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La guerre des identités aura-t-elle lieu?

Le monde universitaire et médiatique est secoué par un violent conflit entre tenants des études de genre, féministes et décoloniales, et leurs adversaires. Certains points d’accord peuvent-ils les réconcilier ? Peut-on tirer le meilleur de ces études sur l’identité sans forcément devenir un militant ? Trois chercheurs aux profils très divergents répondent. 

ARTICLE

La guerre des identités aura-t-elle lieu ?

Michel Eltchaninoff  – 18 février 2021 – Philosophie Magazine

Le 13 janvier dernier, plus de 70 universitaires ont lancé un « Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires ». 

Dénonçant « une vague identitaire sans précédent au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche », ils s’alarment du « relativisme extrême » qui, à leurs yeux, sous-tend ces recherches : « Tout savoir est exclusivement réduit à des enjeux de pouvoir, et les sciences sont systématiquement dénoncées du fait des dominations de race, de culture, de genre, qui seraient à leur fondement. » Ils vont même jusqu’à signaler « des phénomènes de censure, d’intimidation, de discrimination politique [qui] ont instauré des clivages inédits et conduisent de jeunes doctorants à s’aligner sur les nouveaux mandarins, sous peine de ne jamais obtenir de poste ». Ils lancent enfin l’accusation suprême : « C’est précisément parce qu’il est crucial de combattre les discriminations racistes et sexistes dans notre société qu’il est nécessaire de lutter contre ces nouvelles formes de fanatisme. » Ce que dans le langage commun on appelle désormais « le racisme à l’envers » autoriserait à « essentialiser » les personnes et les savoirs. Parmi les premiers signataires, la sociologue Nathalie Heinich, les philosophes Michel Fichant, Pierre-Henri Tavoillot ou Jean-François Braunstein. 

“Tout savoir est réduit à des enjeux de pouvoir, et les sciences sont systématiquement dénoncées du fait des dominations de race, de culture, de genre”
Jean-François Braunstein

Cette initiative n’est que l’un des épisodes d’une guerre intellectuelle qui prend une ampleur inédite. D’un côté, les représentants des études décoloniales et de genre ; de l’autre, leurs adversaires, qui se réclament de l’universalisme. Quand les premiers sont taxés de racisme à l’envers, les seconds entendent siffler à leurs oreilles des « OK, boomer » qui les vouent aux poubelles de l’histoire. Mais que fait-on lorsqu’on a le sentiment de n’appartenir à aucun des camps ? Lorsqu’on s’intéresse au renouvellement conceptuel apporté par les studies mais qu’on répugne à ne voir dans la culture occidentale qu’une entreprise de domination ? Existe-t-il des terrains d’entente ou au moins des sujets sur lesquels ces deux camps pourraient se remettre à discuter ?

Un nouveau stalinisme ?

Jean-François Braunstein n’est pas du tout en odeur de sainteté parmi les tenants des études sur les identités. 

Il a signé le manifeste de l’Observatoire du décolonialisme et une tribune dans Le Monde en octobre 2020 – « Sur l’islamisme, ce qui nous menace, c’est la persistance du déni » – qui met en garde contre « l’indigénisme ». Ce professeur à l’université Panthéon-Sorbonne, spécialiste d’histoire et de philosophie des sciences, a publié en 2018 un essai très documenté, La Philosophie devenue folle. Le genre, l’animal, la mort (Grasset). Il y étrille la philosophie américaine qui apporte les réponses « les plus absurdes et les plus choquantes » aux questions liées à l’identité de genre ou de race…

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