
Tout comprendre au système judiciaire avec Marc Trévidic
Jeudi 2 octobre 2025 RADIO FRANCE
Ancien juge antiterroriste, Marc Trévidic publie « Justice présumée coupable » aux éditions Albin Michel, un récit nourri de trente-cinq ans de magistrature. Face aux attaques contre la justice, il décrypte un système judiciaire sous pression.
Avec Marc Trévidic, magistrat et écrivain français
Pendant près de dix ans, Marc Trévidic a été l’un des juges d’instruction les plus exposés de France, en charge des affaires antiterroristes majeures, de la rue des Rosiers au dossier Karachi. Aujourd’hui président de chambre à la cour d’appel de Versailles, il publie Justice présumée coupable(Albin Michel, octobre 2025) dans lequel il revient sur les adages qui ont guidé son parcours et explique les grands principes du système judiciaire français.
Dans le contexte des condamnations récentes de Nicolas Sarkozy et des menaces de mort reçues par la présidente du tribunal correctionnel, il analyse également les attaques dont font l’objet les magistrats et éclaire des notions souvent floues comme la présomption d’innocence ou la liberté de la preuve.
Des attaques anciennes qui franchissent de nouveaux caps
Marc Trévidic rappelle que les critiques contre la justice remontent aux années 1990, au moment des premières affaires politico-financières : « On parlait de cambriolage judiciaire quand Thierry Jean-Pierre avait questionné le siège d’Urba« . Mais la situation prend aujourd’hui une tournure plus inquiétante avec les menaces de mort contre des magistrats, facilitées par les réseaux sociaux.
Le problème, selon lui, tient au fait qu’« on veut personnifier la décision de justice pour mieux l’attaquer ». Même lorsqu’un tribunal statue de façon collégiale avec trois magistrats, « on prend la présidente, parce que, comme je le dis dans le livre, une tête de Turc n’est pas tricéphale. Ce qui est grave, si ce genre de choses se multiplient, c’est que cela va empêcher les juges de faire sereinement leur travail ».
Un système complexe et une défiance profonde
Deux tiers des Français déclarent ne pas faire confiance à l’institution judiciaire. « On ne fonctionne pas bien, c’est indiscutable », admet Marc Trévidic. Il pointe notamment la lenteur du système et sa complexité unique, avec la coexistence de juridictions administratives et judiciaires que peu de pays connaissent. « C’est un maquis incompréhensible. »
Le magistrat aborde également des incohérences législatives, comme les critères de la détention provisoire qui varient selon le moment de la procédure ou les règles « absurdes » voire « débiles »de la récidive légale : « Vous avez une personne qui a été condamnée 4-5 fois pour des agressions sexuelles aggravées. Si on le juge pour un viol, il ne sera pas en récidive légale. S’il a vendu trois barrettes de shit, il est en récidive légale de viol. »Ces aberrations juridiques alimentent selon lui l’incompréhension et la méfiance du public.
Marc Trévidic plaide par ailleurs pour une réforme de la détention provisoire : il estime qu’elle est beaucoup trop utilisée en France, et encourage le développement d’alternatives comme le bracelet électronique.
Un système judiciaire à repenser
Il observe également un paradoxe français : « Les Français n’aiment pas leur justice, mais font appel à elle beaucoup plus qu’avant, tout le temps. » Pour lui, il faut trouver des solutions pour que les citoyens aillent moins devant la justice et éviter une judiciarisation excessive de la société.
Face à cette crise de confiance généralisée qui touche tous les pouvoirs, Marc Trévidic estime qu’« on n’échappera pas, à un moment ou à un autre, à se poser la question de nos institutions. On a une crise majeure : on ne nous aime pas, dont acte, mais on n’aime pas non plus les politiques. Aucun représentant du pouvoir, quel qu’il soit, n’est apprécié des Français aujourd’hui. »