
« L’absence de délibération collective autour d’un projet commun empêche toute projection positive »
« Hôpital, transports, nucléaire, les piliers du modèle français sont en crise au moment où la transition écologique oblige à repenser le mode de développement. Mais l’absence de délibération collective autour d’un projet commun empêche toute projection positive, observe Françoise Fressoz, éditorialiste au « Monde », dans sa chronique. » Précise Le Monde en introduction à l’article proposé ici.
CHRONIQUE Extrait
« Depuis le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, les plans s’enchaînent sans pour autant freiner l’idée du délitement »
Françoise Fressoz. éditorialiste au « Monde » 6 décembre 2022
Et demain, qu’est-ce qui va nous tomber sur la tête ? Depuis la pandémie, les Français passent d’une crise à l’autre avec la désagréable impression que le sol se dérobe sous leurs pieds. Ces derniers mois, c’est le retour de l’inflation qui tourneboule leur quotidien. Ils ne sont cependant pas les plus à plaindre en Europe. En novembre, la hausse des prix sur un an a atteint 6,2 % en France. Elle représentait près du double en Italie et en Allemagne. Les Français ne sont pas non plus les plus mal aidés.
Depuis 2021, l’Etat a mis sur la table plus de 110 milliards d’euros d’argent public pour amortir l’effet de la flambée des prix de l’énergie sur le portefeuille des particuliers, des entreprises et des collectivités locales. Il l’a fait sans hésiter, au prix d’une prolongation de la politique du « quoi qu’il en coûte » qui commence à inquiéter la Cour des comptes, Bruxelles et le Fonds monétaire international au regard du niveau de l’endettement national.
Les Français, enfin, ne sont pas les plus mal placés économiquement avec une croissance qui, certes ralentit, mais résiste mieux qu’en Allemagne. Si tout ne se passe pas plus mal, ils devraient être épargnés par la récession, mot qui fait tellement peur, l’an prochain.
La relation quotidienne du conflit en Ukraine assure, en ce moment, l’essentiel de l’audience des chaînes d’information en continu. Elle aide les téléspectateurs à relativiser leurs propres difficultés et à prendre conscience du changement d’époque : avec le retour de la guerre sur le continent, l’Union européenne découvre ses fragilités. L’élaboration au forceps d’une souveraineté d’abord économique et peut-être un jour militaire s’effectue au prix de tensions internes qui ajoutent encore au trouble.
Un coup porté au moral de la nation
L’instabilité est source de vulnérabilité. La vulnérabilité éprouvée par les Français n’est cependant pas entièrement imputable à l’environnement international.
Des facteurs plus nationaux aggravent l’impression de crise sans fin, voire de délitement, pour ne pas dire de déclassement. Ici, ce sont des transports publics incapables de répondre à la demande, faute de matériel et de conducteurs. Là, c’est un hôpital qui craque et demain peut-être, si le froid s’accentue, ce seront des coupures de courant organisées pour pallier l’insuffisance de l’offre directement liée à la difficile maintenance du parc nucléaire. La fée électricité s’est envolée.
L’hôpital public, la SNCF, EDF ont pour particularité d’être des piliers du modèle français. Ils étaient jusqu’à une date récente un sujet de fierté. On les a vus se fragiliser au cours des dernières décennies, mais pas au point de penser qu’ils ne pourraient plus, un jour, remplir correctement leur mission de service public. Leur possible défaillance porte un coup au moral de la nation et oblige l’exécutif à d’improbables contorsions : rassurer l’opinion tout en la préparant au pire. A l’impossible nul n’est tenu.
…/…