
ARTICLE – « Sans retour d’un esprit national, le service national volontaire voulu par Macron risque bien d’être voué à l’échec »
Par Thibault Tellier. 12/12/2025 à 17:30
Professeur des universités à Sciences Po Rennes, Thibault Tellier explique que le service national voulu par Emmanuel Macron échouera sans communauté nationale.
Le 27 novembre dernier, à Varces dans l’Isère, le chef de l’État a annoncé le retour en France du service militaire. Ou plutôt, du « service national volontaire » (SNV). Un « nouveau cadre pour servir au sein des armées » qui doit répondre à « l’envie d’engagement » des jeunes. Ce qui interroge nécessairement sur le rapport que les jeunes Français entretiennent avec l’idée même de la nation. En d’autres termes, existe-t-il encore un esprit national susceptible de nourrir le projet ? L’échec relatif du Service national universel (SNU) présenté par Gabriel Attal, alors Premier ministre, comme la pierre angulaire du « réarmement civique » voulu par Emmanuel Macron, devrait pourtant servir d’avertissement. Sans retour d’un esprit national, c’est-à-dire sans une certaine fierté d’appartenir à la Communauté nationale et aux valeurs qui la caractérisent comme la laïcité, l’opération risque bien d’être vouée à l’échec.
La conscription « universelle et obligatoire » est instituée par la loi Jourdan-Delbrel du 5 septembre 1798 et concerne tous les Français âgés de 20 à 25 ans. Elle vient parachever l’idée révolutionnaire du « citoyen-soldat » appelé sous les drapeaux pour défendre la patrie. C’est en 1889 que le service militaire universel prend réellement tout son sens, puisque désormais, les moyens légaux pour y échapper (tirage au sort et remplacement) sont abolis. À l’heure de la célébration du centenaire de la Grande révolution, la Troisième République s’impose à tous et peut alors développer son catéchisme républicain.
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La conscription nationale en fait partie. Comme l’affirme Ernest Renan dans sa célèbre conférence, « Qu’est-ce qu’une nation ? », de 1882, « l’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours ». Jusqu’en 1914, le service national constitue un marqueur fort, permettant à des jeunes hommes qui n’avaient jusqu’ici jamais quitté leurs terroirs de découvrir d’autres contrées et de se mélanger aussi à d’autres cultures. L’apprentissage de la langue française constitue un élément incontournable de la modernisation du pays. Le résultat est tel qu’en 1914, c’est la règle du consentement national qui s’impose à tous au travers de l’union sacrée.
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Gauche comme droite, malgré leurs profondes divisions, surent les dépasser au nom de l’intérêt supérieur de la nation. Jean Jaurès le paya de sa vie, lui qui avait écrit : « Sans la République, le socialisme est impuissant, sans le socialisme, la République est vide ». Depuis, une grande partie de la gauche a fui les débats sur la question nationale. Dans ce combat, Jean-Pierre Chevènement est apparu bien seul…
UNE PERTE DE SENS PROGRESSIVE
Après les deux guerres mondiales, l’esprit national tend toutefois à reculer, notamment face à la diffusion de la société de consommation qui, un peu plus à la fois, prend le dessus sur l’idée du sacrifice patriotique. La guerre d’Algérie constitue à cet égard un basculement, et Mai 68 porta un coup rude à l’idée nationale. Progressivement, l’institution du service national fut de plus en plus perçue comme dépassée, y compris par le prisme du cinéma comme dans le film de Claude Berri, Le Pistonné, sorti en 1970. Il est vrai que le patriotisme est passé de mode.
Sans minorer les bouleversements géopolitiques ouverts en 1989, il apparaît que ce sont les fondations politiques nationales qui se fissurent de plus en plus fortement qui expliquent ce retrait de l’esprit national. À partir du traité de Maastricht en 1992, l’avenir de la France s’écrit ailleurs que sur le sol national. Les lois de décentralisation votées dix ans plus tôt ont également participé à la déconstruction d’un État qui tenait jusqu’alors les destinées de la nation dans ses mains. À cela, il faut ajouter un troisième facteur. Celui du multiculturalisme imposé à bas bruit par les pouvoirs publics et qui se révéla également être un agent très actif en matière de dilution de l’esprit national. Dès lors, pourquoi garder une institution qui ne répondait plus à l’air du temps et qui est coûteuse ? Le 22 février 1996, Jacques Chirac, alors chef de l’État, annonce la suspension du service national.
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La loi, votée par le Parlement le 28 octobre 1997, s’applique à tous les Français nés après le 31 décembre 1978. À partir de 2002, une journée défense et citoyenneté (JDC) a été instaurée pour les garçons et les filles entre 16 à 25 ans. Il s’agit de leur fournir une information sur le fonctionnement de l’armée, ainsi que le passage à un examen de lecture. On est alors très loin de l’esprit initial qui avait présidé à l’instauration du service militaire à la fin du XIXe siècle. Mais l’institution était-elle pour autant définitivement périmée ?
LES CONDITIONS DE RÉUSSITE PEUVENT-ELLES ÊTRE RÉUNIES ?
Au début du XXIe siècle, plus personne ne croit réellement à la fin de l’Histoire et à l’idée de l’avènement de la démocratie comme seul horizon. Après la guerre de Yougoslavie qui aurait pu apparaître comme l’ultime spasme du XXe siècle, la guerre fait son grand retour sur le sol européen. L’agression russe contre l’Ukraine qui s’est systématisée à partir de 2022 rappelle que le temps des grandes nations impérialistes est redevenu une réalité. À la Russie, il faudrait également ajouter la Chine, et aussi d’une certaine manière, les États-Unis dirigés par Donald Trump. L’idée de la souveraineté nationale revient dès lors au premier plan de l’actualité. L’instauration d’un nouveau service national procède en quelque sorte de cette redécouverte. Mais dans ces circonstances, comment la France pourrait-elle y parvenir alors que l’idée du consentement national est en net recul, pour ne pas dire en voie de disparition ?
De ce point de vue, plusieurs présupposés sont nécessaires. Il s’agit tout d’abord de mettre un terme à l’auto-détestation qui se pratique en France. Toute expression patriotique est perçue par certains comme une marque de chauvinisme insupportable. La référence à des symboles républicains comme la Marseillaiseou le drapeau national est rejetée, voir conspuée. Il est donc urgent de redonner à la notion de patrie tout son sens, loin des stéréotypes véhiculés par une certaine gauche qui se proclame désormais a-nationale.
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Il s’agit également de réfléchir à ce qui nous unit plutôt qu’à ce qui nous différencie. Il est certain que certaines lois comme celle qui acte le principe de différenciation (loi de 2022 dite « 3DS ») ne contribuent pas forcément à encore faire de l’esprit national un horizon partagé. Pourtant, l’histoire nous enseigne que la diffusion de l’esprit républicain durant la Troisième République ne s’est pas faite en réalité systématiquement contre les singularités provinciales, et qu’à côté de la Grande Nation, les « petites patries » ont continué à exister.
L’IDENTITÉ DE LA FRANCE
Enfin, il conviendrait de redonner à certains mots tout leur sens. Loin des invectives et des crispations nationales, il faudrait réinterroger ce qui constitue l’identité de la France telle que l’avait fait Fernand Braudel il y a quarante ans. Ce qui supposerait, il est vrai, une classe politique réellement consciente de cette nécessité et de la hauteur de vues pour y parvenir. Mais la fracture avec le peuple n’est-elle pas suffisamment béante pour empêcher une telle entreprise ? Qui, aujourd’hui, de tous nos responsables politiques, est réellement en capacité de s’adresser sur un mode gaullien au « cher et vieux pays »
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » est la première référence que l’on peut lire dans la Constitution. Mais ces principes ont-ils réellement survécu aux tourments du temps …
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