

Etat présent et avenir de la démocratie : Quatre livres
« La Démocratie. Une idée force », codirigé par Dominique Rousseau et Sandra Laugier,
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« Sagesse du politique », de Perrine Simon-Nahum
« Principe démocratie », « Antidémocratie », « Pourquoi désobéir en démocratie ? » de Sandra Laugier, en codirection avec Albert Ogien
PREDCEDENTE PUBLICATION : LE POPULISME SERAIT-IL HAINE DE LA DÉMOCRATIE ? https://metahodos.fr/2023/02/14/le-populisme-serait-il-haine-de-la-democratie/
ENTRETIEN / SANDRA LOGIER ET PERRINE SIMON-NAHUM
« Sandra Laugier, professeure de philosophie à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, autrice, entre autres, du Principe démocratie et d’Antidémocratie (l’un et l’autre avec Albert Ogien, La Découverte, 2014 et 2017), vient de diriger, avec le constitutionnaliste Dominique Rousseau, La Démocratie. Une idée force. Perrine Simon-Nahum, directrice de recherche au CNRS, professeure associée au département de philosophie de l’Ecole normale supérieure, publie Sagesse du politique. »
« Deux livres denses, riches, stimulants, deux points de vue souvent opposés sur l’état présent de la démocratie, et son avenir, dont la confrontation éclaire les enjeux d’un des débats cruciaux de notre époque. »
Le Monde présente ainsi la conversation recueillie par Florent Georgesco.
CONVERSATION
« Donner l’envie de s’engager pour la démocratie »
Propos recueillis par Florent Georgesco
L’idée que la démocratie est en crise sature aujourd’hui le débat public. Vous paraît-elle fondée ?
Perrine Simon-Nahum : C’est un constat ancien. Je dirais même qu’il est inhérent à la démocratie, dans la mesure où elle est le seul régime qui se critique lui-même, mais aussi qu’elle se fixe des idéaux, auxquels, bien sûr, elle ne peut pleinement satisfaire. Cela dit, cette crise prend aujourd’hui des formes particulièrement vives. Nous assistons à une montée du ressentiment à son égard, fondée sur l’idée que la démocratie ne nous donne pas ce à quoi nous pourrions légitimement prétendre.
Cela provient, à mon sens, d’un glissement qui s’est opéré après la seconde guerre mondiale. Une confusion s’est installée dans l’esprit des contemporains entre un régime institutionnel, la démocratie politique, et un certain état de la société, défini par les politiques de l’Etat-providence, la croissance économique, le rêve d’un développement exponentiel du bien-être général. Or, comme on le sait, les choses se sont retournées : la mondialisation a failli, les crises économiques se sont multipliées, et l’Etat-providence, pour des raisons de contrainte budgétaire, s’est essoufflé. C’est ce qui provoque en ce moment une remise en cause de l’ensemble des institutions, des règles et des médiations qui régissent nos démocraties représentatives.
Sandra Laugier : Il est vrai que le thème de la crise démocratique, qui apparaît régulièrement dans les enquêtes d’opinion, est devenu central dans le débat public, et je ne nierai pas une forme de malaise, une insatisfaction – je n’emploierai pas, quant à moi, le mot de « ressentiment ». Mais est-ce réellement une crise, une crise, en tout cas, de l’idée même de démocratie ? Si elle recule dans beaucoup de pays, elle reste extrêmement productive et féconde. Il y a des mouvements, des occupations de lieux, des initiatives nouvelles.
Par exemple, des « gilets jaunes » à la protestation contre la réforme des retraites, les manifestations récentes étaient largement des revendications de démocratie, parce que les gens estiment que le gouvernement actuel l’affaiblit. C’est en ce sens que nous avons utilisé, pour le titre de notre livre collectif, le concept d’idée force : la nature de la démocratie est de porter un élan, des idées, des mouvements. Cette vitalité-là me paraît très grande aujourd’hui.
P. S.-N. : Je partage en partie votre vision, mais je pense qu’il y a entre nous une différence fondamentale s’agissant de la définition même de la démocratie. Je la définirais volontiers, à la manière de Raymond Aron [1905-1983], comme une « concurrence pacifique pour l’exercice du pouvoir », ce qui suppose non seulement l’existence de règles organisant l’accord et le désaccord entre les groupes sociaux, mais aussi la fixation d’un objectif proprement politique. Les mouvements dont vous parlez sont l’expression d’une liberté politique. Ils sont légitimes, et doivent être pris en compte. Mais on se situe, les concernant, davantage du côté de la vitalité de la société que d’une vitalité véritablement démocratique. Beaucoup de ces mouvements – occupations de places, comme Nuit debout, « gilets jaunes »… – ont débouché sur des impasses politiques. Incapables de s’organiser, de penser une représentation, ils ont échoué, se sont entre-déchirés, sombrant parfois, pour une partie d’entre eux, dans le complotisme et la violence.
Ce qui nous ramène à l’idée de ressentiment. Sandra Laugier, vous disiez que vous n’emploieriez pas ce mot. Ne vous semble-t-il correspondre à aucune réalité observable ?
S. L. : La question, pour moi, est plutôt de savoir qui décide qu’un certain type de manifestation relève du ressentiment, terme négatif pour désigner la protestation. C’est ce qui me gêne dans votre livre, qui est par ailleurs passionnant. Qui décide quelle est la sagesse du politique, la bonne manière de faire de la politique ? Qui peut dire ce qu’est la démocratie ? Répondre « tout le monde » est selon moi l’essence même de la démocratie. Vous avez raison de dire que beaucoup de mouvements n’ont pas été très convaincants au bout du compte, mais ce qui me paraît vraiment important, c’est que la démocratie, à travers eux, soit devenue un mot d’ordre, qu’ils aient exigé une démocratisation de la démocratie, en portant l’idée d’une démocratie radicale où les citoyens et les citoyennes définissent eux-mêmes la forme de vie dans laquelle ils veulent vivre, de manière égalitaire.
P. S.-N. : Tocqueville [1805-1859] disait que les sociétés démocratiques allaient se développer dans le sens de l’égalité, mais que celle-ci pourrait se réaliser de deux manières : dans une société démocratique ou dans une société tyrannique. La différence tient dans l’exigence de liberté. Or, la liberté – si elle est celle de tous – doit s’organiser. La primauté que vous donnez à la parole me semble insuffisante à cet égard. Parler, c’est bien, mais il faut être audible, échapper à la cacophonie en organisant la conversation publique selon des règles démocratiques. C’est un des rôles du politique, que vous minorez au profit du social.
S. L. : Je ne crois pas que la question du langage soit distante de la question du politique. Nous citons l’une et l’autre le philosophe allemand Jürgen Habermas, qui définit la vie politique comme une conversation. Ludwig Wittgenstein [1889-1951], lui, parlait d’un accord fondamental entre les gens qui se joue dans le langage qu’ils utilisent, en précisant : « Ce n’est pas un accord dans les opinions mais dans la forme de vie. » C’est à partir de cela que j’ai travaillé dans le domaine du politique, en me demandant ce que recouvre cet accord sur les règles de fonctionnement du langage qui est aussi un accord sur la manière de vivre ensemble. Et en tentant de penser le fait qu’on peut refuser cet accord et les règles qu’il induit.
Dans l’article que vous avez écrit pour « La Démocratie. Une idée force », vous citez, sur ce point, Henry David Thoreau (1817-1862). Vous venez d’ailleurs de préfacer une nouvelle édition de son grand livre, « Walden » (Le Pommier, « Les pionniers de l’écologie », 460 pages, 16 euros), récit des deux années qu’il a passées dans une cabane du Massachusetts, conçues comme une expérience de désobéissance civile, ou l’expression, comme vous l’analysez, du droit à ne pas consentir…
S. L. : Le fait d’accepter des règles communes n’a rien de définitif. C’est ce qui éloigne des auteurs comme Thoreau ou Ralph Waldo Emerson [1803-1882] d’un modèle comme celui d’Habermas, fondé sur une forme de consensus. Bien sûr qu’il y a un consensus sur les règles de la conversation – c’est ce qui la rend possible –, mais ce n’est pas parce que je l’ai accepté que je suis d’accord avec tout ce qui se passe. En réalité, il est parfois nécessaire de remettre en cause le consensus lui-même, d’avoir un désaccord radical, en se retirant d’une manière ou d’une autre, comme Thoreau l’a fait.
P. S.-N. : Certes, mais il faut rester attentif aux formes de violence sur lesquelles la radicalité ne peut manquer de déboucher. La violence doit être considérée non pas du point de vue des motifs censés la légitimer – on pourra toujours en trouver – mais des conséquences qu’elle entraîne. La radicalisation actuelle de nombreux mouvements aboutit à un affaiblissement de la démocratie. En témoigne la montée des populismes de droite comme de gauche. L’historien François Furet [1927-1997] disait que la démocratie n’est pas un régime de consensus mais un régime de conflits. Or, le conflit s’organise. On doit pouvoir être en désaccord tout en maintenant un dialogue – c’est ce que nous sommes en train de faire ! A l’inverse, le refus du dialogue, qui accompagne souvent les radicalités, se traduit presque toujours par la délégitimation de l’adversaire et le recours à la force.
S. L. : Vous savez, je n’aime pas du tout la violence, moi non plus. J’ai écrit un livre sur la désobéissance civile [Pourquoi désobéir en démocratie ?, avec Albert Ogien, La Découverte, 2011] parce que j’étais impressionnée, dans ces mouvements – on peut penser à Thoreau, là encore –, par l’usage et la puissance de la non-violence. Mais, en même temps, tous les militants des droits civiques, même les plus pacifiques, ont toujours été accusés d’être violents. C’est une accusation qui arrive très vite quand il y a un mouvement contestataire.
P. S.-N. : Cela n’empêche pas qu’il y ait des violences réelles. On l’a bien vu en marge des manifestations contre la réforme des retraites. Ce que j’observe également, c’est la manière dont ces violences se trouvent légitimées par les discours qui présentent la réalité politique à travers le prisme unique de la domination. Ce terme a envahi le discours politique et sociologique. Il offre une narration simpliste, selon laquelle il n’y aurait d’autre moyen de faire bouger les choses que de tout renverser. Lorsque vous vous représentez toute la réalité sociale comme un système oppressif résultant de la volonté de quelques-uns, qui confisquent le pouvoir à leur profit, la violence devient une issue naturelle.
Sandra Laugier, vous parliez tout à l’heure de « démocratie radicale ». Une partie importante de votre livre, Perrine Simon-Nahum, explore au contraire ce que vous appelez « les limites de la démocratie ». Cette opposition ne résume-t-elle pas vos désaccords ?
P. S.-N. : C’est possible, dans la mesure où cela rejoint la question de l’explosion des attentes envers la démocratie. Les ennuis commencent quand vous passez des aspirations individuelles au niveau collectif, ce qui est impossible à faire sur un mode radical, parce qu’il faut forcément des médiations et des compromis. C’est en ce sens que je parle de limites. La démocratie est un régime déceptif. Passer du singulier au général entraîne nécessairement des frustrations. C’est lent, complexe. La démocratie se déploie à ces différents niveaux, dans des tensions constantes, et elle ne peut pas tout promettre. Mais elle nous donne ce qu’il y a de plus précieux : la liberté individuelle, et la capacité de la traduire dans des libertés collectives, de donner sens à nos existences au-delà de nos vies personnelles.
S. L. : La divergence entre nous tourne selon moi autour de la question que je soulevais : qui décide qu’il y a des limites, qui les fixe ? C’est comme quand vous disiez que la démocratie doit être organisée : par qui ? Ce qui m’intéresse, et c’est en ce sens que je parle de démocratie radicale, c’est que la notion même de démocratie correspond au désir que tout le monde soit à égalité pour décider de ce qui est bien pour soi et pour la communauté, parce que la capacité politique est égale en chacun.
Les gens attendent trop de la démocratie ? Ils ont raison d’en attendre beaucoup ! Et s’ils sont déçus, c’est parce que des limites sont posées comme des normes par des gens qui peuvent être, eux, dans des situations privilégiées. Je ne parle pas de domination, ce n’est pas du tout mon concept. Mais il y a des personnes plus privilégiées que d’autres. Les entendre dire à d’autres personnes, qui sont dans des situations matérielles très difficiles, qu’ils exagèrent, qu’ils ne comprennent pas la réalité, pose un vrai problème de légitimité, et d’égalité démocratique.
P. S.-N. : Mais je ne pense pas du tout que l’exercice du gouvernement doive revenir à des privilégiés ! En revanche, nous assistons à une dévalorisation de la politique qui me paraît dangereuse. C’est un métier que de moins en moins de gens ont envie de faire, parce qu’on est en train de perdre le sens de cette fonction – l’incarnation de l’intérêt général. Les politiques doivent prendre des décisions difficiles, on l’a vu au moment de la pandémie, on le voit avec la guerre en Ukraine. Il faut les former, il faut les payer, il faut leur accorder une forme de reconnaissance. Faute de quoi, on aura soit les plus médiocres, soit les plus cyniques. L’exercice du pouvoir démocratique ne peut pas être confondu avec le débat, avec la discussion. C’est une affaire de décision et d’action. Or, si la démocratie est quelque chose qui s’organise, elle se mérite, aussi.
S. L. : Vous avez tout à fait raison de regretter la dévalorisation des fonctions politiques. Beaucoup d’élus sont dans des situations horribles, on le voit avec les maires qui démissionnent, et il faut y remédier. Mais la démocratie ne peut se résumer aux politiques. Le fait d’être dans une association, d’être engagé sur le terrain pour des questions sociales ou écologiques contribue aujourd’hui à définir la démocratie. Il faut en tenir compte, et tenir compte du fait que beaucoup n’acceptent plus l’idée qu’une élection est, comme on dit, un chèque en blanc. Le rôle des citoyens ne peut plus se limiter à voter tous les cinq ans pour des représentants qui sauraient mieux qu’eux ce qui est bon, ce qui est conforme à l’intérêt général.
P. S.-N. : Bien sûr, mais comment faire, sans représentants ? Comment une société de 70 millions de personnes pourrait-elle s’autogouverner ? Il y a toujours un moment où l’on doit déléguer, et il me semble que la manière dont les démocraties parlementaires organisent cette délégation reste la meilleure. Il faut bien sûr trouver un équilibre, maintenir des contre-pouvoirs forts. Il faut aussi que les politiques rendent des comptes en dehors des élections, qu’ils s’expliquent, que leurs décisions soient débattues, qu’il y ait une délibération publique autour de ce qu’ils font. Tout cela est vrai. Mais il faut bien décider.
Vous concluez votre livre en appelant à « réarmer la démocratie ». Est-ce à ce renforcement du rôle des politiques que vous pensez ?
P. S.-N. : Pour une part, oui. Je crois que l’avenir des démocraties ne sera assuré que si nous acceptons la réalité et si nous agissons en conséquence. Des questions vitales vont se poser à nous. La guerre, le climat… Il faut renforcer notre capacité à les affronter. Et ce n’est pas en évacuant la décision au profit de la seule discussion qu’on y parviendra. Ce réarmement passe notamment par une question que Sandra Laugier a abordée : celle des élites. Loin de moi, encore une fois, l’idée de vouloir confier le pouvoir à des privilégiés. Simplement, je ne crois pas qu’il faille éradiquer les élites : il faut, au contraire, les multiplier.
C’est une des voies du réarmement dont je parle : renforcer la formation et la circulation des élites, c’est-à-dire de ceux qui exerceront le pouvoir à un niveau ou à un autre, du local au national, en fluidifiant au maximum les mécanismes de sélection, en portant l’excellence partout où c’est possible. C’est aussi une réponse au désir de participation : il faut qu’il puisse s’exprimer au niveau même de l’exercice du pouvoir.
Réarmer la démocratie, c’est d’abord la rendre désirable. Donner l’envie de s’engager pour elle, de se battre pour la défendre. A cet égard, les Ukrainiens nous donnent en ce moment la plus grande des leçons. Que des gens se lèvent, affrontent un ennemi impitoyable, au nom de la démocratie, de la liberté, pour l’Europe – il faut se souvenir que c’est ce désir d’appartenance à l’Europe qui, depuis l’Euromaïdan, en 2013-2014, a suscité la fureur de la Russie –, doit nous interpeller. Ce que nous jugeons souvent insuffisant leur apparaît à ce point désirable que cela mérite d’aller jusqu’au sacrifice de sa vie.
Sandra Laugier, vous terminez votre article sur un sujet qui vous préoccupe depuis longtemps, le « care ». De quelle manière cet enjeu s’articule-t-il à la question démocratique ?
S. L. : Le « care », c’est tout ce soubassement, toute cette masse de personnes qui aident l’ensemble de la société à vivre en prenant soin des autres – à l’hôpital, en faisant le ménage, etc. – et que pourtant la société néglige par rapport à d’autres intérêts, jugés plus sérieux – économiques, par exemple. Cela touche le cœur même de la définition de la démocratie, puisque cela soulève la question de savoir qui décide de ce qui compte, qui décide des grands principes vers lesquels on doit s’orienter.
Comment peut-on dire démocratique une situation où les personnes les plus utiles pour l’intérêt général sont censées ne rien avoir à dire à son sujet ? Il faut les rendre audibles, leur donner la parole mais pas seulement – sur ce point je suis d’accord avec Perrine Simon-Nahum : il faut, surtout, leur donner un pouvoir de décision sur leur vie, et sur notre vie collective, que leur travail rend possible. Nous l’avons vu pendant la pandémie de Covid-19, quand tout semblait s’effondrer et qu’ils nous tenaient à bout de bras. Je ne sais pas, je l’ai dit, si la démocratie est en crise. Ce dont je suis sûre, c’est qu’elle serait plus forte et plus vivante si elle ne l’oubliait pas.
Une réalité plus mouvante que jamais
« La Démocratie. Une idée force », sous la direction de Sandra Laugier et Dominique Rousseau, Mare & Martin, « Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne », 232 p., 28 €.
Quoi qu’il en soit des grandeurs et des misères de la démocratie effective, le mot « démocratie », lui, se porte comme un charme, si l’on en juge par sa mobilisation tous azimuts dans la vie sociale et politique. C’est en partant de ces usages que les auteurs réunis par Sandra Laugier et Dominique Rousseau rendent compte d’une réalité plus mouvante que jamais, dans une approche interdisciplinaire qui fait tout le prix de ce travail collectif.
Juristes – telle Lauréline Fontaine, dans une réflexion sur les rapports entre démocratie et libéralisme –, philosophes – Jean-Claude Monod et la question épineuse de la place de la vérité dans le débat démocratique – ou acteurs politiques – Lucile Schmid, vice-présidente de La Fabrique écologique, sur l’extension des terrains de la démocratie –, ils cernent à la fois l’état présent de la démocratie et les évolutions des attentes qu’elle suscite.
Comment, écrit Sandra Laugier dans son étude de la notion d’espace public, peut-elle tenir sa promesse d’« inclure l’ensemble des citoyens dans le débat » ? Les réponses, nécessairement, se révèlent multiples, sinon contradictoires. Elles n’en sont pas moins fécondes.
Lignes de résistance
« Sagesse du politique. Le devenir des démocraties », de Perrine Simon-Nahum, L’Observatoire, 204 p., 21 €, numérique 15 €.
Régime fondé sur le doute, le désaccord, le compromis, la démocratie se retrouve prise en étau entre les pouvoirs autoritaires, qui revendiquent une efficacité dont elle serait démunie, et ceux qui en son sein perdent peu à peu confiance en elle pour affronter les défis du siècle. Finira-t-elle emportée par le ressentiment que suscitent autant ses faiblesses que les attentes démesurées dont elle fait l’objet ? Prolongeant et amplifiant les analyses de son précédent essai, Les Déraisons modernes (L’Observatoire, 2021), Perrine Simon-Nahum dresse un bilan implacable des failles qui ne cessent de s’ouvrir sous nos pieds.
Mais, qu’elle décrive les effets de la pandémie ou des crises économiques, la menace terroriste ou les manœuvres de la propagande russe, elle parvient à dégager à mesure des lignes de résistance, des dynamiques insoupçonnées, démontrant que l’idée même de liberté demeure une force, qui ne demande qu’à être réveillée. Reste, pour y parvenir, à « armer la démocratie », à reprendre des mains de ses ennemis la revendication de la puissance, enjeu urgent, vital sans doute, que ce livre lucide et souvent enthousiasmant devrait contribuer à placer au centre du débat public.