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CE QUE LA FÉBRILITÉ INSTITUTIONNELLE ET LE BLOCAGE EN PROFONDEUR DE L’ACTION PUBLIQUE COÛTENT À NOTRE ÉCONOMIE

ARTICLE – L’instabilité politique, une très mauvaise affaire pour l’économie française

Gérard Horny – Édité par Émile Vaizand – 14 octobre 2025 SLATE

Gérard Horny, Journaliste, spécialiste des questions économiques et financières. Auteur de La Bourse pour les nuls (Éditions First) et du roman historique Et Louis XIV éteignit les Lumières (Le Cherche midi, 2014).

Les incertitudes politiques pèsent sur les décisions des entreprises et des consommateurs. Plus grave encore, l’absence de gouvernement stable empêche que soient adoptées les mesures nécessaires pour s’adapter à un monde en plein bouleversement.

Tout est dit et répété à longueur de journée sur l’évolution de la situation politique française et les scénarios d’une possible sortie de crise, dont il n’est pas du tout certain qu’elle puisse advenir avec le gouvernement Lecornu II, dont la composition a été annoncée ce dimanche 12 octobre. Si la responsabilité du président de la République Emmanuel Macron, qui a commis la lourde erreur de dissoudre l’Assemblée nationale en juin 2024, est évidente, celle des dirigeants des autres partis politiques est tout aussi en cause, qu’ils se refusent aux compromis nécessaires à une solution ou qu’ils bloquent volontairement toute voie de sortie de crise en espérant récolter le pouvoir comme un fruit mûr tombant de l’arbre. Ces petits jeux sont dangereux pour tout le monde: plus longtemps durera la confusion, plus la France en sortira affaiblie.

La Bourse de Paris n’attire plus

Les signes les plus clairs de cet affaiblissement se trouvent sur les marchés financiers, où les réactions sont instantanées. On le voit sur les marchés des actions. Certes, Donald Trump, toujours là dès qu’il s’agit de mettre la pagaille dans les relations internationales (et il prétendait mériter le prix Nobel de la paix, après avoir transformé le ministère de la Défense en ministère de la Guerre!), a réussi à faire plonger Wall Street, vendredi 10 octobre, en annonçant que les États-Unis allaient imposer des droits de douane de 100% à partir du 1er novembre sur leurs importations en provenance de Chine en réponse aux restrictions annoncées par Pékin sur les exportations chinoises de terres rares, mais les indices boursiers sont en hausse sur presque toutes les places financières.

L’engouement pour les valeurs de haute technologie et l’intelligence artificielle tire les indices américains vers le haut et les autres places suivent. Avec une hausse de l’indice CAC 40 de près de 8% depuis le début de l’année 2025, la France fait pâle figure face à la progression de plus de 21% du DAX allemand ou celle de plus de 33% de l’Ibex 35 espagnol. Les grands indices américains sont en hausse plus modérée, entre 7% et 15%, mais il faut rappeler qu’ils avaient fortement chuté en début d’année, lorsque Donald Trump avait déclenché la guerre des tarifs douaniers.

Les plus optimistes se consolent en se disant que cela n’est pas très grave: ayant peu monté, la Bourse de Paris chutera moins brutalement quand la bulle boursière en train de se former éclatera. Il est vrai que beaucoup d’observateurs commencent à trouver que l’évolution actuelle de Wall Street rappelle étrangement celle qui avait propulsé les valeurs internet jusqu’à des sommets en 2000, avant un dur rappel à la réalité.

De même, on peut estimer qu’il existe un décalage troublant entre la vigoureuse progression des Bourses en Europe et la modeste croissance de l’économie. Mais il ne faut pas se faire d’illusions: si correction du marché il doit y avoir, la France ne sera pas épargnée et, en attendant, la relative faiblesse de la Bourse de Paris montre clairement que les investisseurs, déconcertés par cette crise politique d’un genre nouveau sous la Ve République, préfèrent regarder ailleurs.

Taux d’intérêt en forte hausse sur la dette publique

La France est en difficulté sur un autre marché, celui des emprunts d’État, et cela est fâcheux. Les conséquences en sont très directes. Le 13 octobre, l’État français empruntait à 3,37% à dix ans, soit près de 70 points de pourcentage de plus que l’Allemagne, qui était alors à 2,65%; plus que l’Espagne, le Portugal ou la Grèce, presque autant que l’Italie (3,45%).

La situation n’est pas dramatique, la Francene risque pas en l’état actuel des choses de connaître une crise obligataire comme d’autres États en ont connu par le passé. Mais, mois après mois, ses emprunts lui coûtent de plus en plus cher et cela complique une équation budgétaire déjà très compliquée. Pour cette année, la charge de la dette a été évaluée dans le budget à environ 55 milliards d’euros. Ce chiffre et le poids qu’il représente dans le budget de l’État risquent d’augmenter très vite.

Cela pourrait être supportable si l’économie était en croissance forte: sans avoir à augmenter les impôts, les rentrées fiscales seraient plus abondantes. Ce n’est pas le cas. La crise politique a un double effet: elle incite les consommateurs à la prudence et elle freine l’investissement. Dans un environnement international déjà fortement perturbé par les décisions imprévisibles du président des États-Unis, elle place les décideurs dans une double incertitude: sur le montant des impôts et sur le montant des dépenses publiques. Le plus grand flou demeure sur le prochain budget.

Choc d’incertitude

Dans un premier temps, le Premier ministre Sébastien Lecornu avait envisagé de ramener le déficit public à 4,7% du produit intérieur brut (PIB) en 2026, après 5,4% en 2025 selon les estimations actuelles. C’était un rythme de redressement à peine moins rapide que celui annoncé par François Bayrou, qui visait 4,6%. Mais, pour s’attirer la neutralité d’une partie de la gauche, il est question, selon les dernières rumeurs, d’un chiffre plus proche de 4,9% ou 5%.

Une politique moins restrictive que celle qui était envisagée au départ pourrait peser moins fortement sur la conjoncture à court terme, mais pourrait inquiéter les marchés qui y verraient le signe d’un refus de la France de revenir à plus de discipline budgétaire. Et encore faudrait-il savoir comment serait obtenue cette réduction du déficit à 4,9% ou 5% du PIB. Le même résultat peut avoir des effets différents, selon qu’il est obtenu par une hausse des impôts ou une réduction des dépenses. Donc, pour tout le monde, le brouillard demeure épais.

Ce «choc d’incertitude», pour reprendre une expression des économistes de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) qui ont essayé de le quantifier, est réel et il commence à apparaître dans les statistiques de croissance comparées avec les autres pays européens. Ainsi, dans ses perspectives publiées le 23 septembre, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) s’attend pour cette année 2025 à une croissance du PIB de la France de 0,6% (elle est plus pessimiste que l’Insee, qui affiche un chiffre de 0,8%), contre 1,2% pour l’ensemble de la zone euro.

Ce chiffre serait nettement supérieur à celui de l’Allemagne (0,3%), mais il faut voir que l’Allemagne vient d’un repli de 0,5% en 2024, alors que la France était en croissance de 1,1% l’an passé. Et d’autres pays devraient faire nettement mieux encore, avec par exemple une hausse de 2,6% du PIB espagnol. Ainsi, dans sa dernière note de conjoncture parue le 11 septembre, l’Insee voit que la France «évolue à rebours», tout en constatant une «timide embellie européenne».

L’épargne à un niveau record

En France, l’investissement est moins dynamique qu’ailleurs et, surtout, la consommation patine, alors qu’avec une inflation plus faible que dans les autres pays de la zone euro, les gains de pouvoir d’achat ont été plus élevés qu’ailleurs. En dépit de cette évolution favorable, c’est le taux d’épargne qui augmente et bat chaque trimestre des records, selon les calculs de l’Insee: jusqu’à 18,9% du revenu disponible brut au deuxième trimestre de l’année en cours.

La France n’est pas un cas isolé: le taux d’épargne est à la hausse chez nos voisins européens. Mais, globalement, à 15,4% au deuxième trimestre 2025 dans la zone euro, il reste loin de celui qui est enregistré ici et qui indique un très net manque de confiance dans l’avenir. Les ménages les plus aisés étant ceux qui ont la plus forte capacité d’épargne en proportion de leur revenu, il est possible d’interpréter ces chiffres comme le signe d’une crainte de la hausse de la fiscalité face à une hausse continue de la dette et du déficit publics.

Manque de visibilité pour les entreprises

Quant aux entreprises, elles bénéficient de la baisse des taux d’intérêt permise par la décélération de la hausse des prix et l’assouplissement de la politique monétaire de la Banque centrale européenne. Mais le manque de visibilité freine les initiatives. Tandis que les flux commerciaux internationaux sont profondément perturbés par la politique erratique de Donald Trump, les crises gouvernementales à répétition contribuent à brouiller les perspectives.

Il faut aussi noter que la capacité d’autofinancement des grandes entreprises est en baisse du fait de la hausse de l’impôt sur les sociétés décidée pour un an: la loi de finances adoptée le 14 février 2025 prévoit en effet une contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises qui doit concerner environ 400 entreprises réalisant un chiffre d’affaires d’au moins 1 milliard d’euros, avec une version plus dure pour celles qui dépassent les 3 milliards. Cette contribution doit rapporter environ 8 milliards d’euros au budget. Et on ne peut exclure qu’elle soit reconduite, comme cela arrive fréquemment pour les contributions dites «exceptionnelles»…

Coincée entre deux blocs, l’Europe cherche sa voie et aurait besoin de gouvernants ayant le soutien de leur opinion publique pour mener des politiques étroitement coordonnées.

Le choc d’incertitude durant depuis maintenant plus d’un an et pouvant s’étendre jusqu’en 2027, l’effet sur l’économie françaiserisque fort de se faire sentir sur la durée. Dans un monde qui bouge très vite, il est dommageable de n’avoir que des ministres démissionnaires qui gèrent uniquement les affaires courantes.

Aux États-Unis, on voit un Donald Trump qui prend des décisions bouleversant l’ordre économique mondial et des grandes entreprises technologiques qui se mettent à son service en espérant en être récompensées par des législations favorables et une administration conciliante dans tous les domaines, qu’il s’agisse de la protection des consommateurs et de leurs données, de celle de l’environnement ou de l’application de la législation antitrust.

Qui parle des grands enjeux du futur?

Quant à la Chine, elle soutient le développement de ses entreprises dans les nouvelles technologies et cherche de nouveaux débouchés. Coincée entre ces deux blocs, l’Europe cherche sa voie et aurait besoin de gouvernants ayant le soutien de leur opinion publique pour mener des politiques étroitement coordonnées. Et face à la multiplication des catastrophes écologiques, qu’il s’agisse du climat, de la biodiversité, de la pollution des sols et des océans par les matières plastiques, il serait urgent d’avoir des gouvernants actifs sur la scène internationale, non seulement au niveau des chefs d’État, mais aussi des ministres concernés par chacun de ces problèmes.

Cela supposerait que le débat public porte davantage sur tous ces grands enjeux. On en est très loin. De quoi parle-t-on en ce moment? De l’âge de la retraite et du maintien ou non d’une réforme qui devra de toute façon se faire sous une forme ou une autre. Celle de 2023 n’est peut-être pas la meilleure que l’on ait pu imaginer (celle qui a été rejetée sous le premier mandat d’Emmanuel Macron était beaucoup plus intelligente), mais il serait possible d’en rediscuter dans un climat plus serein et de passer à autre chose.

Le sujet est important car il concerne chacun d’entre nous, mais il devrait être remis à sa juste place, ce qui est impossible tant que de grands partis qui prétendent rester ou devenir des partis de gouvernement continuent d’en faire une des pièces maîtresses de leur fonds de commerce électoral.

Dans ce contexte, on comprend que les Français·es ne soient pas très optimistes. C’est ce qui ressort d’un sondage commandé par Clément Beaune, nouveau haut-commissaire à la stratégie et au plan, qui a lancé, mercredi 8 octobre, un grand exercice de prospective avec un double horizon, «France 2035, France 2050». De ce sondage Toluna – Harris Interactive, il ressort toutefois que les Français·es de moins de 35 ans sont plus optimistes que le reste de la population. Nos dirigeants sauront-ils leur donner raison?

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