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MÀJ – L’ARTIFICIELLE CONSTRUCTION D’UN CONFLIT GÉNÉRATIONNEL … QUI PERMET DE NE PAS VOIR LES BÉANTES FAILLES SOCIÉTALES

MISE À JOUR

JEROME JAFFRÉ DANS C DANS L’AIR

https://www.facebook.com/share/v/15stJwqKTy/?sfnsn=scwspmo

Le lamentable débat relatif aux «  boomeurs irresponsables «  et aux «  jeunes rendus en esclavage«  lancé par Bayrou et cautionné par Macron

( qui n’a eu de cesse d’alimenter ce conflit artificiel depuis 3017 ) a été traité par METAHODOS dans plusieurs publications.

Ce débat a été orchestré pour faire oublier que c’est la politique budgétaire du régime Macron qui conduit à la faillite financière du pays.

( Il ne suffira pas d’accuser tantôt les partis politiques au Parlement ou les Français eux même d’être à l’origine de l’impuissance politique de Macron ou d’être responsable de la non maîtrise budgétaire, pour ouvrir une issue )

Nous vous proposons cet article de fond de Telos

ARTICLE – Un désamour entre les générations?

Monique Dagnaud. 16 septembre 2024 TELOS

La complicité entre les générations décline, alors que dans les décennies qui ont suivi mai 68 on a observé un rapprochement des valeurs entre les boomers et leurs enfants sous les auspices de la tolérance et de l’individualisme – les valeurs du libéralisme culturel. Certes, au sein des familles, l’affection et l’entre aide demeurent un ciment puissant. Mais, dans le contexte des dettes laissées aux nouvelles générations, s’accumulent de l’incompréhension et des rancœurs mutuelles, et se dessine un clivage perturbant pour la cohésion sociale.

Le Baromètre de la solidarité générationnelle publié en mars 2024[1] montre un climat intergénérationnel particulièrement morose : 60% (+5% par rapport à 2021) des sondés pensent qu’il y a un risque de conflit entre les générations, tensions alimentées par la dette écologique et l’état des finances publiques. Deux chiffres parmi une batterie d’indicateurs signalent un sentiment d’injustice des jeunes à l’égard des seniors : 61% des 18-26 ans pensent que « c’est la faute des générations précédentes si nous devons vivre dans un monde pollué » (contre 40% pour les plus de 60 ans) ;42% des 18-26 ans estiment que « la génération des baby-boomers est égocentrée et ne pense qu’à elle » (contre 17% des plus de 60 ans) 46% des 18-26 ans pensent qu’« aujourd’hui, les retraités sont des privilégiés par rapport aux actifs (qualité de vie, revenus ,patrimoine) (contre 20% chez les plus de 60 ans). Des données étayent ce dernier sentiment : la richesse et le taux d’épargne des retraités sont en moyenne un peu plus élevés que celui des actifs, mais il existe évidemment d’énormes disparités entre les individus. Décrivons à partir de plusieurs travaux les traits de ce désamour. Le temps à rebours

Pessimisme sur l’humanité, absence de confiance en l’avenir, impression d’être pris dans le piège écologique, dénonciation du capitalisme générateur d’inégalités : le « malheur français » est pleinement ressenti chez les nouvelles générations. Ce qui, chez beaucoup de vingtenaires et trentenaires, se cristallise, c’est le sentiment d’un destin contrarié. Presque un « no future » à résonnance historique, un sentiment que paradoxalement on repère avec intensité chez des diplômés (Enquête Et maintenant 2 effectuée en 2022 avec France Culture et Arte)[2] : comme si l’humanité s’était fourvoyée de chemin en avançant, comme si, indépendamment de tout élément chiffré ou référence symbolique, c’était mieux avant : dans cette enquête, 51% des 25-39 ans pensent qu’à leur âge « mes parents avaient une meilleure situation que moi[3] » ; parmi eux 37% des cadres et intellectuels, 41% des enseignants, le pensent ainsi aussi. Une sensation se dégage des réponses à cette enquête : l’humanité avance en régressant, et marche droit vers un précipice. Ceux qui ont eu 20 ans dans les années 60-80 auraient connu un Eden, un âge de félicités inimaginables où l’on pouvait s’inventer un avenir lumineux, la jeunesse d’aujourd’hui reste encore bouché bée de la « veine » dont ces « boomers », ses parents et grands-parents, ont bénéficié. Peu importe si en réalité, comme le notait Eric Chaney sur Telosles Trente Glorieuses, ce n’était pas une sinécure

Cette appréciation, particulièrement vive chez une large frange des jeunes diplômés, déborde largement le petit monde des amateurs de France Culture et d’Arte. Commentant les études du Cepremap sur le bonheur, l’économiste Claudia Senik[4] indique que presque personne aujourd’hui ne veut vivre dans l’avenir (autour de 3% même pour les jeunes), 30% disent qu’ils veulent vivre dans le temps présent, et presque les deux tiers préféreraient vivre dans un passé récent avec une préférence pour les années 1980, ou éventuellement les années 1990, un choix particulièrement affirmé chez les moins de 60 ans. Cet âge d’or englobe la période avant l’essor de la mondialisation, avant Internet, avant la financiarisation de l’économie, à une époque où la France pouvait encore se sentir préservée et privilégiée en cultivant son modèle[5] à l’intérieur de ses frontières.

Ainsi une projection commune découpe la société entre « monde d’avant et monde d’après » en référence à un contexte où la réalisation des espoirs portés par chacun semblait possible, les années 1980 ou 1990, opposé à un contexte où les espérances de chacun sont perçues comme inaccessibles, le monde d’aujourd’hui. Un climat plutôt désespérant pour la jeunesse. Ressenti des nouvelles générations

Pour les nouvelles générations cette amertume est redoublée par le fait qu’elles perçoivent dans le discours public d’incessantes récriminations contre les jeunes : un reproche qu’il faudrait nuancer, car le jeunisme des politiques et de nombre de boomers, jamais en manque d’ardeur pour imiter les comportements des jeunes, irrigue aussi la société. Mais, là encore, c’est le ressenti qui compte. En mars 2024 dans sa chronique de Philosophie magazine, la rédactrice en chef Anne-Sophie Moreau (passée par Normale Sup et l’ESSEC), pointant l’indécence des critiques répétées envers les jeunes (en tout cas selon sa perception de trentenaire), s’insurge et réclame, en retour, un réarmement civique des boomers : « À quand une manif de boomers réclamant au pouvoir en place (rappelons qu’ils sont les seuls à encore voter majoritairement pour le parti présidentiel) de cesser d’augmenter les pensions, de taxer les hauts patrimoines et d’augmenter les impôts sur les successions ? Un gouvernement responsable, c’est un gouvernement qui choisit d’investir dans l’avenir du pays – et ne se contente pas de financer des après-midis au golf pour satisfaire son électorat ». Et vlan : la guerre des générations est déclarée, avec au cœur, la dimension économique. Les boomers sont illustrés… par des joueurs de golf, ils apprécieront (pourquoi pas les propriétaires de SUV ou des habitués de croisières Costa ?). Peu de thèmes scintillent avec un tel éclat : la tension entre les générations traverse le débat public, relayée par l’indignation des trentenaires. Peu importe si l’évaluation globale est impressionniste, car on ne peut la tester qu’en approfondissant les paramètres : niveaux d’études ? revenus ? chômage ? accès à la propriété ? bien-être matériel ? fluidité de la communication ? Accès à certaines libertés ? Peu importe si les données socio-économiques mériteraient un affinement global[6] : ce qui résonne ce sont les aspects perçus comme des injustices infligées aux nouvelles générations par rapport à leurs parents et grands-parents. Dans un livre devenu best-seller, Sois jeune et tais-toi, la journaliste écologiste Salomé Saqué (Blast, France-Info et Socialter) revient sur le sujet des jeunes « qui ne sont pas écoutés » alors qu’ils sont confrontés à des obstacles : chômage, logement, pandémie, crise climatique. Elle occupe avec Camille Etienne[7], autre militante écologiste, le rôle de porte-drapeau de la jeunesse « sacrifiée » sur l’autel du libéralisme.

Tout changer : gaucho messianisme et conscience déchirée

Ce ressentiment des jeunes à l’égard des anciennes générations se traduit par une aspiration au Reset – terme issu de l’informatique qui signifie « réinitialiser ». Les anciennes générations se sont beaucoup fourvoyées, il faut tout changer, ce constat tombe sans l’ombre d’une hésitation. Dans l’enquête Et maintenant, seule une minuscule poignée, moins d’un jeune sur 10 des répondants (principalement des diplômés)[8] souhaite que l’on continue comme avant. C’est vraiment peu de candidats décidés à la poursuite de l’histoire sans de profonds changements. Première préoccupation pour la majorité des répondants : l’écologie, pour les trois-quarts des femmes et deux-tiers des hommes, alors que les générations de plus de 55 ans sont un peu moins obsédées par ce thème. Et pour cette population spécifique, le capitalisme est incompatible avec l’écologie, une appréciation émise par quatre répondants sur cinq des 25-39 ans. Les résultats des élections européennes de juin 2024[9]confirment cette réalité d’une jeunesse diplômée politiquement très à gauche, en tout cas pour ceux qui votent[10] : 40% des détenteurs d’un diplôme supérieur de second cycle de 18-35 ont voté pour la liste PS-Place publique (Raphaël Glucksmann) ou pour LFI (Manon Aubry), le score des 18-24 ans se déportant nettement plus vers LFI que vers le PS.

Cette radicalité exacerbée de la jeunesse diplômée s’articule à une vive sensibilité aux injustices sociales, un thème qui les atteint de façon paradoxale. Ils sont en effet au cœur des ambivalences des sociétés développées, au cœur de leurs fragmentations sociales et idéologiques. Ils reçoivent de plein fouet les débats sur les inégalités produites par le système scolaire, y compris ceux qui sévissent au sein de l’école elle-même sous l’influence de la pensée bourdieusienne. Dès lors, quelle image cette élite scolaire perçoit-elle d’elle-même ? Le mot élite dont l’aura s’est ternie et qui est devenu synonyme de pouvoir dominant et égoïste dans l’imaginaire populiste suscite interrogation ou même malaise chez eux. Ainsi, la connotation négative qui dans une bonne partie des médias assaille ce terme les agace, car parallèlement ils ont le sentiment d’avoir, par les efforts que leur parcours scolaire implique, dû gagner cette place de premiers de la classe. En même temps, avec lucidité, ils savent bien qu’ils ne sont pas représentatifs de l’ensemble de la société française, et plus largement, ils reconnaissent un certain enfermement social, car dans presque toutes les dimensions de leur existence, ils ne fréquentent que des personnes bac + 5 : les hauts diplômés travaillent entre eux, socialisent entre eux, se mettent en couple entre eux, et éduquent leurs enfants avec l’espoir d’en faire des hauts diplômés comme eux.

L’essayiste américain Richard V. Reeves (Dream Hoarders, Brookings Institute, 2017) a saisi pertinemment la conscience déchirée de la classe cultivée : « Je passe mes semaines à dénoncer la question des inégalités et je passe mes soirées et mes weekends à les renforcer. » Cette tension entre engagement idéologique et mode de vie caractérise une partie des nouvelles élites. Diplômées, soucieuses d’endosser les postures morales et progressistes, elles déclinent volontiers les thèmes de la lutte des classes et de la lutte des âges, et mènent une guerre culturelle contre le monde ancien et le libéralisme économique. Parallèlement, elles s’insèrent bien dans les fonctions de pouvoir et d’expertise, et assurent leur reproduction sociale. C’est à l’intérieur de cette conscience déchirée que germe l’aspiration au RESET. Une requête qui prouve, à fleurets mouchetés, que la guerre avec les anciennes générations est publiquement déclarée.

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