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96 ème JOUR APRÈS LA DISSOLUTION : UNE DOUBLE CRISE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE S’AJOUTE À L’IMPASSE POLITIQUE

ARTICLE – Contexte difficile et fausses priorités, le nouveau gouvernement aura fort à faire sur l’économie

Gérard Horny – Édité par Louis Pillot – 4 septembre 2024 SLATE

Nos futurs dirigeants vont travailler dans un cadre politique, économique et budgétaire très compliqué. Les défis sont nombreux. 

Notre situation n’est pas aussi dramatique que celle du Royaume-Uni en 1940, lorsque Winston Churchill déclarait: «Je n’ai rien à offrir, que de la sueur, du sang et des larmes.»Mais nos futurs dirigeants seraient bien inspirés de ne pas multiplier les promesses. Ils seraient ensuite incapable de les tenir. Car ils vont se heurter à trois difficultés.

La première est politique. Faute d’avoir une majorité solide, le gouvernement va devoir tenir compte de demandes multiples et contradictoires, et satisfaire des clientèles électorales qui n’ont pas les mêmes priorités. Une difficulté de ce genre peut se résoudre dans les périodes fastes, quand il est possible d’ouvrir assez largement le robinet de la dépense publique. Mais ce ne sera pas le cas cette fois, car une autre difficulté est déjà là: le déficit budgétaire et l’ampleur de la dette publique.

Il n’est pas possible d’augmenter les dépenses. Il faudrait en réalité commencer à les réduire, et même de façon assez substantielle. Ce qui demandera un certain doigté face à une troisième difficulté: la conjoncture économique, peu soutenue. Celle-ci n’aidera pas à résoudre les problèmes budgétaires et, si le gouvernement coupe trop fort dans les dépenses, l’activité fléchira et ces problèmes seront en fait encore aggravés.

Une petite lueur d’espoir

Sur cette toile de fond assez sombre, une petite lumière apparaît toutefois: le recul de l’inflation dans la zone euro, qui devrait permettre une baisse des taux d’intérêt. Selon les premières estimations de l’Insee, en août, la hausse annuelle des prix à la consommation serait revenue en France à 1,9%, contre 2,3% en juillet et 4,9% en août 2023. Certes, il faut rester prudent. Ce recul s’explique principalement par la modération des prix de l’énergie: ralentissement de la hausse des prix de l’électricité et baisse de ceux des produits pétroliers. On sait que les cours du pétrole sont assez volatils. Ils peuvent repartir à la hausse à la moindre étincelle dans les relations internationales.

Il n’empêche que la question du pouvoir d’achat, qui apparaît toujours en tête des préoccupations dans les sondages, évolue plutôt favorablement. Selon l’Insee, le revenu disponible brut des ménages continue d’augmenter. Il a progressé moins vite au deuxième trimestre qu’au premier, mais la tendance reste haussière, grâce notamment à l’évolution des salaires (+0,6% au deuxième trimestre après +0,3% au premier). Comme les prix augmentent moins vite, le pouvoir d’achat des ménages augmente: +0,4% au premier trimestre, +0,2% au deuxième, au niveau individuel (en tenant compte de la composition des ménages).

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Il faut toutefois rappeler que le choc des deux dernières années a été rude et que le retour à la hausse du pouvoir d’achat n’est pas vraiment perçu par les ménages, qui se montrent toujours préoccupés par les risques pesant sur leur niveau de vie. Cette inquiétude se traduit par un taux d’épargne qui continue de monter et s’est élevé à 17,9% du revenu disponible au deuxième trimestre, contre 16,9% en moyenne en 2023, ce qui n’est pas fait pour soutenir l’activité économique.

Augmenter les impôts? Oui, avec modération

Mais l’évolution relative des revenus et des prix n’est pas seule à expliquer la montée du taux d’épargne. Beaucoup de ménages s’inquiètent de la situation des finances publiques et craignent de devoir un jour payer plus d’impôts ou recevoir moins d’aides publiques. C’est pourquoi le nouveau gouvernement devra très vite montrer qu’il a pris la mesure du problème et présenter un projet de budget 2025 crédible.

De ce point de vue, le Nouveau Front populaire (NFP) se montre fort peu raisonnable. Son raisonnement est le suivant: le déficit actuel «est le constat d’un échec. L’austérité nourrit l’austérité», comme l’a déclaré le 3 septembre Éric Coquerel, président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, devant l’Association des journalistes économiques et financiers. Les finances publiques sont déséquilibrées non pas parce que l’État dépense trop –au contraire, il ne ne dépense pas assez et sa politique d’austérité freine l’activité–, mais parce qu’il fait trop de cadeaux fiscaux aux plus fortunés et aux entreprises. Que l’on augmente les impôts et l’on pourra à la fois dépenser plus et réduire les déficits!

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Ce serait vrai si c’était réalisable sans faire trop de dégâts. Les économistes proches du NFP ne sont pas les seuls à suggérer de mettre à contribution les plus grandes fortunes, notamment pour aider au financement de la transition énergétique, et une réflexion sur ce sujet est en cours à l’échelle internationale. Mais il n’est pas du tout certain qu’un accord puisse intervenir entre les grandes économies mondiales, si l’on en juge par les déclarations de Janet Yellen, secrétaire américaine au Trésor, en juillet dernier: «La politique fiscale est très difficile à coordonner à l’échelle internationale, et nous ne voyons pas le besoin, ni ne pensons qu’il soit souhaitable d’essayer de négocier un accord international sur cela.»

La France est déjà le pays de l’OCDE où les prélèvements obligatoires sont les plus élevés, elle ne peut guère se permettre des hausses spectaculaires. Il serait possible de gagner quelques milliards de plus (l’ancien ISF rapportait entre 4 et 5 milliards d’euros selon les années), mais il ne faut pas compter sur ces gains éventuels pour résoudre tous nos problèmes comme par magie.

Face au mur de la dette

Des économistes du Cremap (Centre pour la recherche économique et ses applications) ont fait leurs calculs. La France n’est pas dans la situation de la gauche arrivée au pouvoir en 1981: à l’époque, la dettepublique ne représentait que 21% du PIB. Aujourd’hui, elle en représente 111,7% et la France est sous le coup d’une procédure pour déficit excessif déclenchée par la Commission européenne.

Il faut toutefois rappeler qu’elle n’est pas seule concernée: six autres États européens sont également visés, ce qui fait dire à Éric Coquerel qu’il serait possible de remettre en Europe le dossier du Pacte de stabilité sur la table. Avec le Pacte actuel, «on va dans le mur», estime le député LFI. Il est exact qu’un certain nombre d’économistes estiment que, même modifié pour laisser plus de temps aux États pour redresser leur situation financière, il est encore trop contraignant.

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Mais il a été adopté, il est entré en vigueur, et si la France veut respecter ses engagements, contrairement à ce que voudrait faire le Nouveau Front populaire, tout en préservant la croissance de l’activité, il faudrait qu’elle négocie la possibilité d’avoir un délai de sept ans pour procéder aux ajustements nécessaires. Cela impliquerait tout de même une réduction de la dépense nette de 20 milliards d’euros en 2025 et 2026, estime le Cremap.

Ce ne sera pas aisé, alors que les besoins sont considérables, pour la transition énergétique, comme nous l’avons déjà rappelé, pour la santé (notamment pour le système hospitalier), l’éducation, la défense, etc. Il ne faut pas oublier non plus que la politique de réindustrialisation de la France nécessite aussi des aides à l’innovation et à la recherche-développement. On peut contester le crédit d’impôt recherche, mais un dispositif de ce genre est de toute façon nécessaire.

Comment dépenser mieux?

Dans ce contexte budgétaire difficile, la question n’est sans doute pas de dépenser plus, mais de dépenser mieux. Une majorité d’économistes reconnaît depuis longtemps que la France dépense plus que ses partenaires pour des résultats qui ne sont pas meilleurs. Mais où et comment faire des économies? Depuis des décennies, on cherche la réponse… Et on ne l’a toujours pas trouvée.

À la fin des années 1960 a été lancée une politique de rationalisation des choix budgétaires. En 2001, une loi organique relative aux lois de finances (la LOLF) a inscrit toutes les dépenses dans des missions et programmes avec des rapports annuels de performance, le tout sous un contrôle renforcé du Parlement. Mais aucun progrès décisif ne semble avoir été accompli. En quelques semaines, il ne saurait être question de résoudre le problème. Le prochain projet de loi de finances risque donc de comprendre quelques mesures de coupe dans les dépenses qui seront jugées excessives, voire stupides, et feront des mécontents parmi les anciens bénéficiaires de ces dépenses. Il n’est pas facile de faire des coupes jugées unanimement «intelligentes».

La procédure budgétaire a déjà pris beaucoup de retard et les chiffres avancés par le Premier ministre démissionnaire pourront être corrigés.

Le gouvernement Attal a envoyé à chaque ministre une lettre-plafond précisant le montant de l’enveloppe qui lui est allouée pour 2025. Il a simplement choisi de limiter le total à 492 milliards, comme dans le projet de loi de finances pour 2024. S’en tenir là permettrait déjà de réaliser des économies, puisque ce montant ne tient pas compte de la hausse des prix intervenue entre-temps, sans aller toutefois aussi loin que l’aurait souhaité le ministre de l’Économie, qui avait proposé un chiffre sensiblement inférieur.

Mais tous les ministères n’ont pas été traités de la même façon. Seules la sécurité et la Défense voient leur budget augmenter, alors que d’autres voient leur crédits amputés. Il en est ainsi de l’aide publique au développement, des Sports, de l’Agriculture, de l’Outre-mer, de la Transition écologique, de la Santé et, dans une moindre mesure, du Travail et de l’Éducation nationale –ce qui soulève quelques interrogations.

Plusieurs scénarios possibles

Dans les documents envoyés le 2 septembre par le ministère de l’Économie aux présidents et rapporteurs des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat figurent des évaluations concernant le budget de l’année en cours. Avec des impôts qui rentrent mal, le déficit public s’établirait cette année à 5,6% du PIB, au lieu des 5,1% prévus. Bruno Le Maire ne cache pas son souhait de voir le futur gouvernement aller au-delà de l’annulation de crédits de 10 milliards décidée en février, et confirmer l’annulation de tout ou partie des 16,5 milliards d’euros gelés en cours d’année. Cela serait une façon de préempter la politique des prochaines années.

Plusieurs scénarios sont en effet possibles. À l’institut Rexecode, Michel Didier et Gilles Koleda en ont esquissé quatre. Les deux premiers se situent dans le prolongement des tendances économiques enregistrées avant la pandémie (une croissance de 1% l’an, une inflation à 2% l’an, etc.), mais se distinguent par la politique budgétaire.

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Dans le premier, le niveau de déficit, le taux de prélèvements obligatoires et le poids des dépenses publiques dans le PIB restent à leur niveau de 2023. La dette publique augmenterait encore de 1.000 milliards au cours de la législature, elle atteindrait 119,7% du PIB et les charges d’intérêt feraient plus que doubler pour atteindre 108 milliards en 2029. Dans le second, l’objectif serait de stabiliser le poids de la dette dans le PIB, juste au-dessus de 110%. Il faudrait pour cela réduire les dépenses publiques de 60 milliards dès l’an prochain (c’est aussi l’un des scénarios envisagés par la direction du Trésor).

Marges de manœuvre restreintes

Les deux autres scénarios sont basés sur des taux de croissance de respectivement 1,5% et 2% l’an. Ils permettraient de stabiliser la dette et de dégager des marges de manœuvre pour investir, notamment dans la décarbonation de l’économie. Ces deux scénarios supposent un renforcement plus ou moins prononcé de la politique de l’offre en faveur des entreprises pour encourager l’innovation et la réindustrialisation. «Dans les limites d’une croissance faible, il est illusoire d’espérer stabiliser la dette publique, dépenser pour la transition climatique et augmenter le pouvoir d’achat», concluent les économistes de Rexecode.

On l’aura compris: les scénarios qu’ils privilégient sont les deux derniers, qui élargiraient le champ des possibles. Ce choix est éminemment politique, ce n’est peut-être pas celui qui sera fait par le prochain gouvernement: la politique de l’offre n’a pas que des adeptes, surtout sur la partie gauche de l’hémicycle. Mais il est difficile de contester le diagnostic. Nous ne sommes pas aujourd’hui dans une situation qui nous permettrait de courir plusieurs lièvres à la fois. Il faut faire des choix et donc des mécontents et des déçus.

Vraies et fausses priorités

Parmi les premiers travaux à engager figure la mise jour de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) qui attendent depuis de longs mois, ainsi que des accords avec EDF sur le financement des prochaines centrales nucléaires et le prix de l’électricité d’origine nucléaire.

Un des problèmes majeurs auxquels vont se heurter la France et l’Europe de demain est le coût de l’énergie, face à une Chine qui fait feu de tout bois dans ce domaine et aux États-Unis qui s’appuient sur une énergie fossile abondante qu’ils ne sont pas près d’abandonner. Si l’on veut dégager des ressources pour financer nos dépenses budgétaires et notre système social, c’est ce point qu’il faut d’abord résoudre, de la façon la plus «verte» possible.

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Problème: ce n’est pas le dossier que les responsables politiques, écologistes compris, défendent le plus dans l’opinion publique. C’est pourtant de cela qu’il faudrait parler, plus que d’un smic qui a déjà beaucoup augmenté au cours des derniers mois ou d’une abrogation de la réforme des retraites, qui n’est pas parfaite, mais a au moins le mérite d’exister et vient de permettre une hausse des petites retraites qui concerne environ 1,7 million de personnes. Nous souhaitons beaucoup de courage au futur Premier ministre, avec une gauche qui veut mettre en œuvre une nouvelle politique, un président qui n’a plus de majorité mais veut rester à la barre, et une droite assez proche d’Emmanuel Macron, du moins sur le plan économique, mais qui ne veut pas se compromettre avec lui.

1 réponse »

  1. La Nation a été une fois de plus bafouée dans sa soif de justice et de liberté lors des législatives de Juillet. Cette dissolution théâtrale met en relief toute l’ inconséquence et toute la vacuité de ce double mandat présidentiel; double mandat qui s’ est voulu tout sauf une ambition pour la France; double mandat qui va s’ achever sur le délitement et la faillite d’ une classe politique qui se défait de ses principes d’ éthique.

    L’ immaturité, le manque de compétence, le manque d’ expérience excluent la présence d’ un quelconque talent chez les politiques en place dans une société Française où l’ opinion et l’ émotion gouvernent sur la réflexion et la conviction. La France doit retrouver impérativement la maîtrise de son autorité perdue; la justice, inflexible, doit infliger les châtiments mérités; la France doit s’ inventer un devoir d’ éducation; alors la France verra renaître de sa jeunesse de pleines moissons d’ hommes et de femmes doués de conscience, prêts à accomplir leur vie.

    La souveraineté de l’ Union Européenne tue nos Nations souveraines; l’ UE éteint la France qu’ avait portée avec tout leur courage et toute leur espérance les Français et leur grand chef d’ Etat Charles de Gaulle. Mais cette Europe se sera construite sur des atteintes à la démocratie. Cette Europe ne pourra être que totalitariste.

    Max Régnier. Villeneuve de la Raho Max Régnier. Aniche

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