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LA CORRUPTION EN UKRAINE – Volodymyr Zelensky soupçonné – Wall Street Journal

ARTICLE – Au cœur de l’enquête ukrainienne pour corruption qui se rapproche de Volodymyr Zelensky

The Wall Street Journal – L’OPINION

L’investigation a atteint les plus hautes sphères du pouvoir en Ukraine et menace le président lui-même comme aucun autre dossier depuis son entrée en fonction

Publié 28 novembre 2025

Volodymyr Zelensky est arrivé au pouvoir en promettant de mettre fin à la corruption endémique et aux malversations.  –  Ukraine Presidency/Ukrainian Pre/Ukraine Presidency/Ukrainian Pre

KIEV, Ukraine — Il était un peu plus de 2 heures du matin lorsque Tymur Mindich a franchi la frontière polonaise la semaine dernière, quelques heures avant que des enquêteurs ne fassent irruption à son domicile ukrainien dans le cadre d’une procédure portant sur la corruption des plus hautes sphères du pouvoir, qui a secoué ce pays déchiré par la guerre.

Quelque 70 adresses ont été perquisitionnées à travers l’Ukraine au cours de cette opération qui fait partie d’une enquête criminelle ayant abouti à l’arrestation de cinq individus. Mindich, ancien partenaire d’affaires de Volodymyr Zelensky et l’une des personnes officiellement mises en cause, est toujours en fuite hors d’Ukraine.

« A-t-il été prévenu ? », s’est interrogé Semen Kryvonos, directeur du Bureau national anticorruption ukrainien (NABU), l’agence indépendante qui a mené l’opération, dans une interview vidéo accordée aux médias ukrainiens. « Cela doit faire l’objet d’une enquête. »

Mindich n’a pas pu être joint pour commenter le présent article.

Cette affaire de corruption, qui a suscité la colère des Ukrainiens en proie aux affres de la guerre, représente la menace la plus sérieuse pour le leadership de Zelensky depuis la tentative avortée de la Russie de s’emparer de Kiev au début de l’année 2022.

Les militants anticorruption affirment que l’opération du NABU est une étape dans le combat d’une génération pour mettre fin à la culture ukrainienne de kleptocratie qui remonte à l’époque soviétique

L’enquête est remontée jusqu’aux strates les plus élevées du gouvernement, se rapprochant de Zelensky lui-même, comme aucune autre affaire depuis son accession à la présidence. Les militants anticorruption affirment que l’opération du NABU est une étape dans le combat d’une génération pour mettre fin à la culture ukrainienne de kleptocratie qui remonte à l’époque soviétique. Bien que Zelensky soit arrivé au pouvoir en promettant de mettre fin à la corruption endémique et aux malversations, les activistes se demandent aujourd’hui s’il est toujours déterminé à respecter cet engagement.

Selon les enquêteurs du NABU, Mindich, qui a cofondé une société de production avec Zelensky avant que celui-ci ne devienne président, était le chef d’une « organisation criminelle » qui a détourné 100 millions de dollars par l’intermédiaire de la compagnie publique ukrainienne d’énergie nucléaire, Energoatom.

Il a été officiellement accusé d’avoir créé et dirigé une organisation criminelle opérant dans le secteur de l’énergie, ainsi que de blanchiment d’argent.

Selon les enquêteurs, Mindich et d’autres individus, en collaboration avec des employés d’Energoatom, ont fait pression sur les sous-traitants de la société pour qu’ils versent 10 à 15 % de la valeur des contrats sous forme de pots-de-vin. Ceux qui refusaient risquaient de voir leurs contrats annulés, affirment-ils.

Dans un communiqué, le conseil de surveillance d’Energoatom a déclaré procéder à une évaluation des procédures de la société. Il a ajouté qu’il prenait au sérieux les accusations portées contre ses employés et qu’il s’engageait à garantir une transparence totale et à prendre ses responsabilités.

Zelensky n’a pas été cité dans l’enquête pour corruption et n’a pas été accusé d’actes répréhensibles. Son cabinet n’a pas répondu à une demande de commentaires.

Alors que les enquêteurs ont rendu publics des détails du dossier, tels que la fuite en pleine nuit de Mindich et les enregistrements audio des suspects discutant de la meilleure façon de transporter de grosses sommes d’argent, les Ukrainiens sont furieux.

Depuis le début de la guerre, les membres des classes moyenne et ouvrière ont fait des dons pour aider les unités militaires à acheter des drones ou des véhicules. Aujourd’hui, beaucoup soupçonnent leurs dirigeants de s’être enrichis pendant que la population pauvre du pays faisait des sacrifices.

Le moment choisi pour l’enquête enfonce le couteau dans la plaie des Ukrainiens : une grande partie du pays est confrontée à des coupures d’électricité, qui laissent de nombreux foyers sans chauffage, à la suite des frappes russes sur les infrastructures énergétiques. Selon les conclusions du NABU, les contrats visant à installer cet automne des dispositifs de protection sur ces sites ont été retardés à cause d’un responsable d’Energoatom qui exigeait une rémunération plus importante.

A l’étranger, la menace qui pèse sur Zelensky est tout aussi grave. Donald Trump a déjà, à plusieurs reprises, exprimé sa réticence à continuer d’envoyer des armes et d’autres fournitures à l’Ukraine, tandis que d’autres responsables américains ont remis en question la manière dont Kiev utilise les fonds envoyés par Washington. Le parfum du soupçon lié à cette affaire de corruption au sein de l’administration Zelensky risque de pousser les Etats-Unis à fermer le robinet de l’aide.

Zelensky a tenté de se montrer ferme en réponse à ces allégations. Il a appelé à la démission de deux ministres, dont l’un aurait participé au système de pots-de-vin d’Energoatom. Le président ukrainien a également imposé des sanctions à Mindich et à un autre homme d’affaires impliqué dans l’enquête. Parallèlement, il a lancé un audit des entreprises publiques et a annoncé que l’ensemble du ministère de l’Energie serait réorganisé autour d’une nouvelle direction.

« Il est absolument inacceptable que, dans ce contexte, il existe également de tels stratagèmes dans le secteur de l’énergie », a déclaré Zelensky dans une allocution la semaine dernière. « A l’heure actuelle, nous devons tous protéger l’Ukraine. Si vous portez atteinte à l’Etat, vous devrez rendre des comptes. Si vous enfreignez la loi, vous devrez rendre des comptes. »

Daria Kaleniuk, cofondatrice du Centre d’action anticorruption, une organisation non gouvernementale, estime que Zelensky a la possibilité de devenir le Winston Churchill ukrainien à l’issue de la guerre, mais qu’il doit pour cela prendre des mesures décisives dès maintenant.

« Nous pourrons mieux lutter contre la Russie si la gouvernance s’améliore », poursuit Kaleniuk. Si Zelensky tente de tirer ses amis d’affaire, « cela ruinera le pays et entraînera sa propre perte », ajoute-t-elle.

La corruption est l’un des dossiers politiques les plus explosifs en Ukraine depuis que le pays a obtenu son indépendance de l’Union soviétique en 1991. La colère suscitée par les malversations au sein du gouvernement a contribué à alimenter la révolution de 2014, qui a renversé le président Viktor Ianoukovitch. Sa somptueuse résidence personnelle, qui comprenait une ménagerie d’animaux exotiques et des toilettes en or, a été transformée en musée de la corruption, ouvert au public. Le FBI américain a contribué à la création du NABU au lendemain de la révolution.

En 2020, une enquête du NABU sur un adjoint du chef de cabinet de Zelensky a été retirée à l’agence et confiée au procureur général, qui est nommé par le président, une décision largement considérée en Ukraine comme une tentative de protéger un allié politique du chef de l’Etat. L’affaire a depuis été classée

Lorsque Zelensky s’est présenté à l’élection présidentielle en 2019, il a fait de la lutte contre la corruption l’un de ses principaux chevaux de bataille. Au début de son mandat, il a enregistré des vidéos encourageant les citoyens à signaler tout acte répréhensible au NABU, qui opère en grande partie hors du contrôle du chef de l’Etat. Il a également créé un tribunal pour les affaires de haut niveau. L’un de ses associés, Ihor Kolomoïsky, est en détention provisoire pour fraude financière présumée. Ce dernier a nié avoir commis des actes répréhensibles.

Cependant, au fur et à mesure que le mandat de Zelensky dure dans le temps, des questions se posent quant à la détermination du président à éradiquer la corruption.

En 2020, une enquête du NABU sur un adjoint du chef de cabinet de Zelensky a été retirée à l’agence et confiée au procureur général, qui est nommé par le président, une décision largement considérée en Ukraine comme une tentative de protéger un allié politique du chef de l’Etat. L’affaire a depuis été classée. Le cabinet de Zelensky n’a pas répondu à une demande de commentaires.

Cette année, alors que l’enquête de la NABU sur la corruption chez Energoatom s’intensifiait, des responsables de l’agence ont déclaré avoir été confrontés à ce qu’ils ont qualifié de tentatives visant à entraver leur travail.

En juillet, un détective travaillant sur l’enquête, Ruslan Magomedrasulov, a été arrêté par les services de sécurité ukrainiens, connus sous le nom de SBU, dont le directeur est nommé par Zelensky. Il est toujours en détention provisoire, accusé d’avoir collaboré avec la Russie. Son père a également été interpellé.

L’avocate de Magomedrasulov, Olena Scherban, a déclaré que les accusations portées contre lui étaient montées de toutes pièces et visaient non seulement à entraver l’enquête sur Energoatom, mais aussi à découvrir les informations dont disposait le NABU ainsi qu’à dissuader l’agence de poursuivre les procédures contre les personnalités les plus puissantes du pays.

« Il s’agissait d’une tentative visant à mettre fin à l’opération spéciale du NABU », a affirmé Olena Scherban.

Le lendemain de l’incarcération de Magomedrasulov, le Parlement ukrainien a adopté un projet de loi qui privait le NABU et son agence sœur, le Bureau spécial du procureur anticorruption (SAPO), de leur indépendance, donnant ainsi au président un contrôle sur leurs activités. Zelensky a ratifié le projet de loi le jour même de son adoption, mais a rapidement fait marche arrière après le déclenchement de manifestations publiques dans tout le pays.

Les bouleversements politiques de juillet « ont clairement influencé l’enquête », baptisée « Midas », sur Energoatom, a déclaré Kryvonos, le directeur du NABU, dans une interview vidéo accordée à Ukrainska Pravda, un média ukrainien. « Si l’indépendance du NABU et du SAPO n’avait pas été rétablie à ce moment-là, l’opération Midas n’aurait tout simplement pas eu lieu. »

Kryvonos a déclaré que les fonds qui auraient été détournés dans le cadre de ce stratagème ont depuis été disséminés dans de nombreux pays étrangers et utilisés pour acheter des biens immobiliers et d’autres actifs.

Dans une série d’enregistrements rendus publics par les enquêteurs, des associés discutent de l’envoi de paiements de 6 millions de dollars, répartis en plusieurs tranches, à Mindich, en Suisse, où il achetait une maison.

Selon les gardes-frontières, Mindich a quitté le pays légalement la semaine dernière. Les enquêteurs ont assuré qu’ils n’avaient pas prévenu les gardes-frontières à l’avance de l’opération, au risque d’alerter les personnes mises en cause.

Kryvonos a ajouté que le NABU était toujours à la recherche des suspects dans le cadre de l’enquête.

« Nous identifierons chacun d’entre eux », a-t-il prévenu.

(Traduit à partir de la version originale en anglais par Grégoire Arnould)

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