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LA DÉMOCRATIE NE SE LIMITE PAS À UN MODE D’ORGANISATION JURIDICO POLITIQUE

L’USAGE A L’EXCÈS DES PROCÉDURES DE MAÎTRISE DU PARLEMENT EST IL JUSTE POUR LA DÉMOCRATIE ?

Durant les débats sur la réforme des retraites, l’exécutif n’a eu de cesse de déployer les outils du « parlementarisme rationalisé » à l’instar de l’article 49-3, qui permet l’adoption d’un projet de loi sans vote ou du 47-1, qui autorise, sous certaines conditions, à limiter la durée des débats parlementaires. Bien que parfaitement légaux, leurs usages réitérés sont-ils justes pour la démocratie ?, interroge la philosophe Myriam Revault d’Allonnes pour le JDD.

ARTICLE

« La démocratie n’est pas une affaire de procédure »

Myriam Revault d’Allonnes. 10/06/2023 JDD

Le recours à l’article 40 de la Constitution, qui vient de déclarer irrecevable le texte du groupe Liot, est le dernier épisode d’une série de dispositions constitutionnelles qui ont permis au gouvernement de contourner tous les débats à ­l’Assemblée sur le contenu et les enjeux de la réforme des retraites. Qu’il s’agisse du 49-3, qui permet l’adoption d’un projet de loi sans vote, du 47-1, qui autorise, sous certaines conditions, à limiter la durée des débats parlementaires, du 44-3 (utilisé en mars devant le Sénat pour provoquer un vote bloqué sur la totalité du texte) ou du récent article 40, ces diverses procédures n’ont rien d’« illégal ».

Elles font partie de ce qu’on appelle le « parlementarisme rationalisé » et le pouvoir en place est en droit de les justifier en arguant de leur conformité aux institutions de la Ve ­République. Soit. Mais cela suffit-il à attester leur caractère démocratique ? À moins que leur usage réitéré ne soit le signe manifeste d’un « déni » de démocratie ou, pour reprendre l’expression de Laurent ­Berger, d’un « vice » ­démocratique ?

Ne pas réduire la démocratie à un mode de gouvernement

La réponse ne se trouve pas dans le seul examen de la légalité des formes et des modes de fonctionnement démocratiques. Car la démocratie, précisément, n’est pas une affaire de procédure et elle ne se limite pas à un mode d’organisation juridico-politique. Elle est d’abord, comme le disait Tocqueville, une « forme de société », à savoir une manière de faire du « commun », d’occuper et d’investir l’espace public, d’instituer des rapports entre les citoyens et le pouvoir.

Ce qui la caractérise, c’est d’abord le rôle primordial des corps intermédiaires, l’importance de la délibération et de la discussion publique où s’échangent des arguments contradictoires. Elle ne se satisfait pas de la légalité de l’ordre établi par la sanction du suffrage universel. Plus encore : elle accueille la possibilité de sa contestation et le droit des gouvernés à élaborer des formes de contrôle, de critique et d’évaluation du pouvoir. Le cœur de la démocratie – c’est sans doute ce qui rend son exercice difficile –, c’est qu’elle est investie par un questionnement sans fin sur le légitime et l’illégitime, sur le juste et l’injuste et sur l’ensemble des valeurs dont le pouvoir n’est ni le détenteur ni le garant ultime. Il n’est que le dépositaire (momentané) de la souveraineté du peuple.

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La démocratie est définie comme le régime où le peuple est souverain. Mais l’élection ne garantit pas l’idée que le peuple est la source de tout pouvoir démocratique. Elle n’est pas le seul étalon de la légitimité, sauf à entretenir une conception appauvrie de la démocratie et de la représentation. Non seulement la représentation électorale n’est pas un simple transfert qui remettrait la volonté des citoyens entre les mains de leurs élus, mais la dynamique démocratique ne va pas sans l’existence, à côté et en dehors du suffrage, d’un espace de délibération, de discussion, de controverse sur la construction du commun en matière de redistribution, d’égalité, de justice, de gestion des différences. La démocratie, c’est ce mode d’existence politique où la contradiction publique des actions du pouvoir est tenue pour légitime.​

Ne pas réduire la démocratie à un mode de gouvernement et à son fonctionnement procédural, si bien fondé soit-il, c’est faire revenir au centre de la scène publique la question fondamentale du pouvoir citoyen. En démocratie, la souveraineté du peuple implique, sur un mode actif et permanent, l’existence de contre-pouvoirs et la capacité des citoyens à peser sur le cours des choses. Encore faut-il que les institutions (qu’en est-il alors de la Ve République ?) permettent et même favorisent cette conception élargie de la représentation et, plus profondément, l’élaboration politique de la conflictualité démocratique, qui est la première et la plus fondamentale expression du consentement citoyen. Apparemment, nous en sommes loin et la sorte de « légalité » invoquée par le pouvoir actuel contrevient à la fois au sens des institutions démocratiques et à la puissance d’agir des citoyens. On ne peut répondre à ces dévoiements qu’en redonnant au mode d’existence démocratique son acception pleine et entière : une capacité d’invention, de délibération et d’action vivantes sur ce qui constitue notre monde commun. Tel est l’esprit de la démocratie.

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