« Dissolution ou démission : il est temps de mettre fin au bal des pieds nickelés »
TITRE MARIANNE (Hadrien Mathoux) QUI POURSUIT :
« La chute tragi-comique du très fugace gouvernement Lecornu signe l’échec d’une méthode. La grande farce, qui s’étend depuis déjà un an, n’a que trop duré, estime Hadrien Mathoux, directeur adjoint de « Marianne ».
Un bon mot, attribué à Albert Einstein, décrit la folie comme l’attitude consistant à « refaire toujours la même chose et espérer des résultats différents ». Si l’on adopte cette définition, le diagnostic devient alarmant pour Emmanuel Macron, dont l’entêtement à répéter des formules perdantes confine à l’absurde.
Voilà maintenant plus d’un an que le président, définitivement privé de majorité parlementaire par une dissolution de l’Assemblée aussi inattendue que désastreuse, exhorte les oppositions à travailler ensemble dans un esprit de coalition à la scandinave ; voilà également plus d’un an qu’il s’obstine à nommer à Matignon des personnalités issues de sa propre famille politique et les charge de mettre en œuvre un programme inspiré de ses propres orientations, sans accorder le moindre compromis substantiel aux oppositions. Errare humanum est, perseverare diabolicum, disaient les Romains… »
ARTICLE _ Un suicide collectif en direct et un jour noir pour la démocratie française
Laurent Sagalovitsch – 7 octobre 2025 SLATE
[BLOG You Will Never Hate Alone] Avec ce nouvel épisode aussi saugrenu qu’inattendu qu’a été la démission de Sébastien Lecornu, l’arrivée au pouvoir du Rassemblement national n’a jamais semblé aussi proche.
J’ai parfois l’impression que toute notre classe politique souffre des conséquences d’un Covid long, une sorte de brouillard mental où règne une telle confusion que chacun a perdu contact avec le monde réel. D’où cette avalanche de reculades, d’ambitions mort-nées, de décisions ubuesques, autant d’actions qui laissent à voir une caste d’individus totalement déconnectés des enjeux du moment.
Depuis la dissolution carnavalesque décidée en juin 2024 par le président de la République, tout va à vau-l’eau, les partis politiques comme leurs dirigeants. Il règne dans le pays un étrange sentiment de déréliction collective, une espèce de bazar généralisé où, confronté à une situation des plus préoccupantes, on préfère se figer dans des oppositions de principe plutôt qu’associer ses forces afin de sortir le pays de l’ornière.
Est-ce ainsi que meurent les démocraties, quand les petits intérêts partisans prennent le pas sur les grandes ambitions collectives et que chacun, au lieu de tendre la main, se recroqueville à l’intérieur de sa boutique d’où il contemple, navré mais pourtant complice, le naufrage d’un pays qu’il est censé servir? La petitesse d’esprit étrangle tout, le courage comme la droiture, l’éthique, le sens du sacrifice, la grandeur d’âme, ces qualités sans lesquelles l’être humain est voué à rejouer à l’infini la misère de ses illusions perdues.
Tout comme l’idée de dissolution, on se demandera encore longtemps quelle mouche a piqué Sébastien Lecornu, lorsqu’il a décidé de nommer Bruno Le Maire au ministère des Armées? À se demander si derrière les lambris de Matignon et de l’Élysée ne se cache pas un esprit malin qui, de temps à autre, sort de sa retraite pour mieux égarer l’esprit des habitants des lieux? La situation était déjà compliquée; avec la nomination de l’ancien ministre de l’Économie aussi à sa place dans ce gouvernement qu’un carré d’agneau dans un régime végétarien, elle a sombré dans un chaos qui ressemble à s’y méprendre à une voix royale pour installer l’extrême droite au pouvoir.
Car, c’est bien de cela qu’il s’agit, d’un jour noir pour la démocratie française. Faute de vouloir s’entendre autour d’un programme commun minimum, les partis politiques dits «de gouvernement» ont encore un peu plus désespéré les Français. On ne leur demandait pourtant pas grand-chose, juste de s’accorder sur quelques principes généraux, mais c’était visiblement déjà trop. Arc-boutés sur leurs postures partisanes, soucieux de satisfaire des militants aussi rares que des électeurs lors d’une législative partielle, accrochés à de vieilles lunes aux relents populistes, rétifs à toute idée de compromis comme si on leur demandait de trahir père et mère, ils ont fini par aboutir à ce suicide en direct.
Peut-être la Ve République est-elle arrivée au bout de sa logique. Ou bien est-ce la France qui, à force de tiraillements, de renoncements, de manque de courage, de clarté et de lisibilité, n’arrive plus à se réinventer et, prise en tenaille entre deux extrêmes versés dans un populisme échevelé, ne finisse par en choisir un, quitte à sombrer avec lui? Qu’est-ce donc que le suicide, sinon une lassitude extrême où, après avoir essayé tous les plaisirs de la vie, faute d’en dénicher un, de désespoir, on renonce à exister par soi-même?
Qu’il parte ou qu’il demeure à son poste est désormais accessoire. Emmanuel Macron a failli par quoi il a séduit, une flamboyance devenue au fil du temps une arrogance.
Voilà où nous en sommes. Dans une sorte de crépuscule poisseux où plus personne ne semble être en mesure d’accompagner le pays vers un avenir sinon radieux, du moins bénéfique à tous. Surtout pas le président de la République qui, à force de fanfaronner à tout va, de nier les évidences, d’imposer un récit compris de lui seul, se retrouve nu et esseulé comme jamais.
Qu’il parte ou qu’il demeure à son poste est désormais accessoire. Il a failli par quoi il a séduit, une flamboyance devenue au fil du temps une arrogance. Son énergie du début s’est consumée d’elle-même. D’elle, il ne reste plus qu’une agitation stérile où Emmanuel Macron apparaît de plus en plus comme un illusionniste dont les incessants tours de passe-passe ont fini par lasser son monde. Sa magie a disparu, son charme aussi. Ne reste plus qu’un homme usé arrivé au bout de son histoire avec le pays.