
ARTICLE – Crise politique en France : deux réformes vitales pour demain
A l’aune de la crise de gouvernance que traverse la France, le retour au scrutin proportionnel et la mise en place d’une « motion de censure constructive » sont des réformes essentielles à mener pour renforcer la Ve République, souligne notre éditorialiste Michel Winock.
Le retour au scrutin proportionnel et la mise en place d’une motion de censure constructive sont des pistes pour renforcer la Ve République. AFP / JOEL SAGET
Pour regarder plus loin que l’impasse politique provoquée par la dissolution de l’Assemblée nationale et la recherche désespérée d’un gouvernement d’aplomb bravant la menace des motions de censure, deux réformes politiques pourraient améliorer à l’avenir le régime parlementaire vers lequel tend la Ve République depuis 2022.
La première, j’y reviens, concerne le mode de scrutin électoral pour les législatives. Il est urgent d’en revenir à la proportionnelle, à tout le moins à une dose importante de proportionnelle dans un vote à un seul tour. Jusqu’à présent, la fidélité au scrutin uninominal à deux tours se nourrissait de l’idée que le gouvernement, quel qu’il soit, devait bénéficier d’une majorité absolue ou quasi absolue. C’était aussi une conviction qu’un tel scrutin clouait l’extrême droite derrière la porte du Palais-Bourbon.
Retour au scrutin proportionnel
Dans cette optique, Michel Rocard démissionna de son poste de ministre de l’Agriculture quand François Mitterrand rétablit pour les élections de 1986 le scrutin proportionnel. De fait, on reprocha au président socialiste d’avoir fait entrer le Front national à l’Assemblée. Mais l’argumentation ne tient plus depuis le 7 juillet dernier : on sait désormais que le scrutin majoritaire aurait pu donner au Rassemblement national la majorité absolue – ce que la proportionnelle n’aurait pu lui faire espérer. En somme, le scrutin proportionnel renforcerait la présence parlementaire de l’extrême droite mais lui interdirait plus sûrement de gouverner. C’était, sous la IVe République, le cas du parti communiste, le plus puissant parti politique de France, qui, entre 1947 et 1958, n’est jamais sorti de son existence marginale.
L’autre avantage évident serait de rendre vains les cartels électoraux, tel celui qui, de la Nupes au Nouveau Front populaire, a ligoté le PS à La France insoumise et aux volontés de Jean-Luc Mélenchon. Avec une proportionnelle à un seul tour, chaque formation part à la bataille sous son propre drapeau.
Chacun sait qu’aujourd’hui entre les socialistes et les mélenchoniens la seule raison de s’allier est électoraliste. M. Faure apparaît comme le symbole de l’allégeance socialiste à LFI par souci électoral, et ce souci a pour fondement l’actuel mode de scrutin. La recomposition d’une gauche sociale-démocrate, comme le souhaite Raphaël Glucksmann et derrière lui beaucoup de Français, se trouverait facilitée par ce changement de scrutin.
Coalition impossible
La pratique des coalitions, ordinaire dans les démocraties européennes, se révèle en France impraticable, et notamment en raison de l’obsession, partagée par tous les groupes, de l’élection présidentielle. Chacun d’eux veut avoir son candidat, son programme et soigner une identité qu’une alliance parlementaire risquerait d’obscurcir. « Pas de coalition ! » clame Laurent Wauquiez qui rêve de 2027. Or les habitudes pourraient changer avec un scrutin proportionnel qui empêcherait régulièrement toute majorité absolue d’un seul parti. La coalition, qui reposerait sur un pacte de législature, pourrait devenir une nécessité ; on apprendrait la pratique du compromis ; la démocratie aurait tout à y gagner.
Pour une motion de censure constructive
Autre réforme, véritablement constitutionnelle celle-là, serait l’établissement de la motion de censure constructive, telle qu’elle existe en Allemagne ou en Espagne. Dans ces pays, on ne peut voter la défiance (la censure) contre le gouvernement qu’en élisant, en même temps, à la majorité, son successeur. La censure votée par les extrêmes, incapables de gouverner ensemble, devient impossible. En Allemagne, c’est à la suite du vote d’une motion de défiance constructive qu’Helmut Kohl (CDU) a été élu chancelier à la place de Helmut Schmidt (SPD), le 1er octobre 1982. Un cas rarissime et, quand il se présente, qui ne remet pas en cause l’équilibre du régime politique, puisqu’au gouvernement renversé succède sans délai un nouveau gouvernement.
Si ces deux réformes avaient été réalisées avant les dernières législatives, quelles en auraient été les conséquences ? Une représentation de l’extrême droite renforcée certes, mais loin de la majorité absolue. Une coalition de front républicain possible allant de la droite modérée aux socialistes, dont le gouvernement, sans l’obligation d’une majorité absolue, eût été à l’abri de la censure votée par les extrêmes, RN et LFI se trouvant dans l’impossibilité d’offrir une solution de rechange commune.
On pourrait ajouter à ces considérations que la pratique des coalitions, dans lesquelles chaque partenaire compte, rééquilibrerait les pouvoirs au profit de l’Assemblée, où l’on ne verrait plus comme naguère une majorité gouvernementale vouée à appliquer mécaniquement la politique décidée par l’exécutif présidentiel. Le caractère composite du gouvernement lui rendrait une autonomie qui, dans la Ve République, n’a pu exister que dans les périodes de cohabitation.
Invoquer le retour de la proportionnelle pour résoudre une situation créée par un résultat qui a donné quasiment le même résultat en terme de répartition des sièges n’est-il pas paradoxal, voire carrément en dehors de la plaque?
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