
VALÉRY, TRÈS ACTUEL : NOTRE PRÉSENTATION
Paul Valéry, poète et philosophe français décédé en 1945, reste une figure d’actualité en 2025 à travers des hommages institutionnels et culturels liés à son œuvre et à son nom.
Un article récent du 9 décembre 2025 – proposé ci contre a votre lecture par METAHODOS – dans Le Point revisite un discours de Valéry de 1935 sur l’éducation, critiquant un « monde moderne » riche en esprit mais pauvre en savoir, une leçon jugée actuelle.
Paul Valéry, penseur attentif aux dynamiques intellectuelles et créatives, offre plusieurs éléments de sa philosophie qui résonnent avec les crises contemporaines comme :
– l’ère numérique,
– les mutations éducatives et
– les défis de la création artistique.
Sa conception de la « poïétique », centrée sur l’acte de créer plutôt que sur l’œuvre achevée, éclaire les débats actuels sur la recherche-création, où l’exécution prime sur le produit fini, invitant à une auto-interrogation éthique sur « Qu’est-ce que créer ? » dans un monde saturé d’informations.
Crises intellectuelles et éducation
Valéry critique un « monde moderne » abondant en esprit mais déficient en savoir structuré, une analyse reprise en 2025 pour dénoncer les faiblesses éducatives face à la superficialité informationnelle.
Dans un contexte de crises européennes persistantes, sa vision entre désespoir et espérance – forgée lors des guerres mondiales – inspire les réflexions sur la reconstruction sociétale et le rôle de l’esprit face aux tourmentes géopolitiques.
Son insistance sur la « cause de l’esprit » reste un appel à la lucidité intellectuelle en période d’instabilité.
Paul Valéry définit la notion de « faire » comme une activité fondamentale de l’esprit humain, distincte de la simple sensation ou de la réflexion abstraite, et centrée sur l’exécution concrète qui transforme les possibles en actes vérifiés.
Dans ses Cours de poétique, il décrit le processus « faire » en trois phases : un désordre initial des sensations, une accommodation et spécialisation progressive, puis la construction d’un appareil moteur qui exécute l’ordre, fermant ainsi le circuit entre sensibilité et action.
L’art, pour lui, n’est « qu’une manière de faire » qualifiée par une attention spéciale et une inégalité des modes d’opération, exploitant la gratuité des sensations sans utilité pratique immédiate, pour régénérer indéfiniment les aptitudes sensibles.
Cette conception éclaire l’ère numérique, où la prolifération de contenus éphémères oppose la superficialité informationnelle à un « faire » authentique et auto-réflexif, comme dans la recherche-création qui privilégie le processus sur le produit fini.
Face aux crises éducatives et artistiques actuelles, Valéry invite à valoriser l’exécution originaire contre la consommation passive, critiquant un monde « riche en esprit, pauvre en savoir » où l’action vérifie les possibles sans s’épuiser en vanité philosophique.
Son pragmatisme – comparant les mots philosophiques à des planches fragiles – reste un antidote à l’indéfini des débats virtuels, promouvant un art et une pensée qui actualisent l’inutile pour enrichir la sensibilité collective.
ARTICLE – « Beaucoup d’esprit, peu de savoir » : la leçon de Paul Valéry sur l’école
Bien avant que ne surgissent les débats sur les écrans en classe et l’essor de l’IA, le poète formulait déjà ses inquiétudes et sa vision de ce que devrait être l’éducation.
Dans un discours de 1935 qui apparaît si actuel, Paul Valéry constate que « le monde moderne, qui a prodigieusement modifié notre vie matérielle, n’a su se faire ni des lois, ni des mœurs, ni une politique, ni une économie, qui fussent en harmonie avec ces immenses changements, ses conquêtes de puissance et de précision ».
Dire d’un texte qu’« il est d’une modernité saisissante », cela a quelque chose de convenu, sans doute. Mais à la lecture du discours de Paul Valéry sur la mission de l’école prononcé en 1935, il devient difficile de résister à ce commentaire. Tiré de l’oubli par les éditions L’Éclaireur*, ce texte propose une méditation philosophique et poétique sur la mission de l’école.
« Hélas, jamais l’avenir ne fut si difficile à imaginer », déclare-t-il devant les élèves et professeurs réunis pour l’occasion. Prononcé en 1935 devant les écoliers de son ancien collège de Sète, le discours du membre de l’Académie française exprime son inquiétude face aux grandes métamorphoses d’une société moderne façonnée par le progrès technique. Il observe : « Le monde est devenu, en quelques années, entièrement méconnaissable aux yeux de ceux qui ont assez vécu pour l’avoir vu bien différemment. Songez à tous les faits nouveaux – prodigieusement nouveaux – qui se sont révélés à partir du commencement du siècle dernier. »
Le « portrait de la modernité » de Paul Valéry
À la lecture du texte, le lecteur pourrait être tenté de hausser les épaules : encore un penseur qui trouve que « tout va trop vite », comme tous les penseurs de tous les temps, ce qui inciterait à relativiser les discours semblables tenus aujourd’hui. Sauf que Paul Valéry n’a rien d’un réactionnaire : il ne déplore pas par principe, il tente de décrire une réalité – celle d’un progrès technique qui accélère tout à une vitesse inédite.
« C’est un portrait de la modernité », selon l’expression de Pierre-Henri Tavoillot, auteur de la postface. « On est en 1935, Hitler est au pouvoir depuis deux ans, les tensions en Europe montent et la technique vient accélérer le monde : les transports, la radio, les expérimentations sur la matière avec les travaux d’Einstein… On commence à maîtriser l’énergie et il voit bien que cette technique commence à dévorer la société traditionnelle, plutôt agraire, qui prévalait en Europe », souligne Frédéric Monlouis-Félicité, fondateur de la maison d’édition qui republie ce texte.
« Voir, c’est prévoir », disait Paul Valéry, « de sorte que nous ne pouvons nous empêcher de prévoir ». Or, en cette période d’entre-deux-guerres et d’expansion technique, il sent que l’avenir devient presque indéchiffrable. Aujourd’hui, alors que la crise écologique plonge une génération entière dans le brouillard et que les géants de la tech rivalisent pour imposer leurs utopies d’humain augmenté et de superintelligence artificielle, les mots de Paul Valéry résonnent plus que jamais.
« Le malaise actuel me paraît donc être une crise de l’esprit »
« Il (l’homme, NDLR) n’a presque rien su reconstruire dans l’ordre spirituel et social. Le monde moderne, qui a prodigieusement modifié notre vie matérielle, n’a su se faire ni des lois, ni des mœurs, ni une politique, ni une économie, qui fussent en harmonie avec ces immenses changements, ses conquêtes de puissance et de précision », constate-t-il, avant de conclure : « Le malaise actuel me paraît donc être une crise de l’esprit. »
C’est précisément pour combattre cette crise de l’esprit que l’école doit jouer son rôle. Le défi est herculéen, car, dit-il aux garçons assis devant lui, « il s’agit de faire de vous des hommes prêts à affronter ce qui n’a jamais été ».
Pour autant, Paul Valéry ne se rêve pas en ministre de l’Éducation proposant une énième réforme. Le rôle qu’il assigne à l’école est de former des esprits, non de se contenter d’empiler des connaissances. C’est alors qu’il prononce cette formule devenue célèbre : « Ce n’est pas tant la quantité du savoir qui importe, que la part que vous lui donnez en vous. Votre affaire et votre intérêt sont de vérifier toute cette matière intellectuelle. Un peu de savoir et beaucoup d’esprit, beaucoup d’activité de l’esprit, voilà l’essentiel. »
Ne pas attendre d’agir sous la pression des dangers
Et c’est un érudit, un académicien, qui le rappelle. Il n’est donc nullement question de renoncer à la transmission des savoirs. « Pour lui, l’école doit donner aux futurs adultes les moyens d’être capables, dans un monde dont on ignore le futur, de réagir – d’être flexibles, dirait-on aujourd’hui –, en tout cas d’avoir un esprit suffisamment bien formé pour pouvoir s’adapter à peu près à toutes les situations, qui sont par nature imprévisibles », explique encore Frédéric Monlouis-Félicité.
À l’heure de l’IA, quand on sait qu’il y a quarante ans la durée de vie d’une compétence technique était de trente-deux ans et qu’en 2021 elle n’était plus que de deux ans (selon l’OCDE), il devient urgent que l’école soit le lieu où se forment des esprits en activité. Il y a quatre-vingt-dix ans, Paul Valéry formulait déjà ce vœu : « Je voudrais seulement que nous les mettions en œuvre (les ressources, NDLR) avec plus de suite, et non seulement sous la pression des dangers. »