ÉMISSION
S’engager, est-ce perdre ou affirmer sa liberté ?
Vendredi 10 février 2023 FRANCE INTER
La question et l’alternative qu’elle présente est à la fois un peu brutale et un peu massive, mais elle me semble nécessaire dans notre époque où l’on nous promet partout des possibilités nouvelles, mais toujours « sans engagement ».
Aujourd’hui, on s’abonne à tout et n’importe quoi « sans engagement », comme si cette absence d’engagement était la nouvelle condition pour préserver son indépendance et rester libre de partir ou de rester quand on le souhaite. Comme si c’était non pas l’engagement, mais le désengagement qui devenait précisément le gage de notre liberté.
Il est vrai que s’engager, comme le mot même l’indique, c’est « mettre en gage », une partie de soi ou de ses moyens et que cela constitue donc un lien et des obligations dont on est désormais responsable. Et cela peut venir réduire une certaine indépendance. Mais n’allons pas trop vite !
Quand on s’engage, il y a ce petit s’apostrophe devant qui change tout. Cela indique que c’est bien moi qui m’engage, que l’engagement relève bien d’un choix libre et réfléchi. Alors certes, je me lie à une cause, à une personne ou à des services, mais je l’ai décidé et à travers cette décision, je décide d’en assumer les obligations nouvelles que cette décision fait naître.
Comment pourrait-on librement choisir de s’engager et de considérer ensuite que l’engagement réduit la liberté ?
Voilà, c’est tout le problème. Difficile en effet de décider de se marier et dans le même temps de redouter les obligations du mariage. Parce que décider de se marier, c’est précisément faire le choix de lier son amour à un certain régime d’obligation librement choisi.
Et pour tous ceux et toutes celles qui ne seraient pas encore convaincues, je vous propose d’en rajouter trois couches à travers trois raisons de plus de penser que nos engagements font du bien à notre liberté.
Le premier argument est un argument logique : refuser de s’engager, c’est toujours un engagement. Celui qui comme Dom Juan par exemple refuse tout lien, tout attachement durable, toute obligation, s’engage d’une certaine manière dans la voie opposée, à n’être que dans la séduction et dans le plaisir.
Le deuxième argument, c’est la raison existentielle du premier : l’existence est en elle-même un engagement. Comme l’affirmait Sartre dans la conférence L’existentialisme est un humanisme : l’homme est « condamné à être libre », ce qui signifie qu’il n’a pas le choix de s’engager ou non, mais qu’il est toujours déjà engagé, dans l’existence. À nous alors de donner du sens à cet engagement fondamental, en nous orientant vers tel ou tel engagement plus particulier. Autrement dit, il faut redéfinir la liberté à partir de l’engagement : si nous sommes libres, c’est parce que nos existences sont des engagements, des projets à réaliser, des aventures à mener et non pas de simples destins dans lesquels tout serait écrit à l’avance.
Le troisième argument enfin un argument moral. Comme le remarque cette fois Rousseau, il n’est pas possible de renoncer librement à sa liberté. Donc tous les engagements que nous prenons, nous les prenons parce que nous pensons, d’une manière ou d’une autre qu’ils augmentent notre liberté. Si ce n’est pas le cas, ce n’est pas des engagements, mais des embrigadements ou de la manipulation. En augmentant notre liberté, ces engagements nous donnent donc toujours plus de pouvoir sur nous-mêmes pour nous changer, nous transformer et nous rendre meilleurs.
Et qui ne voudrait pas devenir meilleur ?
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