
la démocratie serait-elle arrivée au bout d’elle-même ?
« Nos démocraties sont-elles devenues trop difficiles à piloter ? Trahissent-elles un fond de peur ou de rébellion face à toute réforme, autre que cosmétique ? Les débats, qui sont sensés accoucher d’un certain consensus, ont-ils cédé la place à des arguties vaines et sans contenu ? En résumé, la démocratie serait-elle arrivée au bout d’elle-même ? « questionne Jean-Jacques Handali – directeur et administrateur de Cosmopolis Conseil, une société basée à Genève – dans l’article que nous proposons.il poursuit, » dans toute collectivité, les différents acteurs économiques poursuivent des intérêts distincts, en toute légitimité. Le rôle d’un politique est de s’assurer de la bonne orientation de ces intérêts, de l’égalité des droits et du respect des règles. On comptera encore deux Français sur trois en accord sur de nombreux sujets de société. »
« Toutefois, le maintien de cette fraction majoritaire ne se fera pas sans une bonne dose de clairvoyance et de courage, de cohérence et d’humilité de la part du politique….
« Le citoyen aussi doit se montrer responsable en allant voter, car comme chacun sait, une démocratie s’use si l’on ne s’en sert pas. Pis, chaque abstention est une atteinte à son bon fonctionnement. Ou, comme le soulignait un jour l’écrivaine québécoise Reine Malouin : « L’abstention est un recul avant de devenir une lâcheté. »
ARTICLE
Abstention : l’érosion économique entraîne l’érosion politique
Nos démocraties sont-elles devenues trop difficiles à piloter ?
Par Jean-Jacques Handali. 30 JUIN 2021, Contrepoints
En 1984, l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing publia un essai politique intitulé Deux Français sur trois. Le fil conducteur de cet ouvrage rappelait la théorie des ensembles mathématiques et autres diagrammes logiques, enseignée en classe de sixième, au lycée. En clair, une majorité de Français, qu’ils soient de gauche ou de droite, se retrouvaient à l’unisson sur un grand nombre de questions économiques, sociétales ou politiques.
Ainsi pris un par un, la mise en œuvre de ces sujets était susceptible de faire avancer la société dans son ensemble, puisqu’à chaque fois, ils recueillaient une multitude de suffrages. L’ex-président Giscard d’Estaing n’eut jamais l’occasion de mettre son sujet en pratique, puisqu’il n’accéda plus à l’investiture suprême.
En 2021, les majorités sont toujours là, mais elles se sont vidées de leur substance. Ce sont désormais des majorités à flanc renversé, des majorités par défaut, des majorités vagabondes. Les ensembles mathématiques qui regroupent les opinions dominantes colportent comme un air de désillusion, voire de démission, puisque deux Français sur trois ont dédaigné les récentes élections régionales. Ils n’y croient plus ! Ils n’adhèrent ni aux projets, ni aux promesses, ni à la capacité des politiques à changer la société. Qu’ils votent blanc, qu’ils votent bleu, qu’ils votent vert ou rose, la collectivité demeure figée dans ses archaïsmes. Les espoirs finissent en eau de boudin.
Les bulletins subissent des révisions en amont pour accoucher d’orientations contraires en aval (traité de Maastricht). Les réformes annoncées sont rangées dans les placards pour ne pas froisser des syndicats d’un autre temps de moins en moins représentatifs de la population active…
ABSTENTION : LA DÉMOCRATIE ARRIVÉE AU BOUT D’ELLE-MÊME
Que s’est-il passé durant quarante ans ? Des crises, des revers et des baisses de régimes… mais pas seulement.
Autour de ces atteintes sont venus se greffer des renversements de principes, des démantèlements de repères, des tolérances à crédit, des glissements victimaires et la consécration d’égoïsmes et de narcissismes. L’érosion économique entraîne toujours un naufrage des valeurs, qui lui-même accélère l’affaissement économique.
S’érigeant contre ces dérives, les partis populistes et autres courants anti-système se sont sentis pousser des ailes et s’emploient désormais à rappeler leurs postures autoritaires et identitaires. Elles n’en dupliquent pas moins les arrangements convenus de la politique traditionnelle.
Nos démocraties sont-elles devenues trop difficiles à piloter ? Trahissent-elles un fond de peur ou de rébellion face à toute réforme, autre que cosmétique ? Les débats, qui sont sensés accoucher d’un certain consensus, ont-ils cédé la place à des arguties vaines et sans contenu ? En résumé, la démocratie serait-elle arrivée au bout d’elle-même ?
Dans le passé, les révolutions, les constitutions, les déclarations, les Lumières, ont permis à l’Homme de s’émanciper et de vivre dans un espace plus juste et plus solidaire. Aujourd’hui, l’amélioration de la société civile via la politique apparaît comme un concept survendu.
Cette dernière n’enregistre plus que des avancées à la marge ! L’exécutif ne « change plus la vie » en augmentant le salaire minimum de 11,70 euros par mois, ou en octroyant un congé paternité de deux semaines supplémentaires à l’heureux papa. Les évolutions et les mutations véritables semblent se passer en dehors de la sphère politique.
PROFITS, POUVOIRS ET PHANTASMES
Dans Greta a tué Einstein, Jean-Paul Oury imagine une forme de dystopie dans laquelle l’opposition pro-science contre déclinistes et catastrophistes a remplacé l’alternance gauche-droite. Ainsi les Thunbergistes (disciples de Greta Thunberg, autrement appelés GrÉtatistes) s’opposent aux Pinkeriens » (disciples de Steven Pinker, l’auteur d’Enlightenment now, ouvrage qui est une ode au progrès des Lumières).
Et Oury de commenter :
« Il n’y aurait pas de rapprochement possible entre ces deux camps, pas de conciliation imaginable, puisque le premier ne souhaite pas de manipulations du vivant, de fusion de l’atome, de chimie de synthèse ou encore, pour les plus acharnés, de dispositifs plus sophistiqués pour diffuser les ondes. Ils ne souhaiteraient pas non plus de NBT, d’agriculture intelligente et encore moins d’IA ». Jean-Paul Oury Greta a tué Einstein – VA éditions – page 179
Cette vision nous parait lunaire.
Force est de constater que, plus que jamais, c’est l’innovation qui martèle le nouvel ordre à suivre. C’est elle qui transforme les mœurs, oriente les discours et façonne les dernières attitudes.
Si un homme public avait décrété que la majorité d’entre nous allait avoir le nez collé sur un petit écran chaque fois que nous empruntons les transports en commun, personne ne l’aurait élu !
Si un autre avait vanté la production d’œuvres d’art virtuelles, vendues plusieurs millions, on l’aurait entarté.
Aujourd’hui, les gens préfèrent écouter un Elon Musk qui manipule les crypto-monnaies pour financer ses voyages vers la Lune, un Bill Gates qui ambitionne de vacciner le monde entier pour le protéger de lui-même, ou une Greta Thunberg qui songe sauver la planète à coups de propos culpabilisants…
Une question se pose : l’innovation ou la nouveauté valent-elles tant d’influence ?
La réussite d’un entrepreneur mérite sans doute notre admiration, mais celle qu’on peut lui accorder ne devrait-elle pas se cantonner à ses talents de créateur ou à ses compétences de gestionnaire ? À partir de quelle autorité, ces hommes ou ces femmes sans mandat légitime, nous prescrivent-ils des modes de fonctionnement ou réduisent-ils nos accès à leur produit ou service ?
À fouiller dans leurs motivations, on s’aperçoit qu’ils sont davantage mus par leurs profits, leurs pouvoirs et leurs phantasmes. Ce n’est pas vraiment la mission d’un élu, qui doit conserver toute son utilité. Que nous déclare le fondateur d’Amazon avec ses lubies sur un monde habité dans l’espace ? « C’est pour l’avenir de mes petits-enfants ! » Ne devrait-il pas prêter attention à la vie sur Terre avant d’aller coloniser les autres planètes à grand frais ? Un homme qui n’a pas su mettre de l’ordre dans sa maison ne le fera pas dans la prochaine. L’attrait d’une « épopée vers l’Ouest » dans l’espace ne garantira en rien la sauvegarde de cette nouvelle Amazon.ie.
Dans toute collectivité, les différents acteurs économiques poursuivent des intérêts distincts, en toute légitimité. Le rôle d’un politique est de s’assurer de la bonne orientation de ces intérêts, de l’égalité des droits et du respect des règles. On comptera encore deux Français sur trois en accord sur de nombreux sujets de société.
Toutefois, le maintien de cette fraction majoritaire ne se fera pas sans une bonne dose de clairvoyance et de courage, de cohérence et d’humilité de la part du politique. Sinon, ce dernier risque de compter ses tiers à la façon d’un Raimu… Le citoyen aussi doit se montrer responsable en allant voter, car comme chacun sait, une démocratie s’use si l’on ne s’en sert pas. Pis, chaque abstention est une atteinte à son bon fonctionnement. Ou, comme le soulignait un jour l’écrivaine québécoise Reine Malouin : « L’abstention est un recul avant de devenir une lâcheté. »
Le droit de vote est précieux, même si les élus ne se montrent pas toujours à la hauteur.
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