
« Un réseau hors de contrôle à l’assaut de la jeunesse »
La commission d’enquête parlementaire sur les effets psychologiques de TikTok rend son rapport. Plus de 40 recommandations pour «sortir nos enfants du piège TikTok», «un océan de trash» et «un réseau hors de contrôle à l’assaut de la jeunesse».
Après 95 heures d’auditions, la commission d’enquête parlementaire sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs dévoile ce jeudi son rapport. Elle préconise notamment l’interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans, l’instauration d’un «couvre-feu numérique» sur les réseaux sociaux de 22 heures à 8 heures pour les adolescents de 15 à 18 ans ou encore la modification de l’algorithme du réseau social.
ARTICLE – TikTok : « Un système proche de celui des drogues »… comment le « piège algorithmique » du réseau social chinois rend accros les jeunes
Publié le 12/09/2025 MIDI LIBRE ANTHONY CHAPUIS
Visé par un rapport parlementaire publié ce jeudi 11 septembre, le réseau social TikTok a toujours cristallisé les débats, surtout à cause de son algorithme qui rend les jeunes de plus en plus accros. Décryptage de comment fonctionne le réseau social préféré des jeunes.
Massivement utilisé par les jeunes, le réseau social TikTok est dans le viseur des parlementaires. Dans son rapport publié ce jeudi 11 septembre 2025, la commission d’enquête sur les effets psychologiques de plateforme chinoise met en garde contre cet « océan de trash » et liste 43 propositions pour limiter l’exposition des enfants aux écrans. Parmi elles, l’instauration d’un couvre-feu numérique pour les jeunes âgés de 15 à 18 ans voire une interdiction des réseaux sociaux pour les moins de 15 ans.
Un « monde pensé pour les adolescents »
La rapporteure Laure Miller propose même la création d’un « délit de négligence numérique » complétant l’article 227-17 du Code pénal existant, afin de sanctionner les comportements parentaux inappropriés concernant l’usage des écrans par leurs enfants. Alors pourquoi tant de précautions ? Parce que le géant chinois serait un véritable « piège algorithmique », rendant accros les plus jeunes. « Plus que tous les autres, TikTok a su identifier les profils afin de nourrir les désirs, presque en les anticipant », analyse Vincenzo Susca, professeur de sociologie à l’université Paul-Valéry de Montpellier. Selon celui qui est également l’auteur de Technomagie, Extases, totems et enchantements dans la culture numérique (Ed. Liber), le réseau social vise les adolescents avec un « monde pensé pour eux, très léger, très éphémère ».
TikTok tous les jours pour 60 % des 18 à 24 ans
Selon les statistiques citées par le sociologue Jérôme Pacouret lors de son audition par les parlementaires, près de 60 % des jeunes de 18 à 24 ans utilisent TikTok de manière quotidienne, et plus de 70 % de manière hebdomadaire. A noter que si le réseau social autorise une inscription à partir de 13 ans, des fonctionnalités restent bloquées sans vérification d’âge. TikTok donne, par exemple, la possibilité aux parents de forcer un « temps hors écran ». Pour autant, scroller et « rentrer » dans l’algorithme reste possible.
Pas faux. Sur TikTok, l’instantané est « fait pour les enfants ». Tout s’y consomme à une vitesse folle en « scrollant », là où sur d’autres réseaux, on prend le temps de lire ou de visionner. Et c’est cette instantanéité qui « crée un besoin » et, donc une, dépendance.
TikTok, un média qui inspire
Si le réseau social chinois ne dévoile pas clairement son fonctionnement, il ne se base pas sur les mêmes critères que Youtube, Facebook, etc. Quand ces derniers prennent en compte les « j’aime » ou les commentaires laissés pour ensuite recommander des contenus, TikTok analyse, lui, le temps passé sur la vidéo pour définir si un contenu vous plaît ou non et vous reproposer de quoi grignoter. Le contenu est « personnalisé » en temps réel : « on a l’impression qu’il nous est adressé », conclut Vincenzo Susca
« Tracer le comportement de manière si totalisante est le noyau dur du dispositif », explique encore le sociologue. Une manière de fonctionner qui a ensuite été copiée, faisant de TikTok un « méta média », soit un média qui inspire. Youtube a ainsi lancé ses « shorts », dont le contenu se consomme en vertical, en « scrollant » comme sur le géant chinois.
« Un système proche de celui des drogues »
Le sociologue fait également un parallèle entre les réseaux sociaux et les drogues contemporaines, expliquant qu’entre les deux, les dépendances et les effets sont « très liés » : « Tout est réduit à sa logique éphémère, par un système proche de celui des drogues, qui donne à la fois de la dépendance et de l’excitation. »
« Je lui confisque parfois mais il devient ingérable »
« Direct, j’ai dit ‘non’ pour Tiktok car Tom est trop jeune et les contenus trop hard. » Aurélie, 47 ans, est mère solo de deux garçons. Si « le grand se gère », celui de 15 ans « la rend folle ». « Il rentre du lycée, jette son sac et c’est ‘écrans’. Il ne voit même plus le temps passer, il est accro », confie la quadra qui s’avoue complètement dépassée par les « contenus » mais aussi « quant à la façon de gérer cette addiction ». La mère de famille vient de « céder sur Snapchat » autorisant son fils à installer l’appli sur son smartphone : « il faut savoir doser, je crois. Là tous ses copains communiquent sur Snap, si je ne lui autorise pas c’est l’isoler. »
2h15 d’utilisation par jour seulement
Alors Aurélie a installé Family Link sur le téléphone de Tom. Bilan : 2h15 d’utilisation par jour seulement, entre 6h45 et 21 heures. Et Tom de « demander des rallonges de trente minutes », qu’Aurélie accepte parfois « contre la réalisation de tâches ménagères ». « Family Link est incontournable, parce que, sinon, il ne dormait pas de la nuit », avance la mère de famille avant d’ajouter : « je lui confisque parfois mais il devient ingérable. Il s’ennuie, il ne tient pas en place. Et puis il s’arrange toujours avec ses potes qui lui prêtent un téléphone de secours. On en a retrouvé en charge sous son lit. Il a aussi été capable de retrouver l’ancien de frère. Ça me fait péter un câble. »
Tom, lui, dit à sa mère de lui faire confiance, qu’il sait que « le porno, ce n’est pas la vraie vie ». « Mais il y a aussi toutes ces vidéos ultraviolentes, ces discours masculinistes qu’il scrolle toute la journée. À son âge, c’est compliqué d’avoir du recul et moi de faire confiance sans m’inquiéter. »
Selon Vincenzo Susca, il faut cependant « comprendre ce jouet et faire comprendre ce jouet ». « Il faut y être et voir pourquoi les jeunes s’y plaisent avant de stigmatiser », ajoute notre expert, pointant que tous les contenus n’y sont pas mauvais. Légiférer aujourd’hui ? C’est « sauver les meubles alors que le tremblement de terre est en cours », estime le sociologue qui tranche : « c’est trop tard. »