
METAHODOS ET JEAN-FRANÇOIS REVEL :
Retour vers Jean Francois REVEL et son « Histoire de la philosophie occidentale »
Nos relectures de l’été, avec Jean-François REVEL(2): connaissance inutile et mensonge
Relire Jean-François REVEL: regard sur la démocratie et les institutions
ARTICLE : LES VICES DU PRÉSIDENTIALISME À LA FRANÇAISE
écrit par Jean-Philippe Feldman. 20 février 2024 IREF
En 1992, Jean-François Revel faisait paraître L’Absolutisme inefficace, qu’il sous-titrait Contre le présidentialisme à la française. Les vices qu’il dénonçait n’ont pas disparu, bien au contraire…
Les tartuffes de l’opposition
Au moment où son ouvrage paraît, Jean-François Revel lutte contre le mitterrandisme. Il constate que le contempteur de la pratique gaullienne des institutions, particulièrement dans son livre (talentueux au demeurant et qui, en dépit de son titre, est bien plus qu’un brûlot) Le Coup d’État permanent de 1964, s’était parfaitement coulé dans le moule présidentiel. Mitterrand ne le cachera d’ailleurs pas, lui qui déclarera dans un entretien en juillet 1981 : « Les institutions n’étaient pas faites à mon intention. Mais elles sont bien faites pour moi » … Ainsi, deux mois à peine après son élection, le chef du Parti socialiste reniait plus de vingt ans d’opposition à la Ve République ! La rouerie du natif de Jarnac (ça ne s’invente pas…) n’avait sans doute jamais été plus éclatante.
C’est effectivement un grand classique que d’éreinter la Constitution de la Ve République lorsque l’on se trouve dans l’opposition, mais de tourner casaque dès que l’on se trouve au pouvoir. Comment en serait-il autrement quand on connaît tous les avantages de la pratique des institutions pour le président de la République en place ? Croit-on sérieusement que si Jean-Luc Mélenchon, le plus grand critique actuel de nos institutions, arrivait à ses fins, il adopterait une attitude effacée à l’Elysée, lui le grand admirateur de nombre de dictatures en Chine et ailleurs ?
Le Président absolu
Le général de Gaulle est devenu au fil des années un redoutable constitutionnaliste. C’est à juste titre qu’il déclarera lors de sa grande conférence de presse du 31 janvier 1964 : « Une Constitution, c’est un esprit, des institutions, une pratique ». Le nouveau texte de 1958 ne faisait a priori du président de la République que l’homme des grandes décisions et des crises. La réalité des pouvoirs quotidiens se trouvait concentrée chez le Premier ministre, chef du Gouvernement, sous le contrôle de l’Assemblée nationale, comme il se doit dans tout régime parlementaire moderne et contemporain. Si ce n’est que, dès les premières semaines, de Gaulle a donné un tour « présidentiel » à nos institutions en empiétant sur toutes les fonctions. Pour s’y opposer, il eût fallu que le Premier ministre fît preuve d’une exceptionnelle volonté, mais tant l’aura que la personnalité du général écrasèrent dans l’œuf toute contestation.
Une exception française
Notre régime est habituellement qualifié de « semi-présidentiel » ou de « présidentialiste ». On veut signifier par là la prépondérance du chef de l’État selon l’exemple américain ou celui de régimes d’Amérique du Sud plus ou moins démocratiques. En réalité, au regard des canons des régimes politiques, notre régime est bien parlementaire, comme au demeurant l’essentiel des régimes politiques de par le monde. Si ce n’est que le nôtre est véritablement exceptionnel. En effet, il s’agit de l’un des rares parmi les nations démocratiques qui soit un régime parlementaire à présidence forte. Au sein des grands ou très grands pays, c’est même le seul et ce n’est pas un compliment. Partout ailleurs, en mettant de côté le régime suisse si particulier, soit le président fait face à un Parlement puissant, soit le Premier ministre, chef de la majorité parlementaire, fait face à l’opposition de la ou des chambres (nous nous permettons de renvoyer à notre dernier ouvrage Exception française. Histoire d’une société bloquée de l’Ancien Régime à Emmanuel Macron, Odile Jacob, 2020).
La politique spectacle permanente
Le développement des médias a accru le biais présidentialiste. Dès 1977, le politologue Roger-Gérard Schwartzenberg dénonçait dans un ouvrage L’État spectacle. Les hommes politiques, présidents en tête, privilégient de plus en plus les effets d’annonce au détriment du fond et, devant leur impuissance grandissante au regard de la complexité de la société, le phénomène apparaît sans fin. Le spectacle des « communicants » cache la vacuité des programmes. Le phénomène s’amplifie depuis de longues années déjà au regard de la médiocrité générale de la classe politique, un fait largement souligné par les commentateurs politiques de tous bords.
Emmanuel Macron représente la quintessence de ce phénomène. Orateur hors pair, brillant débatteur, notre président réussit la gageure, à l’image de notre État, d’être à la fois surpuissant et impuissant, tout en étant politiquement irresponsable. Il capte tous les pouvoirs ou presque, il ravale ses Premiers ministres au rang de chefs de cabinet, il donne des conférences de presse avec à ses pieds les membres de son Gouvernement, un gouvernement dont il nomme le chef mais dont il décide également, et au mépris de la Constitution, de la composition. Tout cela n’est pas propre à la présidence actuelle, comme s’en offusquent quelques hommes politiques à la bonne foi douteuse et à la mémoire labile. Il est beaucoup moins courant en revanche qu’Emmanuel Macron se permette de donner à la presse en primeur les éléments de la future déclaration de politique générale de ses Premiers ministres !
Qu’attendre du Gouvernement Attal ?
La réponse ne fait guère de doute. Il y a quelques jours, Jacques Garello disait sur ce site qu’il ne fallait rien attendre du Gouvernement Attal sur la question de l’éducation pour la simple et bonne raison que les vrais problèmes n’étaient pas posés. Nous élargirons le propos : il n’y a rien à attendre de ce Gouvernement sur l’ensemble des dossiers et c’est d’ailleurs le meilleur moyen de n’être point déçu…
Le Gouvernement Attal n’est que l’avatar de la politique spectacle et ce, pour une double raison essentielle. D’abord, la nomination d’un Premier ministre jeune a pour objet de séduire les électeurs à l’orée de la campagne des élections européennes, de faire mentir les sondages peu reluisants pour la majorité présidentielle et de contrer l’ascension de l’extrême droite dont on souhaite qu’elle soit résistible. Si les résultats ne sont pas au rendez-vous une fois le scrutin de juin passé, scrutin qui donnera lieu comme de coutume à une importante abstention, l’effet Gabriel Attal fera pschitt et la fin du second quinquennat d’Emmanuel Macron risque d’être un long chemin de croix…
Ensuite, la nomination surprise de Rachida Dati comme ministre de la Culture n’est que le prélude à de vastes manœuvres en vue des élections municipales de Paris, soit pour écraser Anne Hidalgo, abhorrée par le président, soit une nouvelle fois pour fracturer la droite.
De manière stupéfiante, les hommes politiques français, qui se flattent le plus souvent d’avoir une « vision » et, au contraire d’un marché myope, d’œuvrer au long terme, se trouvent réduits, chef de l’État en tête, au rang d’organisateurs de basses manœuvres électorales.
Mettre fin à l’exception française
Notre régime politique actuel, à la tête duquel se trouve un président à la fois responsable de presque tout et politiquement irresponsable, doit prendre fin. Pas besoin pour cela de changer de République comme le pense (dans l’opposition en tout cas) Jean-Luc Mélenchon. Il suffit de lire autrement nos institutions, d’en avoir, pour paraphraser le général de Gaulle, une autre pratique. La réalité de la fonction gouvernante devrait revenir, comme dans l’ensemble des régimes parlementaires, au Premier ministre, chef de la majorité à l’Assemblée nationale, sous le contrôle de l’opposition parlementaire et du Conseil constitutionnel. Le Parlement (re)deviendrait ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : le centre de la vie politique française, à l’encontre des comités Théodule et des faux-semblants de la « démocratie participative ».

JEAN-PHILIPPE FELDMAN
Agrégé des facultés de droit, ancien professeur des Universités, maître de Conférences à SciencesPo, avocat à la Cour de Paris. Dernier ouvrage paru : Exception française. Histoire d’une société bloquée de l’Ancien Régime à Emmanuel Macron, Odile Jacob, 2020.