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MISE À JOUR – LES « REVENANTES » TRÈS CHARGÉES DE DAECH

MISE À JOUR:

2. ARTICLE – Procès des revenantes de Daech : trois chemins de radicalisation au féminin 

Publié le 17/09/2025 Olivia Dufour

La cour d’assises spécialement composée s’est penchée, lundi et mardi, sur le parcours de vie des accusées et leur personnalité. L’une a été convertie à l’islam radical par son amoureux, une autre par sa famille, la troisième par son fils. Entrée arrière du palais de justice de Paris (Photo : ©AdobeStock/Pixarno)

Elles ont 42, 34 et 67 ans, deux comparaissent détenues, la troisième est libre, sous contrôle judiciaire. Mayalen Duhart et Jennyfer Clain ont épousé respectivement Thomas Collange et Kevin Gonot, les fils de la troisième accusée, Christine Allain. C’est leur radicalisation qui les a amenées dans cette salle d’audience, elles encourent 30 ans de prison pour s’être rendues en Syrie avec leur famille dans les années 2010 (lire la présentation de l’affaire ici). Aujourd’hui, elles doivent répondre en justice, non seulement d’association de malfaiteurs terroriste, mais aussi, s’agissant des deux plus jeunes, d’avoir compromis la santé, l’éducation et la sécurité de leurs neuf enfants en les emmenant vivre en zone de guerre. Nés entre 2006 et 2016, ceux-ci sont représentés par un administrateur ad hoc, ils se sont portés partie civile, et certains sont assis dans la salle. Comme il est d’usage, la cour a commencé par entendre les enquêteurs de personnalité et les accusées sur leur parcours de vie : enfance, études, situation matrimoniale et professionnelle…Une occasion unique de comprendre comment ces trois femmes, catholiques de naissance, et pratiquantes pour certaines, se sont converties à l’islam et ont décidé de quitter la France pour rejoindre l’état islamique en Syrie.

 Mayalen, la convertie par amour

La première à s’exprimer est Mayalen Duhart, 42 ans. Aujourd’hui, elle travaille dans une boulangerie et vit près de Paris. C’est la plus déradicalisée de toutes. La plus émue aussi dans la salle d’audience. Sa conversion à l’islam, elle l’a faite par amour. Née en 1982 à Biarritz, elle a connu une enfance heureuse à Anglet au Pays basque, puis à Cambo-les-Bains, petite commune à 20 kilomètres de Bayonne, entourée de parents aimants, auprès d’une sœur avec laquelle elle se sent fusionnelle. Il y a une fêlure quand même, elle avait une sœur siamoise attachée à sa tête dans le ventre de sa mère et morte avant sa naissance. Une histoire qui visiblement la hante. Des années plus tard, alors qu’elle est en Syrie, elle perdra un enfant à l’âge de 10 mois, sans doute d’une gastroentérite. « Le médecin syrien a refusé de soigner un enfant de l’EI, je ne l’ai pas dénoncé, il aurait été torturé et assassiné ». Mais revenons à son enfance. Elle est catholique, baptisée, a suivi le catéchisme et fait sa première communion ainsi que sa confirmation. Toutefois, et contrairement à ses deux coaccusées, Mayalen Duhart fait partie de ces nombreux croyants non pratiquants dont la religion relève plus de l’héritage culturel qu’autre chose.

 « Il était différent de mon entourage, plus intellectuel » 

Vient le temps des amours de vacances. Elle rencontre Thomas, le trouve beau, et même mieux que cela « magnifique ». À l’époque, il boit des bières, fume du shit, arbore des dreadlocks. Rien ne laisse présager qu’il va se radicaliser.  « On passait du temps à discuter, on refaisait le monde, il était différent de mon entourage, plus intellectuel » explique-t-elle. Les amours de vacances se terminent souvent à la fin de l’été. Pas celui-là. Elle est en terminale, lui déjà en première année de lettres à Toulouse. Elle rêve de le rejoindre là-bas, c’est l’homme de sa vie, le père de ses enfants. Alors, elle s’inscrit en psychologie à Toulouse, à l’automne 2001. Et le rêve s’accomplit. Les voici ensemble. Seule ombre au tableau, il s’est converti à l’islam au mois de janvier précédent. Cela ne l’a pas encore changé. C’est brusquement que tout bascule, en l’espace de quelques mois. Sans doute sous l’influence des frères Clain, membres de la filière de combattants pour l’Irak dite d’Artigat qui joueront ensuite un rôle dans les attentats du 13 novembre. Il les fréquente à la mosquée, dans le quartier du Mirail. Thomas exige soudain qu’elle se convertisse à son tour, elle refuse. Impossible pour lui de vivre avec une non-musulmane, il la quitte. Mayalen se rapproche alors de la mère de Thomas, « il est devenu une autre personne » analyse-t-elle, au point qu’elle a le sentiment « qu’il est entré dans une secte ».

« Elle m’avait trahie, elle m’abandonnait »

Ensemble, les deux femmes décident de tout faire pour le récupérer, « on partageait la même tristesse, elle avait perdu son fils, moi l’homme de ma vie ». Las, Thomas finit par convertir sa mère.  « Ce que je ressentais, c’est qu’elle m’avait trahie, qu’elle avait changé de camp. Qu’elle m’abandonnait » raconte Mayalen Duhart. Nous sommes en février 2002. Elle résiste encore, mais plus pour longtemps. « Thomas a été le début et Christine a été l’aboutissement » explique-t-elle aux enquêteurs à propos de sa conversion. Puisque c’est le passage obligé pour le mariage, elle cède. « J’étais bien dans ma peau, je n’avais aucune quête spirituelle », confie-t-elle. Malgré tout, le piège se referme. Elle change de prénom comme il est d’usage et s’appelle désormais Assia, porte le voile, lit le Coran, et renonce à ses ambitions d’indépendance. Ses parents voient son évolution religieuse d’un mauvais œil, ils ont peur, mais respectent sa liberté. C’est le jour de son premier départ en Syrie en 2004 qu’ils apprennent qu’elle s’est mariée et qu’elle quitte la France. La suite est une longue descente aux enfers. Le couple fait des allers-retours entre les deux pays avant de partir pour de bon à l’automne 2014. Rapatriée en 2019, elle est placée en détention et ses quatre enfants à l’ASE.  « Petit à petit, j’ai glissé dans tout ce que je ne voulais pas, analyse-t-elle aujourd’hui. C’est entré graine par graine, j’étais indépendante, autonome et je me suis retrouvée à obéir à mon mari ». Mais elle ajoute qu’elle n’a jamais fait allégeance à l’EI. La religion ? Elle croit toujours en Dieu, seulement elle n’a plus besoin de rituels, et « priorise son bien-être sur la pratique de l’islam ».

À la barre, sa voix se brise lorsqu’elle évoque sa fille aînée, assise dans le public. Celle-ci porte une abaya bleu foncé et un voile de la même couleur qui ne laisse apparaître que l’ovale de son visage. « Elle était proche de sa grand-mère et de son père », tente d’expliquer sa mère. Thomas Collange est aujourd’hui détenu par les forces kurdes en Syrie. Dans ce contexte, alors que l’accusée renie tout ce qu’elle a été et qui semble la faire souffrir autant qu’elle en a honte, la silhouette recouverte de tissu sur son banc ressemble à la statue du commandeur dans le Dom Juan de Mozart, elle est la figure terrifiante de la culpabilité. « Je n’ai pas su protéger mes enfants » se désole Mayalen Duhart.

Jennyfer, convertie par sa famille

Jennyfer Clain, alias Fatima, est aussi à l’aise et volubile que sa belle-sœur apparait gênée et émue.  Dès le début du procès, elle a tenu, contrairement aux deux autres accusées, à faire une déclaration : « Je ne suis pas là pour nier, j’ai adhéré à ce groupe terroriste tueur et j’ai amené mes enfants alors que je devais les protéger… ». Émue, elle s’éclaircit la gorge avant de poursuivre : « je suis coupable, je regrette, je regrette tellement, mais je ne peux pas revenir en arrière, je suis comme ces six dernières années : sincère et transparente pour que vous puissiez me juger justement ». À la radicalisation amoureuse de l’une répond la radicalisation familiale de l’autre. Née en 1991 d’une mère qui n’a que quinze ans, Jennyfer Clain mène une enfance sans histoire, celle d’une élève plutôt douée, bavarde, gentille et serviable. Seule ombre au tableau, le père absent qu’elle ne voit pas, malgré son droit de visite. Consommateur de drogues dures, il se suicidera. Une autre ombre pèse sur la famille, dont elle ne s’aperçoit pas. Son oncle Fabien est le premier à se convertir, puis toute la famille bascule dans l’islam radical. Elle a 8 ans. En 2000, le clan quitte Alençon pour Toulouse, dans l’objectif de mieux vivre sa religion, et notamment pour les femmes, de pouvoir porter le voile plus facilement. La communauté musulmane y est, en effet plus importante.

 Mariée à 15 ans, mère à 16 ans

Jennyfer est si douée qu’elle a sauté le CM2 pour entrer directement en 6e. Mais tout se complique. Elle n’a que dix ans et décide de porter le voile, de son plein gré, précise-t-elle. Elle choisit d’étudier à distance pour ne pas le retirer. Son niveau s’effondre, elle redouble. Après un passage dans une école musulmane, elle met fin à ses études en 4e. Nous sommes en 2005. La famille ne fréquente plus que des musulmans. Selon elle, ce sont les attentats du 11 septembre 2001 qui font entrer le djihadisme sous leur toit. Ben Laden y devient « une idole ». En 2006, à l’âge de quinze ans, elle se marie avec un homme que lui a présenté son oncle, Jean-Michel Clain. Mariage forcé ? Elle assure que non et invoque le coup de foudre. En juin de la même année, le couple part en Égypte pour apprendre l’arabe et s’installe chez Jean-Michel Clain. En 2007, sa première grossesse l’incite à arrêter ses études.  Elle n’a que 16 ans. Faute d’argent, le couple rentre en France, puis repart en Égypte.  C’est en mai 2014 qu’ils rejoignent l’EI en Syrie. Mais le rêve s’assombrit très vite, certains membres de son entourage sont arrêtés et torturés, elle décide de partir en 2016, traverse la Syrie et rejoint sa belle-sœur. Elles ne se quitteront plus jusqu’à leur rapatriement en 2019.

« Je ne veux plus de communautarisme »

La religion ? Avant la conversion, sa famille allait tous les dimanches à la messe. Elle est passée de catholique à musulmane, mais Dieu n’a jamais cessé d’occuper une place très importante dans sa vie. Quand l’enquêtrice de personnalité la rencontre, en 2022 en prison, Jennyfer est toujours musulmane. Toutefois, elle assure avoir pris ses distances avec son passé. L’étude de la seconde guerre mondiale lui a permis de découvrir beaucoup de choses chez Hitler qui faisaient écho avec l’état islamique, confie-t-elle. Elle étudie la psychologie en détention pour comprendre son cheminement d’endoctrinement. Et prendre du recul. « Je pensais que c’était mon choix de porter le voile à 10 ans.  Ma fille a dix ans, je comprends qu’on veut ressembler à ses parents, c’était des choix, mais pour rendre fière ma mère ». En prison, le voile est interdit. Dans le box, elle est tête nue. « Au début ça a été compliqué, mais je me suis habituée, ça m’a fait réfléchir à ce qu’il représentait pour moi. Aujourd’hui, je suis musulmane, quand je sortirai, je voudrais le porter. Ça ne m’empêchera pas de me mélanger à la société, je ne veux plus de communautarisme ». Elle ne veut plus non plus entendre parler de son mari, Kevin, condamné à mort (peine commuée en perpétuité) en Irak. Pour avancer, dit-elle, elle doit se séparer de son passé. Elle a gagné, en prison, un prix de poésie au niveau national, « c’était la première fois que je participais à quelque chose dans la nation française. Cela m’a fait beaucoup de bien ».

Christine, convertie par son fils

La troisième enfin, Christine Allain, 67 ans, alias Maryam, a été radicalisée par …son fils, Thomas.  Née en Martinique, elle revient en France suite à la mutation de son père militaire. Elle semble plutôt heureuse de ce changement. Elle aurait souffert de racisme à l’école étant là-bas la seule blanche dans sa classe. Surtout, elle y a vécu un drame. Sa mère étant atteinte d’une paralysie inexpliquée, on lui confie la surveillance de sa petite sœur, cinq ans, qui se noie. Ses parents l’en tiennent pour responsable. Elle n’a que treize ans. Elle reçoit une éducation chrétienne très stricte, elle est baptisée et raconte qu’elle adorait aller au catéchisme et qu’elle se rendait spontanément à la messe, « c’était essentiel, je n’ai jamais cessé de croire » confie-t-elle. C’est en classe de seconde qu’elle bascule. Le viol qu’elle dit avoir subi dans un train entre le Pays Basque et Paris est sans doute l’explication. Christine Allain parle d’une adolescence abominable « tout ce que je n’avais pas le droit de faire, je le faisais ». Elle ira jusqu’à la tentative de suicide. Et puis elle rencontre Jean-Marc Collange et tombe enceinte de Thomas qui nait en 1982. L’accouchement est suivi d’une psychose post-partum sévère qui l’envoie en hôpital psychiatrique durant des mois. Professionnellement, elle exerce le métier d’éducatrice qui la passionne et dans lequel elle excelle aux dires de son entourage. Puis, Jean-Marc Collange sort de sa vie,  Stéphane Gonot y entre. C’est le père de son deuxième fils, Kevin. Alors que Thomas vient de se convertir en 2001, Christine confie qu’à cette époque, elle est en recherche. Alors, elle lit le Coran, demande à rencontrer des femmes musulmanes. Son fils se fait plus insistant et elle se convertit brusquement en février 2002. Dans la foulée, elle annonce à son mari qu’elle le quitte : impossible de vivre avec un non-musulman. Il décide alors de se convertir aussi pour la garder. Christine prétend qu’elle aurait en revanche interdit à Thomas de faire pression sur son petit frère Kevin. Toujours est-il qu’il se convertit lui aussi, l’année suivante, tout comme Mayelen. Christine raconte qu’elle a proposé à celle-ci de venir chez elle pendant cinq semaines pour parler de religion, la jeune femme accepte, se convertit, et épouse Thomas dans la foulée, fin août 2003. « J’ai eu un rôle dans la conversion de Mayalen, elle me faisait confiance et j’étais convaincue » admet Christine, tout en précisant qu’un ami de son fils avait aussi joué un rôle important en l’appelant régulièrement et en lui déposant des documents dans sa boite aux lettres.

« J’étais radicalisée dès le moment où j’étais entrée dans l’islam »

Qui dit conversion à l’islam, n’implique pas forcément radicalité , loin de là. Sauf que c’est bien l’islam radical qu’ils ont tous embrassé. Peu à peu la famille se replie sur la communauté. Christine change de prénom pour Maryam – parce que le sien est trop connoté chrétien, explique-t-elle à la barre. Surtout, elle renonce à un emploi qu’elle adorait. Comment, en effet, concilier le port du voile et l’interdiction de mixité sur le lieu de travail. Son fils lui donne le numéro d’un imam parisien pour la guider. Celui-ci lui explique qu’elle peut commencer par mettre un bandana pour couvrir ses cheveux, et que, s’agissant des hommes, elle ne doit pas rester seule avec eux dans une pièce. Si elle y est obligée, qu’au moins elle laisse une porte ou une fenêtre ouverte, se souvient-elle. « Mais comment expliquer aux collègues que je n’allais plus leur faire la bise ou leur serrer la main ? ». Estimant que sa religion est incompatible avec son métier, surtout en raison de la mixité professionnelle qui s’oppose à la non-mixité à la maison, elle s’arrange pour se faire licencier. « Je suis partie pour ne pas mettre la pagaille » commente-t-elle. C’est une première rupture. La deuxième surgit lors de la perquisition qui a lieu au domicile familial dans le cadre de la filiale Artigat à laquelle son fils Thomas est soupçonné de participer. « J’étais radicalisée dès le moment où j’étais entrée dans l’islam et je ne m’en rendais pas compte, analyse aujourd’hui Christine. La petite vie tranquille qu’on s’était programmée dans le Lot n’était plus possible. Lors de la perquisition, on s’est dit qu’il fallait absolument partir ». Elle évoque le déchainement médiatique qui avait entouré la perquisition, « les images de leur maison tournant en boucle sur toutes les chaines » et précise, « on tombait des nues, mon fils, je ne l’avais jamais entendu parler de djihad ». La Syrie ? Elle y est allée pour vivre sous un califat. Elle estime que la radicalisation s’est traduite par le fait d’accepter des choses qui n’étaient pas dans ses croyances. Sur place, son mari étant diabétique n’a pu devenir combattant. Les civils ne sont pas payés par l’EI, ils ont vécu grâce à leur fils Kevin. Elle estime avoir été manipulée, commence à se souvenir en détention des vidéos d’exécution qu’elle avait occultées, confie que le plus dur était de voir la terreur dans les yeux de ses petits enfants pendant un bombardement.

« J’ai fait assez de prosélytisme dans ma vie »

Où en est-elle aujourd’hui ? Difficile à dire. L’islam occupe encore une place si importante dans sa vie qu’elle confirme à l’audience ce qu’elle avait déjà dit il y a des années aux enquêteurs, que son fils a été son « sauveur », précisant « je n’aurais pas ouvert un Coran sans lui ». Malgré tout ce qui s’est passé ensuite, le départ en Syrie, la vie dans les camps, ses deux enfants emprisonnés, ses petits-enfants traumatisés, ses deux belles-filles et elle poursuivies pour association de malfaiteur terroriste ? Cette détenue modèle, jeune retraitée qui a passé une licence de philosophie en prison et s’adapte avec « intelligence et finesse » à la vie en détention, pense visiblement que l’Islam le valait bien. Elle a modifié son approche de la religion, convient que celle de son fils n’était pas la bonne, mais l’intensité de son engagement religieux semble intact.  Le terrorisme ? Elle le condamne, car il nuit à l’image de l’islam. Les attentats-suicide ? Elle est contre parce que le suicide est interdit par la religion. Pour les psychologues, elle n’a pas encore atteint le stade de la culpabilité. Si elle a un droit de visite sur les enfants de Jennyfer, elle a juste le droit d’écrire à ceux de Mayelen. Mais la fille ainée de celle-ci, majeure, va voir sa grand-mère en prison. Que pense Christine de la tenue de la jeune fille qui fait pleurer sa mère ?  L’accusée répond « elle a eu son bac, elle vit seule et ça se passe bien, elle regarde la télévision, elle n’est pas radicalisée ». Contrairement à Mayelen, elle ne semble pas décidée à la mettre en garde contre les risques de la radicalisation.  « Si sa tenue lui permet d’être bien, c’est son choix, je n’ai pas à penser à sa place, j’ai fait assez de prosélytisme dans ma vie », estime celle qui continue de se faire appeler Maryam et dont le chemin vers la prise de conscience semble loin d’être achevé…

Ce mercredi, la cour entend les enquêteurs.

1. ARTICLE – Le procès de trois « revenantes » du « califat » de Daech

Publié le 15/09/2025 ACTU JURIDIQUE Isabelle Horlans 

Jennifer Clain, nièce des djihadistes qui ont revendiqué les attentats de novembre 2015 au nom de l’organisation État islamique, sa belle-mère Christine Allain et sa belle-sœur Mayalen Duhart comparaissent du 15 au 26 septembre devant la cour d’assises spécialement composée à Paris. Elles vont répondre d’association de malfaiteurs terroriste et, pour deux d’entre elles, de soustraction à leurs obligations envers neuf mineurs.  Palais de justice de Paris (Photo : ©AdobeStock/uniqueVision

 Ce n’est ni la première fois, ni la dernière, que des « revenantes » de Syrie, mariées aux djihadistes de l’organisation État islamique (EI, Daech*), sont jugées en France. Une quarantaine ont déjà été condamnées, dont la sage-femme Douha Mounib (12 ans de réclusion) et Amandine Le Coz (10 ans), épouse d’un bourreau. Quelque 70 autres sont mises en examen et, parmi elles, Sonia Mejri qui, avec son mari émir de l’EI, est soupçonnée d’avoir réduit en esclavage une jeune yézidie. En juillet, la cour d’appel de Paris a ordonné sa mise en accusation pour génocide de cette minorité persécutée. Une cinquantaine de femmes et une centaine d’enfants demeurent détenus dans les camps de rétention.

Parmi les 527 Françaises qui ont rejoint la zone irako-syrienne (le plus gros contingent européen), figurent les accusées dont le procès débute ce lundi. Celui-ci offre une particularité juridique : contre deux d’entre elles, mères de mineurs âgés de 3 à 13 ans, est retenu l’abandon matériel ou moral pour s’être soustraites sans motif légitime, de janvier 2013 à juillet 2019, à leurs obligations légales. Elles sont accusées d’avoir compromis la santé, la moralité, la sécurité et l’éducation de neuf enfants en les conduisant dans des zones d’opérations terroristes. Toutes sont à titre principal soupçonnées de participation à une association de malfaiteurs terroriste (AMT). Elles encourent 30 ans de réclusion.

Mariée à 15 ans par une famille qui veut « plaire à Allah »

Jennifer Clain, 34 ans, Christine Allain, 67 ans, et Mayalen Duhart, 42 ans, ont été arrêtées le 2 juillet 2019 en Turquie, après deux ans d’errance pour échapper aux Forces démocratiques syriennes arabo-kurdes (FDS) et à la coalition internationale. Rapatriées en septembre à Paris, mises en examen et écrouées, seules les deux premières restent détenues ; Mayalen Duhart a bénéficié en mars 2023 d’une libération sous contrôle judiciaire très strict. Catholiques converties à l’islam, elles font partie de la « filière Artigat », communauté salafiste ariégeoise dont sont issus de nombreux djihadistes (notre encadré ci-dessous).

L’ordonnance de renvoi devant les assises détaille leur parcours respectif en Syrie. Il apparaît terrifiant. Le dénominateur commun semble avoir été les frères Clain qui assuraient la propagande francophone de Daech, leur mère Marie-Rosanne et leur sœur Anne Diana, condamnée à neuf ans de prison en 2019. Jennifer Clain, sa fille, a reconnu durant l’instruction, ainsi qu’au procès du 13-Novembre où elle a été entendue comme témoin, « que [ses] oncles exerçaient une forte influence religieuse » sur le clan familial : « Chez nous, c’était normal d’aller en Syrie. »

Jennifer Clain, qui porte le voile à partir de 10 ans, en classe de 6e, épouse Kevin Gonot en mai 2006 (elle a fêté ses 15 ans en janvier). Ce converti lui a été présenté par son oncle Jean-Michel Clain ; elle l’a vu « deux ou trois fois » avant le mariage. L’adolescente loue « les bonnes valeurs » que lui a transmises sa mère Anne Diana, et sa famille pour « son envie de plaire à Allah ». Les Clain ont pour idole Oussama ben Laden depuis les attentats du 11-Septembre. Le couple s’installe en Égypte, mais Jennifer regagne la France pour accoucher de ses quatre premiers enfants.

En novembre 2013, Kevin Gonot part en Syrie. Jennifer l’y rejoint en 2014. Elle veut « soutenir les groupes qui mènent le djihad afin de combattre [le président] Bachar el-Assad et protéger les musulmans ».

L’étudiante en psychologie devenue « creuse et vidée »

 Mayalen Duhart, sa belle-sœur par alliance, a 16 ans lorsqu’elle rencontre Thomas Collange, converti qui la radicalise. Elle bascule progressivement « dans une religion qui n’était pas la [sienne] ». Christine Allain, sa belle-mère, lui offre son premier voile, le Coran, l’emmène à la mosquée. Mariée en 2003, l’étudiante en psychologie « studieuse et douce » devient « creuse et vidée », selon son père. Le couple décide de vivre en Syrie : « Je l’ai suivi en pleurant », indiquera-t-elle au juge. Retour en France six mois plus tard jusqu’en 2006, qui marque le deuxième départ en Syrie avec leur fille ; elle y donne des cours durant deux ans. Ils s’y réinstallent de 2009 à 2011 avec leurs trois enfants. Puis, en 2014, ils effectuent le saut dans l’inconnu.

La proclamation du « califat » de l’EI a convaincu Mayalen Duhart de s’établir là où elle pourra « vivre avec les musulmans autour des valeurs communes de l’islam et sauver les Syriens ». Elle ne sait pas, assure-t-elle, que Daech est une organisation terroriste et dira « s’être fait arnaquer ». À Jarablus puis Raqqa, la jeune mère et ses enfants vivent dans une madafa (maison de femmes) décrite comme « une prison ». Ses petits ne mangent « pas à leur faim », elle doit leur « cacher [son] anxiété ». Titulaire d’une recommandation, son beau-frère Kevin Gonot l’en extrait. Elle emménage chez les Gonot, avec Jennifer Clain. Durant l’hiver 2015, elle retrouve son mari Thomas Collange. Mayalen réalise que la vie, à Raqqa, est loin d’être idéale : les femmes non couvertes intégralement y sont fouettées, les têtes décapitées le vendredi y sont exhibées. Les bombardements marquent ses enfants, autant que les vidéos d’exécutions que leur grand-mère Christine Allain télécharge sur sa tablette. Ces mêmes mineurs qui, sortant de leur école de l’EI, à la mi-novembre 2015, diront à leur mère Mayalen Duhart que les attentats en France ont été commis « car les victimes écoutaient de la musique ».

L’éducatrice spécialisée « irréprochable » et le « djihad légitime »

 Christine Allain, la mère de Thomas Collange qui l’a convertie, et de Kevin Gonot, (ses co-accusées sont donc ses brues), était, selon ses collègues de 1995 à 2006, « un modèle d’éducatrice spécialisée » dans un foyer dont elle a été licenciée car sa foi lui interdisait de s’occuper de garçons. Son époux Stéphane Gonot l’invite à partir dans un pays musulman, dans un premier temps l’Égypte par intermittence, puis ce sera la Syrie en 2014. Interrogée sur la radicalisation de ses deux fils combattants avec Daech, elle dira que « dans l’esprit de tous, le djihad existe dans l’islam », qu’il est « légitime ». Le couple part en voiture à l’été, après la proclamation du califat, car « tout musulman a l’obligation de rejoindre un État régi par les lois de la charia ».

Dans une madafa de Raqqa, au bord de l’Euphrate, Christine Allain vit en compagnie de Jennifer Clain et de ses enfants. Elle décrit ainsi son arrivée : « C’était magnifique. Ça alliait deux choses dont je rêvais : être au Sham et vivre ma vie de musulmane sans être stigmatisée. » Bientôt, elle déchante, affirme-t-elle au juge : « J’ai réalisé que Daech mentait. » Après le décès de son époux tué par un drone, elle fuit l’EI avec ses fils, ses belles-filles et les enfants. L’audience établira si ce n’est pas plutôt par crainte des FDS et de la coalition qui reconquièrent dans des combats acharnés les territoires de Daech. Arrive le temps des pérégrinations d’un lieu à l’autre dès mars 2017 au gré des offensives kurdes, la famille étant soumise à l’insécurité totale. Jusqu’à l’arrestation. D’abord les fils capturés, puis les femmes et enfants, jetés dans un camp à Azaz (Syrie), cité proche de la Turquie. Franchissant la frontière afin de s’y établir, ne voulant pas rentrer en France pour ne pas être incarcérées et séparées de leur progéniture, elles signent la fin de leur périple.

Les quatre enfants de Mayalen Duhart, nés entre 2006 et 2013, et les cinq de Jennifer Clain, nés entre 2007 et 2016, se sont constitués parties civiles. Ils sont représentés par l’association SOS Victimes 93 de Seine-Saint-Denis qui accueille la majorité des mineurs revenus de Syrie.

* L’acronyme Daech, jugé « péjoratif » par certains, apparaît en 2014 quand des États, dont la France, dénient la dénomination d’Etat et tout caractère islamique à l’entité terroriste.

La famille Clain et la « filière Artigat »

Parties rejoindre le « califat » de Daech, les trois « revenantes » ont subi, à des degrés divers, l’influence de la famille Clain et de la communauté d’Artigat (Ariège). Ce réseau salafiste a envoyé de nombreux djihadistes combattre en Irak, et plus tard en Syrie.

 Fondée par Abdel Ilah Al-Dandachi, un Syrien naturalisé français en 1983 sous le nom d’Olivier Corel, dit « l’émir blanc », la filière Artigat, du nom d’un petit village de l’Ariège, est connue pour avoir endoctriné, radicalisé de nombreux musulmans ou convertis. Parmi eux, le terroriste Mohamed Merah, auteur des tueries de Toulouse et Montauban en 2012, et les frères Jean-Michel et Fabien Clain, partis respectivement en 2014 et 2015 avec leurs familles dans les zones contrôlées par le groupe État islamique. Ils ont produit les messages francophones incitant au djihad, et revendiqué les attentats du 13-Novembre. Ils ont été tués en 2019 par une frappe de la coalition internationale.

De la sœur aînée Anne Diana (condamnée à neuf ans de prison fin 2019) à sa fille Jennifer, en passant par la matriarche Marie-Rosanne (morte d’une maladie en Syrie) et les épouses des frères Clain, dont Dorothée Maquère qui s’est confiée à M6 dans le camp où elle est détenue depuis quatre ans, la famille Clain, des catholiques convertis à l’islam radical, a adhéré à l’idéologie mortifère de Daech. Les Clain ont fréquenté Olivier Corel, qui n’a jamais été condamné, et les membres de la filière Artigat partis faire le djihad en Irak (jugés en 2009) et d’autres embrigadés par la suite en Syrie. Au nombre de ces derniers, figurent Stéphane Gonot (mort à Raqqa) et sa femme Christine Allain, jugée dès lundi, son fils Thomas Collange capturé par les FDS, marié à Mayalen Duhart (jugée aussi) et leur fils Kevin Gonot (condamné à mort), époux de Jennifer Clain, la troisième comparante.

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