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MISE À JOUR – L’IMPASSE TOTALE ? : JEAN TIROLE, NOBEL, JUGE SÉVÈREMENT LA POLITIQUE ÉCONOMIQUE

MISE À JOUR :

2. ARTICLE – Jean Tirole (prix Nobel d’économie) : « La France n’est pas condamnée à la faillite »

LA POLITIQUE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE : NI VISION NI PERSPECTIVE

Les perspectives de dépenses supplémentaires liées au climat, à la santé, à l’éducation et à la défense s’accumulent dans un contexte de déficit déjà préoccupant.

Cette dette française, détenue à 52 % par des étrangers (FMI 2025) contrairement au Japon où elle est à 90 %, expose le pays à un risque de défiance des marchés internationaux.

Il déplore l’absence de stratégie de long terme pour relancer la croissance française :

« Nous n’avons pas de plan, comment allons-nous générer la croissance ? Nous n’en avons pratiquement pas parlé pendant les différentes élections« 

Face au constat alarmant du rapport Draghi sur le déclin européen, Jean Tirole plaide pour une refonte complète de la politique d’investissement public :

« Parmi les 20 grandes entreprises tech mondiales, il n’y en a pas une européenne, parmi les 20 plus grandes start-ups mondiales, il n’y en a pas une européenne« 

« Nous sommes totalement absents des industries de pointe », une défaillance particulièrement visible plus en amont dans l’éducation où « 20 % des Français obtiennent une éducation qui est excellente, mais la situation est catastrophique pour les 80 % qui restent malheureusement quand on regarde les classements de PISA« .

MISE À JOUR :

2. ARTICLE – Jean Tirole (prix Nobel d’économie) : « La France n’est pas condamnée à la faillite »

EXCLUSIF. La dette française, une bombe à retardement ? Dans une contribution inédite pour La Tribune, le prix Nobel d’économie Jean Tirole livre son analyse de la crise économique et sociale du pays. Pour lui, la montée de l’endettement est le symptôme d’un mal plus profond : un retard technologique, un manque de vision de long terme et une « pensée à somme nulle » qui entravent la croissance.

Jean Tirole (prix Nobel d’économie)

Publié le 25/09/25 à 11:55 

Jean Tirole - Prix Nobel d'économie

Jean Tirole – Prix Nobel d’économie

Studio Tchiz

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La dette publique française est devenue le baromètre de nos fragilités. Sa montée inexorable ne traduit pas seulement des déséquilibres budgétaires, mais aussi un retard technologique, une absence de vision collective et un repli sur le court terme. Elle révèle l’incapacité de notre pays à concilier État-providence et réforme de l’État, redistribution et création de richesse.

Une dette qui pèse, sans encore écraser

Depuis 1975, la dette publique rapportée au PIB a été multipliée par plus de sept, passant de 15 % à 114 % du PIB. La moitié de cette dette est détenue par des investisseurs étrangers. Un différentiel pérenne de taux d’intérêt avec l’Allemagne de 1 % (le chiffre actuel) représenterait déjà une facture supplémentaire de 34 milliards d’euros par an, soit 500 euros par an par Français.

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« Nous continuons à déplacer les transats pendant que le Titanic coule. »

Ce n’est pas insurmontable, mais c’est un poids croissant. Car pour stabiliser la dette, il faudrait (sans doute graduellement) réduire le déficit primaire, c’est-à-dire le déficit sans compter le service de la dette, d’environ 120 milliards d’euros, un effort que les responsables politiques repoussent sans cesse (François Bayrou a vainement recherché 44 milliards d’économies) ; nous en sommes loin.

La « tempête parfaite » redoutée par les marchés

Les investisseurs étrangers ne s’inquiètent pas seulement du chiffre de 114 %, mais de la convergence de plusieurs facteurs explosifs. D’abord, la France fait face à des besoins massifs de dépenses nouvelles dans le climat, l’éducation, la santé, la défense : autant de secteurs où l’État a accumulé des retards.

Ensuite, les perspectives de croissance restent faibles, et notre pays n’a pas essayé de réconcilier l’État-providence et réforme de l’État. Enfin, la vie démocratique se réduit trop souvent à des débats électoraux et budgétaires dominés par l’électoralisme, alors même que l’urgence exigerait un effort collectif. Nous continuons à « déplacer les transats pendant que le Titanic coule ».

Le poison de la pensée à somme nulle

Un autre frein majeur est la domination de ce que l’on pourrait appeler la « pensée à somme nulle ». Cette vision, partagée à droite comme à gauche, considère que l’économie se résume au partage d’un gâteau de taille fixe. Elle favorise les débats sur la redistribution et l’opposition entre catégories sociales – riches contre pauvres, nationaux contre immigrés – au détriment de la recherche de croissance.

Or, si la justice fiscale est un facteur essentiel de cohésion sociale, elle ne doit pas être le seul objet d’attention. La pensée à somme nulle condamne la France à l’appauvrissement collectif. Les travaux de Stefanie Stantcheva à Harvard ne sont guère rassurants. Elle montre que l’expérience d’une économie sans croissance favorise l’émergence de la pensée à somme nulle. Mais cette pensée à somme nulle inhibe la croissance, suggérant un cercle vicieux.

« Notre politique d’innovation est en cause : nous investissons trop peu, dans les mauvais secteurs, et avec la mauvaise gouvernance. »

Le sujet brûlant de la pénibilité au travail illustre les effets de la pensée à somme nulle. La question de la pénibilité est plus qu’une simple redistribution entre Sécu et salariés. La justice sociale exige évidemment que les métiers invalidants donnent droit à une retraite anticipée. Mais si le financement de ces départs repose uniquement sur la collectivité, on retombe dans une logique de transfert sans considération économique.

Une approche responsable consisterait à reconnaître que la pénibilité est en partie endogène : par l’ergonomie, la robotisation, la réduction des produits dangereux, la formation, les entreprises peuvent la limiter. Ces dernières devraient assumer une responsabilité directe et non-mutualisée en contribuant financièrement aux retraites anticipées que leurs conditions de travail rendent nécessaires. Le principe pollueur-payeur doit s’appliquer, mais l’État n’ayant pas toute l’information, les cotisations supplémentaires doivent être négociées entre syndicats et patronat.

Les scénarios de crise

Le déclenchement d’une crise souveraine dépend toujours d’un mélange de fondamentaux dégradés et de mécanismes autoréalisateurs : les marchés doutent, cessent de prêter, et précipitent la faillite qu’ils redoutaient. Nous savons seulement que tout peut aller très vite. Lors de la crise de la zone euro, l’Espagne et l’Italie ont vu leurs taux d’intérêt grimper de près de 6 % au-dessus de ceux de l’Allemagne, la Grèce bien davantage. Que se passerait-il pour la France dans ce cas ?

Deux scénarios sont possibles. Soit la classe politique, consciente de l’urgence, parvient à se rassembler pour restaurer la confiance et renouer avec la croissance ; une variante est un accord pour nommer un gouvernement de techniciens pour remettre le pays sur les rails, comme Mario Monti en 2011 ou Mario Draghi en 2021 en Italie.

Plus vraisemblablement, la France se tournerait vers le FMI, la BCE et le Mécanisme Européen de Stabilité, et obtiendrait des financements à des taux d’intérêt modérés en contrepartie d’un plan d’ajustement imposant des sacrifices. Les partis politiques devraient alors cautionner le plan. Faute d’un tel courage politique, il resterait le scénario le plus douloureux : le défaut souverain, entraînant une austérité immédiate et brutale, ainsi qu’une perte durable de crédibilité pour l’État français.

Un vrai talon d’Achille : l’innovation

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L’Europe et la France souffrent d’un déficit de compétitivité en général, et comme l’a rappelé Mario Draghi, d’un retard technologique considérable en particulier. Cette faiblesse se traduit à la fois par un pouvoir d’achat stagnant et par une fragilité géopolitique dans un monde où la puissance économique se joue sur la maîtrise des technologies de rupture. Notre politique d’innovation est en cause : nous investissons trop peu, dans les mauvais secteurs, et avec la mauvaise gouvernance.

Pourtant, le débat public s’est enlisé dans des querelles sur le niveau des dépenses à engager, plutôt que sur le projet et la gouvernance nécessaires. Aujourd’hui, les fonds publics se perdent dans des règles allant à l’encontre de l’efficacité et un saupoudrage inefficace, guidé par des considérations politiques plus que scientifiques.

« La dette, en somme, n’est pas qu’une affaire de comptes publics : elle est le révélateur de notre incapacité à nous projeter dans l’avenir. »

Côté secteur privé, l’Europe investit encore massivement dans l’automobile, tandis que les États-Unis concentrent leurs efforts sur l’intelligence artificielle, la biotechnologie, l’espace. Notre épargne privée abonde mais reste captée par l’assurance-vie et les obligations, sans alimenter les capitaux propres prêts à financer l’innovation risquée. Tant que cette logique ne changera pas, nos discours sur la souveraineté resteront lettre morte.

La France n’est pas condamnée à la faillite, mais elle est condamnée à choisir. Elle peut continuer à repousser les réformes en se réfugiant dans l’endettement, au risque de basculer brutalement dans la crise. Ou bien elle peut assumer une stratégie exigeante : réformer l’État, responsabiliser les acteurs économiques, investir dans les technologies d’avenir, et donner à l’Europe une gouvernance capable de rivaliser avec les États-Unis et la Chine. La dette, en somme, n’est pas qu’une affaire de comptes publics : elle est le révélateur de notre incapacité à nous projeter dans l’avenir. C’est ce manque de vision qu’il faudra surmonter si nous voulons éviter le déclin et retrouver le chemin de la prospérité.

1. ÉMISSION – Crise de la dette : le regard de Jean Tirole, prix Nobel d’économie 

Publié le lundi 15 septembre 2025 FRANCE CULTURE

La notation de la France par l’agence Fitch est descendue de AA- à A+ ce week-end. La crise de la dette est là, et elle est aussi très présente dans le débat public en France, mais pourquoi aucune solution n’est-elle encore mise en place ?

Avec

  • Jean Tirole, economiste distingué notamment par le Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel, président honoraire de la Toulouse School of Economics, directeur d’études à l’EHESS

La dégradation de la note française révèle l’absence de perspectives pour l’économie française

La dégradation de la note de la France par l’agence Fitch de AA- à A+ constitue « une sorte de thermomètre » d’une situation déjà perceptible sur les marchés, selon Jean Tirole. Le lauréat du prix en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel (surnommé le prix Nobel d’économie) 2014 souligne que cette mauvaise note reflète l’inquiétude croissante des investisseurs quant à l’avenir français. Cette inquiétude se matérialise par un spread  (ici, écart de taux entre le coût d’emprunt de la France à 10 ans et celui de l’Allemagne) de 1 point de pourcentage qui coûte à l’Etat français déjà « plus d’un point de PIB tous les ans » sur une dette représentant 114 % du PIB (au premier trimestre 2025). « Le problème, ce n’est pas encore les 114 % de dette sur PIB bien que ce chiffre soit élevé, mais notre vision de l’avenir, et c’est ça qui inquiète le plus les investisseurs« , analyse-t-il. Les perspectives de dépenses supplémentaires liées au climat, à la santé, à l’éducation et à la défense s’accumulent dans un contexte de déficit déjà préoccupant. Cette dette française, détenue à 52 % par des étrangers (FMI 2025) contrairement au Japon où elle est à 90 %, expose le pays à un risque de défiance des marchés internationaux, comme l’ont connu l’Italie et l’Espagne lors de la crise de l’euro avec un spread atteignant 6 points de pourcentage.

Le court-termisme politique, une impasse pour la croissance française

L’économiste toulousain pointe l’absence de stratégie de long terme pour relancer la croissance française. « Nous n’avons pas de plan, comment allons-nous générer la croissance ? Nous n’en avons pratiquement pas parlé pendant les différentes élections« , déplore-t-il. Cette carence stratégique contraste avec la situation américaine où « les cerveaux du monde entier viennent faire de la recherche aux États-Unis, créer des start-ups, créer des grandes entreprises », un phénomène que la France ne parvient pas à reproduire. Le professeur observe que « nous sommes totalement absents des industries de pointe », une défaillance particulièrement visible plus en amont dans l’éducation où « 20 % des Français obtiennent une éducation qui est excellente, mais la situation est catastrophique pour les 80 % qui restent malheureusement quand on regarde les classements de PISA« . Cette absence de vision se traduit par une stagnation du pouvoir d’achat et une marginalisation géopolitique où « plus personne ne parle à l’Europe » sur les dossiers internationaux majeurs comme l’Ukraine.

À écouter

Enquête PISA : le niveau des élèves baisse mais pas de panique

La taxe Zucman ne résoudra pas le problème de la dette

Sur la proposition de Gabriel Zucman d’instaurer une taxe minimale de 2 % sur les grandes fortunes, Jean Tirole affirme que ça ne règlera pas le problème des finances publiques françaises et rappelle qu’il faudrait diminuer le déficit de 4 % du PIB pour stabiliser la dette, bien au-delà des 20 milliards d’euros espérés par cette taxe selon les estimations les plus favorables. L’économiste souligne néanmoins la légitimité de cette mesure d’équité fiscale, observant que « les riches peuvent payer un [taux d’imposition effectif moyen] de 46 % tandis que les très riches ne paieraient que 26 %« . Cependant, il met en garde contre la mobilité des élites et insiste sur la nécessité d’une coordination internationale pour éviter les fuites de capitaux et de cerveaux.

À écouter

Taxe « Zucman » : comment cela marcherait 

L’Europe accuse un retard significatif face à la domination sino-américaine

Face au constat alarmant du rapport Draghi sur le déclin européen, Jean Tirole plaide pour une refonte complète de la politique d’investissement public. « Parmi les 20 grandes entreprises tech mondiales, il n’y en a pas une européenne, parmi les 20 plus grandes start-ups mondiales, il n’y en a pas une européenne« , dresse-t-il comme bilan.

L’Europe souffre d’un double handicap : elle ne « dépense pas assez, mais dépense aussi mal« , privilégiant l’automobile traditionnelle quand « la recherche privée va à 85 % dans les techs, la biotech, l’IA » aux États-Unis. Le modèle américain, avec ses agences comme DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) pour la défense, la BARDA (Biomedical Advanced Research and Development Authority) ou pour les médicaments, le National Institute of Health (NIH) qui « dépense quand même 48 milliards par an« , repose sur une gouvernance scientifique que l’Europe refuse d’adopter. « En Europe, on pense que les scientifiques ne doivent pas décider, ils peuvent conseiller, mais c’est toujours le politique et la Commission [européenne] qui doivent décider« , critique-t-il, préconisant de « donner l’argent aux quelques équipes qui ont une chance de réussir, les meilleures » plutôt que de « saupoudrer » les financements.

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