Aller au contenu principal

SORTIR DU SYSTÈME ÉLECTRIQUE EUROPÉEN – SUITE

L’ÉLOIGNEMENT DES RISQUES DE COUPURES DONNERA-T-IL DU COURAGE À L’EXÉCUTIF POUR SORTIR DES PRIX EUROPÉENS ?

La douceur de la météo depuis plusieurs semaines, les économies des entreprises et particuliers – en raison du prix principalement – et d’autres éléments positifs modifient la nature du risque de coupures électriques… en tous cas à court terme.

Les pics de consommation en fin de journée sont passés de plus de 80 GW à moins de 70 GW, une situation beaucoup plus facile à gérer, même avec un peu plus de 40 GW d’électricité d’origine nucléaire disponible (sur plus de 60 GW pour l’ensemble du parc).

Lz France est redevenue exportatrice d’électricité depuis le début de l’année, à hauteur de 1,4 TWh, selon les déclarations de RTE, gestionnaire du réseau de distribution d’électricité, à l’AFP, soit la consommation annuelle de 450 000 foyers.

DES NIVEAUX DES PRIX QUI PENALISENT ENTREPRISES, COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET PARTICULIERS

Le Figaro du 10 janvier alerte sur le fait que la consommation électrique des industriels a diminué de 14,1 % au dernier trimestre 2022 en comparaison avec la moyenne 2018-2021. Le gouvernement ne cesse donc pas d’intervenir pour tenter de protéger tant les consommateurs privés que les entreprises des effets de ces prix atteignant des sommets. Un article du journal Le Monde du 28 âout 2022 rappelle qu’en 10 ans, les tarifs sont passés de 120 à 190 euros et que les coûts pour livraison en 2023 culminent à près de 1100 euros le MWh, soit dix fois plus qu’il y a un an.

Loïk Le Floch-Prigent interrogé sur RMC le 7 décembre dernier :

« Les industriels baissent leur production : je ne vois pas ce qu’il y a de réjouissant. À cause de l’augmentation du coût de l’électricité on a des entreprises qui vont devoir payer 5 à 6 fois plus que d’habitude le prix de leur électricité… Pourquoi est-ce qu’un produit que l’on fait à 50 euros se retrouve dans l’industrie à 600 euros ? »

Les entreprises ont vu les prix de l’électricité multipliés par 7 ou 8 et parfois davantage encore. Le prix de l’énergie représente près de la moitié de leur facture, les autres charges étant constituées par le coût de l’acheminement et la fiscalité, c’est-à-dire des taxes diverses et la TVA. Les contrats sont passés pour des périodes annuelles voire biannuelles et les fournisseurs ne manquent pas de prendre leurs précautions au moment où leurs clients doivent renouveler leur contrat.

VOICI DEUX ARTICLES DE NOTRE CONTRIBUTEUR RÉGULIER SUR METAHODOS PHILIPPE CHARLEZ

ARTICLE 1

Peut-on sortir du système électrique européen ? Le temps des mauvaises décisions (1/2)

Philippe Charlez 11 janvier 2023 BOULEVARD VOLTAIRE

Ne pouvant se stocker, l’électricité implique un exercice d’équilibrisme : l’offre doit s’aligner en permanence sur une demande instantanée variant fortement avec l’heure de la journée, la saison et la latitude. Par ailleurs, le confort de notre société moderne exige de disposer d’électricité 100% du temps.

L’électricité : une commodité très particulière 

Satisfaire à ces contraintes demande un système à la fois surdimensionné et diversifié. Il nécessite la mise en œuvre de sources multiples aux spécificités techniques très différentes. Le charbon, le gaz ou le nucléaireproduisent de l’électricité « pilotable » entre 80 % et 90 % du temps. En revanche, le vent ou le rayonnement solaire produisent de l’électricité « non pilotable » (i.e. intermittente – Dame Nature décide où, quand et combien !) respectivement 23 % et 14 % du temps.

Certaines sources bénéficient par ailleurs d’avantages concurrentiels importants. Ainsi, le gaz se met en œuvre extrêmement rapidement contrairement au nucléaireréclamant plusieurs heures pour établir le cycle vapeur.

Enfin, sur le plan économique les sources sont très différentes. Le nucléaire est une filière d’investissements où les coûts fixes l’emportent largement sur les coûts variables (prix de l’Uranium). Pour le gaz c’est l’inverse : le combustible représente 90 % du prix du MWh.

Compte tenu de leurs différences physiques et économiques, les sources électriques sont appelées dans un certain ordre selon leur « mérites » respectifs. Ainsi, le nucléaire constituera le socle de la demande (source infra-marginale) et produira toute l’année. En revanche, le gaz est une excellente source marginale appelée en cas de pointe de consommation.

Du monopole naturel au grand marché européen de l’électricité

Les caractéristiques techniques et économiques de l’électricité sont peu compatibles avec un marché concurrentiel. Le modèle le plus efficace consiste à confier l’ensemble de la chaîne (production/transport/distribution) à une seule entreprise publique non concurrentielle appelée « monopole naturel ». Ce modèle permet de s’affranchir du prix marginal (le gaz) et de proposer au consommateur un prix moyen régulé tout en garantissant une production rentable et continue. Grâce entre-autres à des mix électriques nationaux 100% pilotables et des échanges limités entre pays limitrophes, EDF pérennisa ce concept avec succès durant cinq décennies.

L’idée de remplacer les monopoles naturels par un grand marché européen date du milieu des années 1980. Importée du Royaume-Uni, elle conduisit en 1986 à l’ « acte unique » : les électrons pouvaient désormais circuler en toute liberté entre pays voisins tandis que leur prix était négocié en continu (toutes les demi-heures) suivant les demandes journalière et saisonnière. Mais, en multipliant les fournisseurs alternatifs dans un marché concurrentiel, la libéralisation des marchés imposa de facto l’alignement des prix non plus sur les coûts moyens mais sur le coût marginal de la dernière source appelée. S’il n’en était pas ainsi, elle ne serait jamais appelée ce qui induirait des coupures récurrentes lors des demandes de pointe. Cette loi dite « de l’ordre du mérite » est en quelque sorte une « assurance tous risques » permettant dans un marché ouvert de se prémunir de tout blackout.

Le mariage de la carpe et du lapin

Une fois le grand marché européen mis en place, chaque Etat-membre adapta son modèle. En bon pays jacobin, la France tenta d’unir public et privé au sein d’un « en même temps » très colbertiste.

En pratique, EDF n’ouvra que faiblement son capital au privé mais surtout conserva dans son escarcelle le nucléaire (70% de la production d’électricité en France !) considéré comme stratégique par l’Etat. Incompatible avec un marché ouvert (le nucléaire était amorti depuis longtemps grâce à des fonds publics), cette situation aurait donné à EDF un énorme avantage concurrentiel par rapport aux nouveaux entrants. Aussi, une règle hybride appelé « ARHEN » (Accès Régulé à l’Energie Nucléaire Historique) fût négociée avec l’Union européenne. Elle impose à EDF de vendre à prix coûtant (aujourd’hui à 42€/MWh) 25% de sa production nucléaire aux distributeurs alternatifs présents sur le marché.

La surenchère des énergies renouvelables (ENR)

Quand le marché européen de l’électricité fût mis en œuvre, l’équation offre/demande restait gérable car le mix électrique était uniquement composé de sources pilotables. Mais, à partir du début du XXIème siècle, la montée en puissance des énergies renouvelables devint rapidement un cauchemar pour les gestionnaires de réseau. Où les introduire dans l’ordre du mérite dans la mesure où, dû à leurs intermittences, elles ne peuvent ni assurer le socle ni intervenir comme sources marginales.

Pour éviter que l’électricité renouvelable soit perdue « quand elle arrive », on décida de l’injecter en priorité avant toute source pilotable. Pour obliger cette règle dans un marché concurrentiel, on imposa à EDF l’achat des MWh à un prix imposé aux fournisseurs alternatifs d’énergie renouvelable.

Une bombe à retardement

En imposant une doctrine libérale à un secteur inadapté, en autorisant le mariage de la carpe et du lapin dans un modèle mi marché mi colbertiste, en supportant l’arrivée des ENR dans le mix électrique et en encourageant l’arrivée d’une myriade de fournisseurs alternatifs, l’Union européenne planta le décor d’une tragédie annoncée !

Pour de bonnes (le charbon pour des raisons climatiques) et de mauvaises (le nucléaire pour des raisons idéologiques) raisons, l’Europeremplaça des sources pilotables par des ENR. Implicitement elle affaiblit un socle devenu de plus en plus dépendant des sources marginales gazières. Tant que le gaz se vendait à des prix acceptables (2014 à 2021), le système était supportable. Mi 2021, quand les prix du gaz se sont mis à grimper, la fin de la récréation a été sifflée. Le prix du gaz fait aujourd’hui loi sur le prix de l’électricité.

Principalement gouverné par les égoïsmes nationaux, le grand marché européen de l‘électricité rêvé par Mme Thatcher est un échec cuisant. Ni le consommateur, ni EDF, ni les fournisseurs alternatifs n’y ont finalement trouvé leur compte. Tel le Titanic fonçant droit sur son iceberg, le système électrique européen possède une énorme inertie résultant de 35 ans de décisions politiques erronées.

ARTICLE 2

Peut-on sortir du système électrique européen ? Quelles solutions à court et moyen terme 2/2

Philippe Charlez 12 janvier 2023 Boulevard Voltaire

Depuis que de nombreuses professions libérales et entreprises, étranglées par les prix stratosphériques de l’électricité, menacent de mettre la clef sous la porte, la société française (citoyens, politiques et médias) est partie en croisade contre le système électrique européen. Indexant le prix de l’électricité sur celui du gaz dans un marché ouvert et concurrentiel, il est considéré comme le principal responsable de la situation. Pour régler le problème, il suffirait d’avoir la « volonté politique » d’en sortir, une volonté qui serait « contraire à l’idéologie d’un exécutif pro-européen manipulé par l’Allemagne ». Est-ce vraiment aussi simple ? Sortir du système électrique européen suffit-il à déconnecter les prix de l’électricité de sa source marginale. Quelles en seraient les conséquences à court moyen et long terme ?

L’Espagne et le Portugal en exemples

Pour justifier d’une sortie d’un système « jugé absurde », l’opposition parlementaire met en avant l’exemple de la péninsule Ibérique (Espagne et Portugal) devenue, grâce à une dérogation de l’Union européenne, un « îlot » électrique indépendant. Les prix de l’électricité y sont effectivement aujourd’hui trois fois inférieurs à ceux des autres pays de l’Union. Pourquoi cette exception et à quelles conditions pourrait-elle s’étendre à d’autres membres de l’Union européenne ?


Par rapport à ses confrères européens, la péninsule Ibérique est une « île électrique ». Sa situation géographique particulière l’a obligée à développer des stratégies davantage nationales avec des mix électriques très équilibrés (37 % ENR, 25 % de gaz et 21 % de nucléaire). Possédant le parc de regazéification le plus développé d’Europe, elle n’importe pratiquement pas de gaz russe.

Mais la déconnexion ne lui permet pas pour autant de décorréler les prix du gaz de ceux de l’électricité. Indépendamment de tout échange sur la grille européenne, il y existe un marché libre de l’électricité avec de multiples acteurs publics et privés. Madrid et Lisbonne ont donc été contraints de subventionner le gaz utilisé par les électriciens. Une opération contraignant la seule Espagne à 15 milliards d’euros de dépenses publiques en 2022.

S’abstraire de la corrélation gaz/électricité requiert donc deux conditions : 1) posséder des capacités nationales suffisantes pour être autonome en toutes circonstances ; 2) éliminer toute concurrence intérieure en revenant à un monopole naturel non concurrentiel capable de pratiquer un prix moyen.

Se déconnecter du système électrique européen : à quelles conditions ?

Sortir unilatéralement du système électrique ne serait pas sans poser un certain nombre de problèmes politiques vis-à-vis de nos partenaires européens avec lesquels nous nous sommes engagés à collaborer.

En dehors de tout aspect politique, la France n’a de toutes les façons pas la capacité de sortir à court terme du système électrique européen. Par suite de l’arrêt de nombre de ses réacteurs nucléaires, l’Hexagone est devenu importateur d’électricité. Avant d’engager toute négociation avec Bruxelles la France doit au préalable récupérer sa pleine capacité, sous peine de se retrouver en position de pénurie électrique.

Éliminer le marché intérieur et revenir à un monopole naturel

Comme pour l’Espagne et le Portugal, sortir (momentanément ou définitivement) du système électrique européen n’affranchira pas pour autant la France de la corrélation gaz/électricité. Pour s’en exonérer et pratiquer un prix moyen, il faudrait revenir à un monopole naturel et dégager du marché intérieur des fournisseurs alternatifs encouragés à déplacer leurs activités vers l’électricité. Une telle décision nécessiterait pour l’État « endetté jusqu’à l’os » de les dédommager à coups de subventions publiques. Coûteux, ce retour à la case départ s’avère de surcroît très risqué à terme.

Quelle décision est-elle souhaitable à moyen/long terme ?

Si la situation énergétique actuelle pourrait, à juste titre, motiver certains à se retirer d’un système électrique européen devenu fou, le retour au nationalisme électrique d’antan apparaît très risqué au regard du futur électrique vers lequel nos gouvernements se sont engagés.

La décarbonation des usages reposera en grande partie sur le « grand remplacement » des équipements thermiques par des équipements électriques. Engendrant un presque doublement de la consommation électrique, accélérant la mise en œuvre des renouvelables et, donc, implicitement, la demande de gaz, il devrait renforcer le besoin d’échanges (électricité et gaz) entre pays voisins avec une grille européenne intelligente beaucoup plus intégrée.

À court terme, plusieurs solutions ont été envisagées pour faire baisser le prix du MWh à l’échelle européenne. La méthode ibérique consistant à subventionner l’électricité gazière et à compenser les États en prélevant sur les superprofits des producteurs infra-marginaux (ENR, notamment) apparaît comme la méthode la plus simple et la plus efficace. Elle a malheureusement été rejetée par l’Allemagne qui, en tant que pays fortement gazier, donnerait implicitement un avantage concurrentiel à la France. En dehors d’aspects purement financiers, certains craignent qu’une telle mesure n’encourage le recours au gazredevenu artificiellement compétitif par rapport aux autres sources de génération électriques.

Important 90 % de son gaz, l’Europe ne peut que constater son impuissance à impacter les prix. Tel n’aurait été le cas si elle avait maintenu, au moins en partie, sa production intérieure comme les Américains grâce à leur gaz de schistes. Le marché y est captif et le prix du gaz dix fois moins élevé qu’en Europe !

Pourtant, malgré son modèle énergétique défaillant, l’Allemagne enfonce le clou et cherche désormais à entraîner le reste de l’Europe dans ses choix renouvelables et antinucléaires. Et, face à ce diktat, la réponse de la France reste hélas très timide.

Avatar

Philippe Charlez

Chroniqueur à BV, expert en questions énergétiques à l’institut Sapiens

1 réponse »

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

%d blogueurs aiment cette page :