
VERTICALITÉ, ABSENCE DE DÉBAT ET DE PRÉPARATION DES DÉCISIONS
Extrait de l’article ci Contre : « Verticalité versus horizontalité : un affrontement binaire que certains appellent à dépasser. « L’approche institutionnelle classique reste attachée à la question de savoir qui prend la décision ou qui fait la loi, avance ainsi l’ancien député Les Républicains François Cornut-Gentille. On peut préférer plutôt l’exécutif ou le législatif, ou introduire plus de participatif. Mais tout cela est hors sujet. Le problème d’aujourd’hui n’est pas la décision, mais la préparation de la décision, qui est insuffisante, voire inexistante. » »
CHRONIQUE
« Macron se retrouve en difficulté car nos institutions n’arrivent plus à générer suffisamment de consensus et de force politique »
Solenn de Royer. Publié le 07 mars 2023 LE MONDE
La Constitution de 1958 se voit aujourd’hui présentée comme génératrice de tous les maux (abstention, fatigue démocratique, impuissance publique), constate dans sa chronique Solenn de Royer, journaliste au service politique du « Monde ».
A chaque crise, une réponse censée redonner de la « souveraineté » au « peuple ». Pour sortir de celle des « gilets jaunes », Emmanuel Macron avait lancé le grand débat. Pour dépasser celle des retraites – qui laissera des traces –, il vient de relancer le périlleux chantier des institutions, la réforme actuellement au Sénat illustrant un certain nombre de dysfonctionnements.
Lire le décryptage : Réforme des retraites : avant la mobilisation du 7 mars, le gouvernement fébrile face au « blocage » annoncé
Contestée par une majorité de Français, notamment ceux qui disent avoir voté Macron pour barrer la route au Rassemblement national et non pour son projet, celle-ci est jugée parfaitement légitime par le chef de l’Etat, qui rappelle avoir été élu en ayant promis de relever l’âge de départ. Ce conflit de légitimité, doublé d’un mouvement social qui devait bloquer le pays mardi 7 mars et de multiples débordements à l’Assemblée nationale, conduit certains à reposer la sempiternelle question : la France est-elle encore gouvernable ?
La politiste Chloé Morin tente d’y répondre dans un livre, On aura tout essayé… (Fayard, 400 pages, 20,90 euros). Selon l’experte associée à la Fondation Jean Jaurès, nos institutions n’arrivent plus à générer suffisamment de consensus et de force politique pour le chef de l’Etat, qui se retrouve en grande difficulté, quelques mois à peine après avoir été réélu. Président aux pieds d’argile, derrière le masque jupitérien.
Chloé Morin dissèque les ressorts de la crise de l’action et de la décision publiques : soit les gouvernants décident, et « personne n’est content », soit ils renoncent à décider, pour ne pas brusquer. « Nous sommes dotés d’institutions qui permettent de faire la guerre, mais quand il s’agit de prendre une décision (sur le changement climatique, par exemple), de créer du consensus et de l’adhésion, ces mêmes institutions sont à la peine, souligne-t-elle. Elles ne savent plus générer de décisions audacieuses, encore moins de consentement. »
Pratique verticale du pouvoir
Jadis vantée pour sa solidité et sa souplesse, la Constitution de 1958 se voit aujourd’hui présentée comme génératrice de tous les maux (abstention, fatigue démocratique, impuissance publique). Nos institutions, qui en découlent, ne seraient plus adaptées pour gouverner. Elles vont « péter », prédit même Edouard Philippe dans le livre de Chloé Morin.
Deux thèses coexistent parmi les personnalités politiques que la politiste a interrogées. Les uns, à l’instar de l’ancien premier ministre, estiment que nos institutions, plombées par les procédures et les normes, les contre-pouvoirs et des autorités indépendantes, se sont « ossifiées » et qu’il devient difficile pour l’exécutif, même avec les meilleures intentions, d’impulser un élan, tant le système est empêché. D’autres jugent, à l’inverse, que le président de la République concentre trop de pouvoirs et qu’un rééquilibrage doit s’opérer en faveur du Parlement ou du peuple.
M. Macron, qui veut éviter de voir Mme Le Pen lui succéder, dresse, lui aussi, le constat d’une « démocratie bloquée », qu’il s’agit de « protéger de la tentation des extrêmes ». D’où les pistes de réforme qu’il suggère : désynchronisation des mandats présidentiel et législatif, proportionnelle, simplification du millefeuille territorial, réduction du nombre de parlementaires et, pourquoi pas, retour au septennat, afin de permettre au président de renouer avec le temps long. Lui qui s’est vu reprocher sa pratique verticale du pouvoir entend renforcer la « souveraineté populaire ».
Incapacité à débattre
Verticalité versus horizontalité : un affrontement binaire que certains appellent à dépasser. « L’approche institutionnelle classique reste attachée à la question de savoir qui prend la décision ou qui fait la loi, avance ainsi l’ancien député Les Républicains François Cornut-Gentille. On peut préférer plutôt l’exécutif ou le législatif, ou introduire plus de participatif. Mais tout cela est hors sujet. Le problème d’aujourd’hui n’est pas la décision, mais la préparation de la décision, qui est insuffisante, voire inexistante. »
Dans son livre Savoir pour pouvoir. Sortir de l’impuissance démocratique (Gallimard, 2021), M. Cornut-Gentille constate que les structures de l’Etat ne sont plus adaptées à l’évolution des enjeux contemporains, faute d’outils pour traiter les problèmes mais aussi (et surtout) les identifier. L’impuissance démocratique ne viendrait pas seulement d’un Etat inefficace mais serait le produit de notre incapacité à débattre dans un contexte d’accélération et de fragmentation du temps politico-médiatique.
Or, faute d’un vrai débat, il est à la fois impossible d’observer le monde tel qu’il est et de se mettre d’accord sur quoi que ce soit, observe l’auteur, les partis de gouvernement proposant des ajustements techniques qui ne sont pas à la hauteur, tandis que les populistes s’en tiennent à des injonctions irréalistes.
Examiner le réel dans sa complexité
Dans ce contexte, il ne servirait à rien de bouger les curseurs dans un sens ou dans l’autre (nombre d’élus, durée des mandats, plus de verticalité ou d’horizontalité, plus ou moins de proportionnelle…), relève M. Cornut-Gentille, estimant que seul un travail nouveau de « diagnostic », effectué en amont de la loi, pourrait revivifier un débat politique qui « tourne à vide et nous enfonce dans l’impuissance publique ». Ce « diagnostic », précise-t-il, ne vise pas à supprimer les clivages mais, au contraire, à leur redonner un sens en dépassant le stade des postures : « La réinvention de la souveraineté passe par là. »
Lire la tribune : Jean Garrigues : « Notre démocratie fatiguée suscite un besoin urgent de dialogue, de débat apaisé »
Ce travail pourrait être investi par le Parlement dans un premier temps, poursuit l’ancien député, qui propose ensuite de supprimer le Conseil économique, social et environnemental pour le remplacer par une assemblée élue au suffrage universel, exclusivement dévolue à cette mission : examiner le réel dans sa complexité et dresser un cahier des charges des difficultés que le pays doit affronter. Préalable indispensable, selon lui, pour sortir de l’impuissance démocratique. Et, « en exprimant des préoccupations communes », « refonder la dimension collective qui nous fait aujourd’hui défaut ». Car « la politique, ajoute-t-il, ce n’est pas simplement faire des propositions, c’est aussi aider les gens à savoir où nous en sommes ». Indispensable, le débat ne fait que commencer.
Solenn de Royer