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LE RAPPORT DU GIEC, « AVERTISSEMENT LE PLUS SÉVÈRE JAMAIS LANCÉ »

Quelles seront les températures, les pluies, les canicules de demain ?

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) se donne pour mission ( ambition ) de définir quelles seront les températures, les pluies, les canicules de demain ? Il a publié lundi un document très attendu actualisant le socle de connaissances sur le climat passé, actuel et futur. Nous reprenons ici quelques éléments factuels ou prévisionnels qui éclairent l’enjeu climatique en reprenant des déclarations faites par des responsables et membres du GIEC.

«Toutes les régions du monde» sont déjà affectées par des dérèglements «sans précédent» et grandissants, résume le rapport. «Le changement climatique est en train de se dérouler sous nos yeux, on en a la confirmation», pointe le climatologue Robert Vautard, un des auteurs. Les scientifiques soulignent aussi que la montée des eaux, l’acidification des océans, la fonte des calottes et glaciers sont «irréversibles» d’ici des centaines ou des milliers d’années. Il s’agit du premier de trois volets qui formeront, d’ici 2022, le sixième rapport d’évaluation du Giec, dont la dernière édition remonte à 2013-2014.

Grâce à la combinaison d’outils plus perfectionnés, les incertitudes sont de moins en moins nombreuses

«Le seuil de +1,5°C [par rapport à l’époque préindustrielle] sera franchi à court terme, avant 2040. C’est acté», pointe le climatologue Christophe Cassou, autre auteur principal du rapport. La date fatidique est mieux estimée dans ce nouveau rapport et arrivera plus tôt que prévu, puisque le Giec tablait auparavant sur un franchissement entre 2030 et 2052. Ce premier volet se base sur plus de 14 000 articles scientifiques et alimentera les discussions lors de la COP 26 à Glasgow en novembre. Avant la suite de la trilogie abordant les pistes d’adaptation et d’atténuation du changement climatique.

Un chapitre entier traite des événements extrêmes

Pour la première fois dans un rapport général du Giec, les événements extrêmes, sujet brûlant de cet été 2021, sont traités dans un chapitre à part entière. Idem pour les projections climatiques à l’échelle des sous-continents pour permettre aux décideurs politiques de mieux saisir quel sera demain le cocktail de changements au niveau local. Un atlas interactif permet même de visualiser à quel point les différentes parties du monde sont et seront touchées. «Le but est de fournir une information utile à l’action et en matière d’adaptation», explique Christophe Cassou, certain que «nous avons encore la possibilité de limiter les dégâts». «Il n’y a pas le temps d’attendre et pas de place pour les excuses», a insisté le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, réclamant que la prochaine COP soit un «succès», après cette «alerte rouge pour l’humanité» lancée par le Giec. Libération fait le point sur les enseignements à retenir.

Il y aura dans tous les cas «de plus en plus d’événements extrêmes sans précédent», note la cinquantaine de scientifiques, sur 234 participants, mobilisés pour l’écriture du rapport. Ils insistent sur le fait que «chaque fraction de degré supplémentaire de réchauffement planétaire entraîne des augmentations clairement discernables de l’intensité et de la fréquence des extrêmes de chaleur, y compris les vagues de chaleur, des fortes précipitations, ainsi que des sécheresses agricoles et écologiques dans certaines régions».

Globalement, les pluies «extrêmes» devraient s’intensifier d’environ 7 % pour chaque degré de réchauffement planétaire. Dans un monde à +4°C, des événements qui se produisaient une fois tous les dix ans arriveront plus souvent : les températures extrêmes séviront neuf années sur dix, les précipitations intenses près de trois ans sur dix et les sécheresses quatre ans sur dix. D’ici la fin du siècle, les canicules marines pourraient se répéter tous les ans sur les côtes européennes de la Méditerranée, seront plus intenses et plus longues qu’aujourd’hui.


«Chacune des quatre dernières décennies a été successivement plus chaude que toute décennie qui l’a précédée depuis 1850.»

Dans son résumé à l’attention des décideurs de 40 pages tout de même (approuvé à l’unanimité par les représentants de 195 pays), le Giec précise que le climat se réchauffe à un «rythme sans précédent», jamais connu depuis au moins deux mille ans. Les concentrations en CO2 dans l’atmosphère (en 2019) sont, elles, au plus haut depuis au moins 2 millions d’années. Les auteurs écrivent, pour la première fois aussi clairement, qu’il «est sans équivoque que l’influence humaine a réchauffé l’atmosphère, l’océan et la terre». Et ce à cause de la grande quantité de gaz à effet de serre (CO2, méthane, oxydes d’azote…) émise, qui a mené à «des changements généralisés et rapides». Résultat : «Chacune des quatre dernières décennies a été successivement plus chaude que toute décennie qui l’a précédée depuis 1850.» Où en est le réchauffement actuellement ? Nous nous approchons rapidement des +1,5°C, seuil sous lequel il faudrait rester pour limiter les ravages du changement climatique, mais que nous atteindrons certainement d’ici vingt ans. Sur les vingt dernières années, la température moyenne à la surface de la planète dépasse de 1°C celle de l’ère préindustrielle (1850-1900) et le thermomètre monte plus vite sur terre que dans les océans. «Le réchauffement climatique observé sur la dernière décennie, probablement la plus chaude depuis au moins 100 000 ans, est entièrement attribuable aux activités humaines. C’est vertigineux», ajoute Christophe Cassou.

Sur terre, certaines régions de latitude moyenne et semi-arides ou encore d’Amérique du Sud devraient se réchauffer jusqu’à deux fois plus vite que le reste du monde et exploser les records de températures. Pire pour l’Arctique, qui montera en température trois fois plus vite qu’ailleurs, avec +6°C dans un monde à +2°C. Enfin, la proportion des cyclones de niveau 4 à 5 (les pires) devrait encore augmenter, ainsi que les pics de vents qui y sont associés.

Cinq scénarios socio-économiques

Dans ce premier volet, le Giec a retenu cinq scénarios socio-économiques possibles. Dans le scénario intermédiaire (si les émissions restent en l’état actuel jusqu’au milieu du siècle), nous nous dirigeons vers un monde à +2,7°C. Dans les scénarios à faibles émissions, où la neutralité carbone serait atteinte à partir de 2050, nous pourrions bien limiter le réchauffement à +1,5°C ou 2°C. Mais la machine à CO2 étant déjà bien lancée, le thermomètre «continuera d’augmenter jusqu’au milieu du siècle dans tous les scénarios d’émissions envisagés», avant de se stabiliser voire redescendre un peu. Au milieu du siècle, les températures devraient ainsi être comprises entre +1,6°C (meilleur des cas) et +2,4°C (pire des cas).


Les perturbations pour le cycle de l’eau et des puits de carbone

Au cours du reste du XXIe siècle, les océans se réchaufferont probablement en moyenne entre 3 et 6 fois plus que durant la période 1971 à 2018. L’acidification des océans, qui pompent une partie de l’excès de CO2 de l’atmosphère, s’amplifiera et aggravera du blanchissement des coraux. L’accélération du dégel du permafrost (terres gelées) est aussi au programme, ainsi que la diminution des quantités de neige. La fonte des calottes va se poursuivre et l’océan Arctique pourrait être libre de glace au moins une fois pendant l’été d’ici 2050 et ce quel que soit le scénario d’émission. «Mais la différence entre les scénarios est très importante après 2050. Avec +1,5 ou +2°C on garde de la banquise quasiment tous les étés d’ici la fin du siècle, alors que dans les autres scénarios c’est peu probable», note Robert Vautard.

En conséquence, à l’horizon 2100, la hausse du niveau des mers est estimée à, grand minimum, 28 centimètres et, grand maximum, 1 mètre. Cela mènera à plus d’inondations sévères, surtout pour les villes côtières et territoires déjà menacés de submersion dans les îles du Pacifique, en Amérique du Nord et en Europe. De tels événements, qui se produisaient une fois en cent ans, pourraient frapper chaque année d’ici la fin de ce siècle selon le Giec.

Enfin, bien que «peu probables», des événements à haut risque tels que l’effondrement de la calotte glaciaire, la hausse du niveau des mers de 2 mètres d’ici 2100 voire de 5 mètres en 2150, les changements brusques de la circulation océanique, le dépérissement des forêts ou un réchauffement considérablement plus important que prévu «ne peuvent être exclus» et ces risques doivent être pris en compte par les décideurs, signale le Giec. «Cela peut se produire quel que soit le réchauffement», avertit Christophe Cassou.


« Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre deux ans, cinq ans, 10 ans »

Le rapport du Giec « va être un signal d’alarme pour tous ceux qui n’ont pas encore compris pourquoi la prochaine décennie doit être absolument décisive en termes d’action pour le climat », insiste Alok Sharma, qui ajoute que « nous allons également comprendre très clairement que l’activité humaine est à l’origine du changement climatique à un rythme alarmant ».

Un échec de la COP26 serait « catastrophique, il n’y a pas d’autre mot », estime un ministre Britannique, qui souligne que « l’année dernière a été la plus chaude jamais enregistrée, la dernière décennie a été la plus chaude jamais enregistrée ».

Les conséquences du réchauffement climatique sont déjà évidentes, a-t-il poursuivi citant les inondations en Europe et en Chine, « les incendies de forêt, les températures record que nous avons vues en Amérique du Nord ».

Les éléments à surveiller dans le nouveau rapport : Nous vous proposons l’article d’ Alex Crawford, University of Manitoba, paru dans The Conversation



ARTICLE

Cinq points à surveiller dans le rapport du GIEC sur le climat

6 août 2021, Alex Crawford, University of Manitoba? The Conversation

 
Le 9 août, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publie son rapport le plus complet sur la science du changement climatique depuis 2013. Il s’agit du premier des quatre rapports publiés dans le cadre du dernier cycle d’évaluation du GIEC, les rapports suivants devant l’être en 2022.

Au cours des huit dernières années, les climatologues ont amélioré les méthodes qu’ils utilisent pour mesurer différents aspects du climat et pour modéliser (ou projeter) ce qui pourrait se passer à l’avenir. Ils ont également observé les changements qui se sont produits sous nos yeux.

Cette évaluation actualisée survient trois mois avant que les dirigeants mondiaux ne se réunissent à Glasgow, en Écosse, afin de trouver des moyens d’éviter les pires effets du changement climatique et renouveler leurs engagements en matière de réduction des gaz à effet de serre. Elle intervient également au milieu d’une nouvelle année marquée par d’intenses vagues de chaleur, des sécheresses, des incendies de forêt, des inondations et des tempêtes.

Le rapport fournira aux décideurs politiques les meilleures informations disponibles concernant la science du changement climatique. Cela est essentiel pour la planification à long terme dans de nombreux secteurs, des infrastructures à l’énergie en passant par le bien-être de la société.

Voici cinq éléments à surveiller dans le nouveau rapport :

1. Dans quelle mesure le climat est-il sensible à l’augmentation du dioxyde de carbone ?

Les niveaux de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère sont plus élevés aujourd’hui qu’ils ne l’ont été en 800 000 ans, atteignant 419 parties par million (ppm) en mai 2021. La température moyenne de la planète augmente avec chaque augmentation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère, mais l’ampleur de cette augmentation dépend de nombreux facteurs.

Les climatologues utilisent des modèles pour comprendre l’ampleur du réchauffement qui se produit lorsque les concentrations de CO2 doublent par rapport aux niveaux préindustriels — de 260 ppm à 520 ppm — un concept appelé « sensibilité du climat ». Plus le climat est sensible, plus les émissions de gaz à effet de serre doivent être réduites rapidement pour demeurer sous les 2 C.


Les modèles climatiques plus anciens estimaient qu’un doublement du CO2 atmosphérique entraînerait une augmentation de la température de 2,1 C à 4,7 C. Les derniers modèles climatiques, appelé CMIP6 (pour « projet d’intercomparaison des modèles couplés »), a élargi la fourchette entre 1,8 C à 5,6 C, ce qui signifie que le climat est au moins aussi sensible à un doublement du dioxyde de carbone que ne le montraient les modèles précédents, mais qu’il pourrait, en fait, l’être encore plus.

Sensibilité du climat à l’équilibre à partir des trois dernières grandes intercomparaisons de modèles climatiques. (Note: il n’y a pas eu de CMIP4.) | Données: GIEC, graphique: Alex Crawford

Cette fourchette est influencée par les incertitudes liées à un certain nombre de facteurs, notamment la vapeur d’eau et la couverture nuageuse, et la manière dont ils vont augmenter ou diminuer les effets du réchauffement. Les scientifiques s’efforcent de réduire la fourchette des projections climatiques afin de mieux savoir à quel rythme nous devons réduire les émissions de gaz à effet de serre pour éviter les pires effets du changement climatique et nous adapter aux autres.

2. Que se passe-t-il avec les nuages ?


Les nuages sont un joker dans le jeu du changement climatique. Ils créent des rétroactions sur le réchauffement : celui-ci modifie la couverture nuageuse, mais cette dernière peut également accélérer ou ralentir le réchauffement dans différentes situations.

Les nuages réfléchissent environ un quart de la lumière solaire entrante loin de la Terre. Ainsi, si un réchauffement plus important entraîne une augmentation des nuages, on peut s’attendre à ce que davantage de lumière solaire soit réfléchie, ce qui ralentit le réchauffement. Cependant, les nuages isolent également la Terre, en retenant la chaleur dégagée par la surface. Ainsi, l’augmentation de la couverture nuageuse (par exemple pendant la nuit) pourrait amplifier le réchauffement.

Deux questions s’imposent : d’abord, de nombreux facteurs, dont le type de nuage, l’altitude et la saison, déterminent l’effet global d’un nuage sur le réchauffement. Puis les nuages sont extrêmement difficiles à modéliser : la façon dont les modèles tiendront compte de ces facteurs est la clé pour évaluer la gamme de sensibilité du climat.

3. Les changements climatiques ont-ils alimenté les récents phénomènes météorologiques extrêmes ?

Depuis le dernier rapport du GIEC, notre capacité à évaluer l’impact du réchauffement climatique sur les événements extrêmes s’est considérablement améliorée. Le chapitre 11 du dernier rapport y est consacré.

Le réchauffement climatique se traduit par des vagues de chaleur estivales plus fortes et des nuits tropicales plus fréquentes (températures supérieures à 20 °C) aux latitudes moyennes, comme au Canada et en Europe.

L’air plus chaud peut contenir plus d’eau. Cela peut entraîner une plus grande évaporation des terres et provoquer des sécheresses et des incendies de forêt. En outre, une atmosphère contenant plus d’eau peut produire davantage de précipitations et d’inondations.

Il y a plusieurs décennies, les scientifiques prévoyaient que ces changements dans le cycle de l’eau se produiraient. Mais il est devenu évident aujourd’hui qu’ils se produisent déjà.

4. Les projections climatiques régionales se sont-elles améliorées ?

Les modèles climatiques évalués par le GIEC sont des modèles globaux. Cela est essentiel pour saisir les liens entre les tropiques et les pôles ou entre la terre et l’océan. Cependant, cela a un coût : les modèles ont du mal à simuler de nombreux éléments d’une taille inférieure à 100 kilomètres, comme les petites îles, ou des événements comme des petites tempêtes.

Les relations régionales peuvent être complexes : par exemple, les tempêtes extrêmes contribuent à briser la glace de la mer arctique, en été, mais la réduction de la couverture de glace de mer peut également entraîner des tempêtes plus fortes.

Depuis le dernier rapport du GIEC, les techniques permettant d’exploiter ces informations à grande échelle et de les affiner ont montré comment le climat régional et local a changé et pourrait changer à l’avenir. D’autres expériences portent sur des questions régionales, comme les répercussions de la perte de la banquise arctique sur les tempêtes.

5. Comment les calottes glaciaires de l’Antarctique contribueront-elles à l’élévation du niveau de la mer ?

Le niveau mondial de la mer augmente parce que l’eau se dilate légèrement lorsqu’elle se réchauffe. Les glaciers de montagne et la calotte glaciaire du Groenland fondent et ajoutent de l’eau aux océans.

Mais la plus grande source potentielle d’élévation du niveau de la mer au cours du prochain siècle est l’Antarctique. Les modèles concernant les calottes glaciaires montrent que leur fonte en Antarctique ajoutera entre 14 et 114 centimètres à l’élévation du niveau de la mer d’ici 2100. Il s’agit d’une fourchette énorme, et tout dépend si la calotte glaciaire de l’Antarctique occidental reste relativement stable ou si elle commence à s’effondrer lentement mais sûrement.

La façon dont le GIEC communique ses connaissances scientifiques aura un impact sur la manière dont les communautés côtières planifient l’élévation du niveau de la mer. Les villes de faible altitude, comme Lagos, au Nigeria, pourraient devenir inhabitables d’ici la fin du siècle en raison de l’élévation du niveau de la mer, en particulier si les estimations les plus élevées des modèles s’avèrent justes.

Le sort de la calotte glaciaire de l’Antarctique occidental repose sur le glacier Thwaites. Si le front du glacier Thwaites se brise, une masse de glace encore plus grande se mêlera aux eaux chaudes. (Karen Alley)

Le rapport du GIEC permettra aux décideurs de mieux comprendre comment le changement climatique nous affecte aujourd’hui. Cela sera particulièrement utile pour mettre en place des stratégies d’adaptation à court terme.

Mais à mesure que la science s’améliore, les perspectives de changements climatiques deviennent plus sombres. Les grandes incertitudes qui subsistent signifient que les climatologues ont devant eux un travail considérable.

La version originale de cet article a été publiée en anglais.

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