jour n’est pas complotiste toujours » ou parfois il arrive d’avoir le tort d’avoir eu raison trop tôt… 

À cela s’ajoute la notion de « fenêtre d’Overton », c’est-à-dire l’ensemble des idées et des opinions acceptables et discutables à un moment donné dans une société sans être taxé d’extrémiste. Celle-ci peut évoluer (par exemple, abolition de la peine de mort, service militaire obligatoire, IVG) dans un sens ou dans un autre du fait de changements de l’opinion publique, des influences des médias et des discours politiques, des stratégies d’influence. Aussi, chaque situation mérite donc d’être examinée au cas par cas. Remonter à l’origine d’une information, comprendre qui en est l’auteur, son pédigrée, ses motivations, ses sources est instructif mais demande du temps qui va à l’encontre de l’instantanéité souhaitée de l’« hédoniste indépendant » qu’est devenu le citoyen contemporain. En effet, « les Français aiment les histoires belges car la première fois, ils les écoutent, la deuxième fois ils les répètent et la troisième fois, ils les comprennent ». Ceci vaut pour Internet où beaucoup relaient une information sans même la lire… C’est la recherche du scoop, de la viralité qui prime pour nous procurer l’adrénaline de la récompense : les « J’aime », les commentaires, les partages recherchés sur l’ensemble des réseaux sociaux. Le pouvoir rhétorique cher à Clément Viktorovitch et la puissance des algorithmes avec les bulles d’enfermement induites ne doivent pas vous aveugler voire vous droguer avec des cyberdépendances fortes. Ce sont les formules chocs qui l’emportent et imprègnent les esprits. Qui se souvient de « la force tranquille », du « travailler plus pour gagner plus » ou encore « le changement, c’est maintenant ! »? Ceci vient accréditer ce qu’écrivait Alexis de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique : « Il n’y a, en général, que les conceptions simples qui s’emparent de l’esprit du peuple. Une idée fausse, mais claire et précise, aura toujours plus de puissance dans le monde qu’une idée vraie, mais complexe. » Votre temps est précieux et votre cerveau mérite mieux que cela et doit être disponible autrement. Nous avons des mines d’informations, plurielles par ailleurs, tant sur Internet que dans la vraie vie. 

Il appartient à chacun de les exploiter intelligemment. L’enjeu réside finalement dans la bonne information qui conduit à la bonne décision : l’information a souvent été synonyme de pouvoir, du moins avoir une information avant que d’autres (concurrents, adversaires, collègues, etc.) l’aient. La société semble en déclin, et l’idée que « c’était mieux avant » gagne du terrain. Pendant ce temps, on observe chaque jour des restrictions de libertés dans les démocraties, souvent justifiées par des enjeux tels que la santé, l’environnement ou la sécurité lors d’évènements sportifs, avec notamment l’introduction de différents Pass successifs et plus récemment les interdictions pour certains véhicules d’accéder à des ZFE. 

Certains veulent nous raccrocher à la chance que nous avons de vivre en France, que c’est pire ailleurs, en mettant sous le tapis, non la poussière mais la dette qui constitue le nœud gordien du problème français, et ce que certains dirigeants refusent de voir pour conserver leur pouvoir. 

Cela fait indéniablement penser à la phrase de Coluche : « La France, comme elle est, c’est pas plus mal que si c’était pire ! » Dans ce contexte anxiogène de crise et dans un monde VUCA et désormais BANI où les décideurs doivent donner un cap, il peut être judicieux de s’inspirer de bonnes pratiques qui marchent dans d’autres nations (la Suisse, l’Estonie, la Corée du Sud ou les pays scandinaves par exemple) tout en gardant à l’esprit l’ADN de la culture française, le bon vivre ou le vrai vivre comme écrivait Jean-Pierre Coffe. 

Aussi il est vital de réformer drastiquement les trois fonctions publiques (État, territoriale, hospitalière), de simplifier l’arsenal juridique, d’assouplir les normes et de diminuer des dépenses non nécessaires. 

En complément à ce qu’écrivent Christophe Tardieu et David Lisnard dans leur livre La culture nous sauvera, il est indispensable d’ajouter la vision de Friedrich Nietzsche : « L’homme de l’avenir est celui qui aura la mémoire la plus longue. » Il s’agit en effet d’emmagasiner des données non pour les collectionner mais pour les exploiter

à bon escient et permettre d’agir en citoyen éclairé avec le recul du temps nécessaire dans le lieu ou la situation adéquate. Ainsi sont maximisées les trois unités de lieu, de temps et d’action du théâtre classique dont vous êtes le héros.

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