
ARTICLE – Le procès de trois « revenantes » du « califat » de Daech
Publié le 15/09/2025 ACTU JURIDIQUE Isabelle Horlans
Jennifer Clain, nièce des djihadistes qui ont revendiqué les attentats de novembre 2015 au nom de l’organisation État islamique, sa belle-mère Christine Allain et sa belle-sœur Mayalen Duhart comparaissent du 15 au 26 septembre devant la cour d’assises spécialement composée à Paris. Elles vont répondre d’association de malfaiteurs terroriste et, pour deux d’entre elles, de soustraction à leurs obligations envers neuf mineurs. Palais de justice de Paris (Photo : ©AdobeStock/uniqueVision
Ce n’est ni la première fois, ni la dernière, que des « revenantes » de Syrie, mariées aux djihadistes de l’organisation État islamique (EI, Daech*), sont jugées en France. Une quarantaine ont déjà été condamnées, dont la sage-femme Douha Mounib (12 ans de réclusion) et Amandine Le Coz (10 ans), épouse d’un bourreau. Quelque 70 autres sont mises en examen et, parmi elles, Sonia Mejri qui, avec son mari émir de l’EI, est soupçonnée d’avoir réduit en esclavage une jeune yézidie. En juillet, la cour d’appel de Paris a ordonné sa mise en accusation pour génocide de cette minorité persécutée. Une cinquantaine de femmes et une centaine d’enfants demeurent détenus dans les camps de rétention.
Parmi les 527 Françaises qui ont rejoint la zone irako-syrienne (le plus gros contingent européen), figurent les accusées dont le procès débute ce lundi. Celui-ci offre une particularité juridique : contre deux d’entre elles, mères de mineurs âgés de 3 à 13 ans, est retenu l’abandon matériel ou moral pour s’être soustraites sans motif légitime, de janvier 2013 à juillet 2019, à leurs obligations légales. Elles sont accusées d’avoir compromis la santé, la moralité, la sécurité et l’éducation de neuf enfants en les conduisant dans des zones d’opérations terroristes. Toutes sont à titre principal soupçonnées de participation à une association de malfaiteurs terroriste (AMT). Elles encourent 30 ans de réclusion.
Mariée à 15 ans par une famille qui veut « plaire à Allah »
Jennifer Clain, 34 ans, Christine Allain, 67 ans, et Mayalen Duhart, 42 ans, ont été arrêtées le 2 juillet 2019 en Turquie, après deux ans d’errance pour échapper aux Forces démocratiques syriennes arabo-kurdes (FDS) et à la coalition internationale. Rapatriées en septembre à Paris, mises en examen et écrouées, seules les deux premières restent détenues ; Mayalen Duhart a bénéficié en mars 2023 d’une libération sous contrôle judiciaire très strict. Catholiques converties à l’islam, elles font partie de la « filière Artigat », communauté salafiste ariégeoise dont sont issus de nombreux djihadistes (notre encadré ci-dessous).
L’ordonnance de renvoi devant les assises détaille leur parcours respectif en Syrie. Il apparaît terrifiant. Le dénominateur commun semble avoir été les frères Clain qui assuraient la propagande francophone de Daech, leur mère Marie-Rosanne et leur sœur Anne Diana, condamnée à neuf ans de prison en 2019. Jennifer Clain, sa fille, a reconnu durant l’instruction, ainsi qu’au procès du 13-Novembre où elle a été entendue comme témoin, « que [ses] oncles exerçaient une forte influence religieuse » sur le clan familial : « Chez nous, c’était normal d’aller en Syrie. »
Jennifer Clain, qui porte le voile à partir de 10 ans, en classe de 6e, épouse Kevin Gonot en mai 2006 (elle a fêté ses 15 ans en janvier). Ce converti lui a été présenté par son oncle Jean-Michel Clain ; elle l’a vu « deux ou trois fois » avant le mariage. L’adolescente loue « les bonnes valeurs » que lui a transmises sa mère Anne Diana, et sa famille pour « son envie de plaire à Allah ». Les Clain ont pour idole Oussama ben Laden depuis les attentats du 11-Septembre. Le couple s’installe en Égypte, mais Jennifer regagne la France pour accoucher de ses quatre premiers enfants.
En novembre 2013, Kevin Gonot part en Syrie. Jennifer l’y rejoint en 2014. Elle veut « soutenir les groupes qui mènent le djihad afin de combattre [le président] Bachar el-Assad et protéger les musulmans ».
L’étudiante en psychologie devenue « creuse et vidée »
Mayalen Duhart, sa belle-sœur par alliance, a 16 ans lorsqu’elle rencontre Thomas Collange, converti qui la radicalise. Elle bascule progressivement « dans une religion qui n’était pas la [sienne] ». Christine Allain, sa belle-mère, lui offre son premier voile, le Coran, l’emmène à la mosquée. Mariée en 2003, l’étudiante en psychologie « studieuse et douce » devient « creuse et vidée », selon son père. Le couple décide de vivre en Syrie : « Je l’ai suivi en pleurant », indiquera-t-elle au juge. Retour en France six mois plus tard jusqu’en 2006, qui marque le deuxième départ en Syrie avec leur fille ; elle y donne des cours durant deux ans. Ils s’y réinstallent de 2009 à 2011 avec leurs trois enfants. Puis, en 2014, ils effectuent le saut dans l’inconnu.
La proclamation du « califat » de l’EI a convaincu Mayalen Duhart de s’établir là où elle pourra « vivre avec les musulmans autour des valeurs communes de l’islam et sauver les Syriens ». Elle ne sait pas, assure-t-elle, que Daech est une organisation terroriste et dira « s’être fait arnaquer ». À Jarablus puis Raqqa, la jeune mère et ses enfants vivent dans une madafa (maison de femmes) décrite comme « une prison ». Ses petits ne mangent « pas à leur faim », elle doit leur « cacher [son] anxiété ». Titulaire d’une recommandation, son beau-frère Kevin Gonot l’en extrait. Elle emménage chez les Gonot, avec Jennifer Clain. Durant l’hiver 2015, elle retrouve son mari Thomas Collange. Mayalen réalise que la vie, à Raqqa, est loin d’être idéale : les femmes non couvertes intégralement y sont fouettées, les têtes décapitées le vendredi y sont exhibées. Les bombardements marquent ses enfants, autant que les vidéos d’exécutions que leur grand-mère Christine Allain télécharge sur sa tablette. Ces mêmes mineurs qui, sortant de leur école de l’EI, à la mi-novembre 2015, diront à leur mère Mayalen Duhart que les attentats en France ont été commis « car les victimes écoutaient de la musique ».
L’éducatrice spécialisée « irréprochable » et le « djihad légitime »
Christine Allain, la mère de Thomas Collange qui l’a convertie, et de Kevin Gonot, (ses co-accusées sont donc ses brues), était, selon ses collègues de 1995 à 2006, « un modèle d’éducatrice spécialisée » dans un foyer dont elle a été licenciée car sa foi lui interdisait de s’occuper de garçons. Son époux Stéphane Gonot l’invite à partir dans un pays musulman, dans un premier temps l’Égypte par intermittence, puis ce sera la Syrie en 2014. Interrogée sur la radicalisation de ses deux fils combattants avec Daech, elle dira que « dans l’esprit de tous, le djihad existe dans l’islam », qu’il est « légitime ». Le couple part en voiture à l’été, après la proclamation du califat, car « tout musulman a l’obligation de rejoindre un État régi par les lois de la charia ».
Dans une madafa de Raqqa, au bord de l’Euphrate, Christine Allain vit en compagnie de Jennifer Clain et de ses enfants. Elle décrit ainsi son arrivée : « C’était magnifique. Ça alliait deux choses dont je rêvais : être au Sham et vivre ma vie de musulmane sans être stigmatisée. » Bientôt, elle déchante, affirme-t-elle au juge : « J’ai réalisé que Daech mentait. » Après le décès de son époux tué par un drone, elle fuit l’EI avec ses fils, ses belles-filles et les enfants. L’audience établira si ce n’est pas plutôt par crainte des FDS et de la coalition qui reconquièrent dans des combats acharnés les territoires de Daech. Arrive le temps des pérégrinations d’un lieu à l’autre dès mars 2017 au gré des offensives kurdes, la famille étant soumise à l’insécurité totale. Jusqu’à l’arrestation. D’abord les fils capturés, puis les femmes et enfants, jetés dans un camp à Azaz (Syrie), cité proche de la Turquie. Franchissant la frontière afin de s’y établir, ne voulant pas rentrer en France pour ne pas être incarcérées et séparées de leur progéniture, elles signent la fin de leur périple.
Les quatre enfants de Mayalen Duhart, nés entre 2006 et 2013, et les cinq de Jennifer Clain, nés entre 2007 et 2016, se sont constitués parties civiles. Ils sont représentés par l’association SOS Victimes 93 de Seine-Saint-Denis qui accueille la majorité des mineurs revenus de Syrie.
* L’acronyme Daech, jugé « péjoratif » par certains, apparaît en 2014 quand des États, dont la France, dénient la dénomination d’Etat et tout caractère islamique à l’entité terroriste.
La famille Clain et la « filière Artigat »
Parties rejoindre le « califat » de Daech, les trois « revenantes » ont subi, à des degrés divers, l’influence de la famille Clain et de la communauté d’Artigat (Ariège). Ce réseau salafiste a envoyé de nombreux djihadistes combattre en Irak, et plus tard en Syrie.
Fondée par Abdel Ilah Al-Dandachi, un Syrien naturalisé français en 1983 sous le nom d’Olivier Corel, dit « l’émir blanc », la filière Artigat, du nom d’un petit village de l’Ariège, est connue pour avoir endoctriné, radicalisé de nombreux musulmans ou convertis. Parmi eux, le terroriste Mohamed Merah, auteur des tueries de Toulouse et Montauban en 2012, et les frères Jean-Michel et Fabien Clain, partis respectivement en 2014 et 2015 avec leurs familles dans les zones contrôlées par le groupe État islamique. Ils ont produit les messages francophones incitant au djihad, et revendiqué les attentats du 13-Novembre. Ils ont été tués en 2019 par une frappe de la coalition internationale.
De la sœur aînée Anne Diana (condamnée à neuf ans de prison fin 2019) à sa fille Jennifer, en passant par la matriarche Marie-Rosanne (morte d’une maladie en Syrie) et les épouses des frères Clain, dont Dorothée Maquère qui s’est confiée à M6 dans le camp où elle est détenue depuis quatre ans, la famille Clain, des catholiques convertis à l’islam radical, a adhéré à l’idéologie mortifère de Daech. Les Clain ont fréquenté Olivier Corel, qui n’a jamais été condamné, et les membres de la filière Artigat partis faire le djihad en Irak (jugés en 2009) et d’autres embrigadés par la suite en Syrie. Au nombre de ces derniers, figurent Stéphane Gonot (mort à Raqqa) et sa femme Christine Allain, jugée dès lundi, son fils Thomas Collange capturé par les FDS, marié à Mayalen Duhart (jugée aussi) et leur fils Kevin Gonot (condamné à mort), époux de Jennifer Clain, la troisième comparante.