Aller au contenu principal

LE POINT DE VUE DES JURISTES SUR LA RÉSERVE D’INTERPRÉTATION DE L’INÉLIGIBILITÉ (3)

LIRE NOS PUBLICATIONS PRÉCÉDENTES:

LE POINT DE VUE DES JURISTES SUR LA RÉSERVE D’INTERPRÉTATION DE L’INÉLIGIBILITÉ DU Cl CONST. (1) 

https://metahodos.fr/2025/04/03/mise-a-jour-le-point-de-vue-des-juristes-sur-la-reserve-dinterpretation-de-lineligibilite-du-cl-const/

LE POINT DE VUE DES JURISTES SUR LA RÉSERVE D’INTERPRÉTATION DE L’INÉLIGIBILITÉ (2)

https://metahodos.fr/2025/04/06/__trashed-17/

NOUS VOUS PROPOSONS LA LECTURE DE DEUX ANALYSES

1. ARTICLE – Procès Le Pen : analyse critique de l’argumentation du tribunal Bertrand Mathieu, Professeur émérite de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Ancien Conseiller d’Etat (s.e.),

2. ARTICLE – Condamnation de Marine Le Pen : des motivations qui font débat Haritini Matsopoulou, Professeur de droit privé à l’Université Paris-Saclay

1. ARTICLE – Procès Le Pen : analyse critique de l’argumentation du tribunal

La décision rendue, lundi 31 mars, à l’encontre de Marine Le Pen intervient dans un contexte particulier où les tensions entre justice et politique ne cessent de se développer. D’où l’intérêt de procéder à une analyse critique du droit applicable et de l’argumentation de la juridiction.

2 avril 2025 LE CLUB DES JURISTES. Par Bertrand Mathieu, Professeur émérite de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Ancien Conseiller d’Etat (s.e.), Expert du Club des juristes

La décision rendue à l’encontre de Marine Le Pen intervient dans un contexte particulier

La décision rendue par le tribunal judiciaire de Paris le 31 mars 2025, exprime de manière paroxysmique le conflit qui ne fait que se développer entre la justice et les politiques, déjà diagnostiqué il y a 10 ans (cf. B. Mathieu, justice politique : la déchirure ? Lextenso, 2015). Il prend une dimension particulière lorsqu’une décision rendue par un juge interfère avec des élections présidentielles, en France (affaire Fillon en 2017) ou à l’étranger (Roumanie, Turquie). Que les décisions soient rendues par des juges indépendants, comme c’est le cas en France, ou par des juges soumis au pouvoir politique, il n’en reste pas moins que le soupçon d’instrumentalisation de la justice à des fins politiques, qu’il soit ou non fondé, affaiblit tant la confiance en la justice qu’envers les responsables politiques. Il en est particulièrement ainsi, lorsque la justice ne respecte pas, formellement, l’exigence d’impartialité, soit qu’elle procède avec une célérité inhabituelle et selon une procédure particulière (affaire Fillon), soit qu’elle se montre inhabituellement sévère ou porte des appréciations personnelles et inappropriées sur le prévenu (affaires Sarkozy).

La condamnation de Marine Le Pen à une inéligibilité de cinq ans d’application immédiate dans une affaire concernant un détournement d’emplois d’assistants parlementaires auprès de députés européens au profit du Rassemblement national peut être appréciée à plusieurs niveaux. Il ne s’agit pas de se prononcer sur le fond de l’affaire, ni de mettre en cause l’impartialité des juges, mais de procéder à une analyse critique du droit applicable et de l’argumentation de la juridiction.

Elle pose le problème du champ d’application de la peine d’inéligibilité

Du point de vue du droit applicable, la question de l’inéligibilité doit être examinée au regard de deux principes, la liberté de choix de l’électeur et le droit au recours.

La première question porte sur l’articulation entre le principe de la sanction juridictionnelle et la liberté de choix des électeurs. Le prononcé de la peine d’inéligibilité constitue, comme le reconnait le Conseil constitutionnel dans sa décision 2025-1129 QPC, une ingérence dans le principe de libre choix des électeurs, c’est-à-dire dans le fonctionnement même de la démocratie. Le tribunal judiciaire relève d’ailleurs dans sa décision qu’il s’agit d’une « limite prévue par le législateur au pouvoir d’élection du peuple ». Cette formulation souligne, non pas l’illégitimité d’une telle disposition, mais son caractère particulièrement grave. Il l’est spécifiquement lorsqu’il s’agit de mettre fin, ou d’empêcher la candidature, à un mandat national. Comme le souligne le Conseil constitutionnel dans la décision précitée « En vertu de l’article 3 de la Constitution, les membres du Parlement participent à l’exercice de la souveraineté nationale et, aux termes du premier alinéa de son article 24, ils votent la loi et contrôlent l’action du Gouvernement. Dès lors, au regard de leur situation particulière et des prérogatives qu’ils tiennent de la Constitution, les membres du Parlement se trouvent dans une situation différente de celle des conseillers municipaux ». Il en est évidemment de même s’agissant d’une candidature à l’élection présidentielle. De ce point de vue, le principe d’égalité entre les justiciables, invoqué de manière récurrente par le tribunal, trouve ici ses limites.

Par ailleurs, l’application immédiate de l’inéligibilité, nonobstant l’existence d’un recours juridictionnel, pose un problème au regard du droit au recours. De manière sibylline, le Conseil constitutionnel a jugé que le caractère suspensif du recours suspensif constitue une garantie du droit à un recours effectif, tout en ne relevant pas d’une exigence constitutionnelle (2011-203 QPC), jurisprudence confirmée en 2015. Cette analyse n’épuise pas la question. Indépendamment de l’appréciation portée par le Conseil constitutionnel, on peut s’interroger sur le caractère légitime d’une décision interdisant à un responsable politique de se présenter à des élections au seul motif d’une condamnation qui, elle, n’est pas définitive. Cette considération est d’autant plus pertinente que les délais dans lesquels une décision d’appel (ou de cassation) interviendra pourront être particulièrement longs, du fait pour l’essentiel, des moyens insuffisants de la justice et qu’ainsi il pourra être mis fin à un destin politique national en privant les électeurs de leur pouvoir de décision. Cette disposition est contestable, à tel point que le Premier ministre, lui-même, a invité le parlement à la reconsidérer.

Il n’en reste pas moins que ce serait faire un procès injuste à la justice que de lui attribuer la responsabilité de ces dispositions. En réalité, c’est pour faire face à un certain nombre de scandales visant pour l’essentiel des enrichissements personnels, que le législateur, tous courants politiques confondus a, d’une manière parfois démagogique, renforcé l’arsenal pénal visant les élus, sans en mesurer toutes les conséquences, comme en témoignent, notamment, les lois votées en 2016 et en 2017.

La deuxième question porte sur l’application que fait le tribunal judiciaire de ces dispositions à l’encontre de Madame Le Pen

Plusieurs observations peuvent être faites de ce point de vue.

La première porte sur le fait qu’au regard de la date à laquelle les faits incriminés se sont produits, la peine d’inéligibilité n’était pas obligatoire, comme le reconnait le tribunal. Le prononcé de cette peine résulte donc d’une décision propre à la juridiction. Or, paradoxalement, le juge prend en compte le droit postérieur à celui qu’il considère lui-même comme applicable pour prononcer la peine d’inéligibilité. Il se fonde sur des dispositions législatives postérieures, manifestant la volonté du législateur de renforcer les sanctions des manquements à la probité. C’est à une forme de rétroactivité implicite que se livre le juge en interprétant le droit applicable à la lumière du droit postérieur.

La seconde porte sur le prononcé du caractère d’application immédiate et sans recours suspensif de la peine d’inéligibilité. Formellement, le tribunal n’ignore pas la réserve d’interprétation, visée dans le dispositif de la décision, prononcée trois jours plus tôt par le Conseil constitutionnel, selon laquelle « Sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, il revient alors au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur ». Substantiellement, la solution est tout autre. Pour se prononcer sur la nécessité de prononcer une telle sanction, et donc sur son caractère proportionné, le juge prend en considération deux éléments : le premier tient au risque de récidive, le second au trouble à l’ordre public. Ils peuvent être l’un et l’autre contestés. Les risques de récidive, d’autant plus improbables que le juge rappelle que les comportements ont cessé depuis 2016, tiendraient à ce que Marine Le Pen n’ait pas reconnu ses fautes. Ainsi, le système de défense de la personne poursuivie est un élément d’appréciation, sans considération pour le fait que l’auto-incrimination ne peut être exigée en droit pénal.  Le trouble majeur à l’ « ordre public démocratique » tiendrait, selon le tribunal, à ce qu’une personne, condamnée à une peine complémentaire d’inéligibilité, pourrait être candidate à l’élection présidentielle, alors que cette condamnation pourrait intervenir définitivement en appel. L’argument se retourne facilement : le trouble à l’ordre public n’est-il pas susceptible de résulter du fait qu’une personne, dont la condamnation pourrait être annulée en appel, ne puisse se présenter à une telle élection ?

2. ARTICLE – Condamnation de Marine Le Pen : des motivations qui font débat

Par un jugement du 31 mars 2025, le Tribunal correctionnel de Paris a condamné Marine Le Pen pour détournement de fonds publics dans l’affaire des assistants parlementaires européens du FN. Parmi les différentes peines prononcées à son encontre, celle d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire a suscité de nombreuses réactions. L’occasion d’étudier les raisons ayant servi de fondement à cette décision. 

4 avril 2025 CLUB DES JURISTES Par Haritini Matsopoulou, Professeur de droit privé à l’Université Paris-Saclay, Expert du Club des juristes

Quelles sont les infractions retenues à l’encontre de Marine Le Pen et à quelles peines a-t-elle été condamnée ?

Marine Le Pen, en sa qualité de députée européenne, a été déclaré coupable de détournements de fonds publics commis pendant plus de six ans et portant sur 8 contrats représentant une somme d’environ 474.000 d’euros. En outre, en sa qualité de présidente du parti depuis janvier 2011, elle a été déclarée coupable de faits de complicité par instigation de détournements de fonds publics commis pendant plus de cinq ans et représentant une somme d’environ 1,8 million d’euros. En particulier, il lui a été reproché d’avoir « légitimé la mise en place d’un système frauduleux élaboré dans le seul but de percevoir illégitimement des fonds publics du Parlement européen », ce qui avait permis au FN, devenu RN, de « faire des économies grâce au[dit] Parlement ».

Compte tenu de la gravité des faits commis, des fonctions qu’elle exerçaient à l’époque des faits, de sa formation de juriste, de l’absence de remboursement spontané des salaires indus au Parlement européen et du positionnement de l’intéressée dix ans après les faits, le tribunal correctionnel a prononcé à l’encontre de Marine Le Pen une peine de quatre ans d’emprisonnement, dont deux ans assortis du sursis. A cet égard, les juges correctionnels ont pris soin de préciser que « toute autre sanction serait insuffisamment dissuasive et manifestement inadéquate ». En outre, « une amende de 100 000 euros, proportionnée à la gravité des faits et à [l]a situation financière » de Marine Le Pen, a été prononcée à son encontre.

Compte tenu des précisions fournies par le tribunal correctionnel dans sa décision de condamnation, il est permis de penser que les peines principales prononcées ont été individualisées, en fonction des critères fixés par l’article 132-1, alin. 3, du code pénal, à savoir les circonstances de l’infraction, la personnalité de son auteur, ainsi que sa situation matérielle, familiale et sociale.

Quant à la peine d’inéligibilité, selon les indications données, les faits de détournement de fonds publics et/ ou de complicité de ce délit avaient pris fin au plus tard le 15 février 2016 et non le 31 décembre 2016, comme visé à la prévention concernant Marine Le Pen. Par conséquent, le dispositif issu de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, dite loi Sapin II, qui a instauré une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité en cas de condamnation pour les délits portant atteinte au devoir de probité commis par des personnes exerçant une fonction publique (C. pén., art. 432-10 à 432-15), n’était pas applicable au moment de la commission des faits. C’est qu’en effet, l’inéligibilité n’était à l’époque qu’une peine complémentaire facultative.       

En l’espèce, le Tribunal correctionnel de Paris a donc fait usage de cette faculté et a prononcé, à l’encontre de Marine Le Pen, la peine d’inéligibilité pour une durée de cinq ans. Et, comme il lui appartenait de le faire, il a spécialement motivé le prononcé de cette peine, en se référant à « la gravité des faits commis [par Marine Le Pen] en sa double qualité d’élue et de présidente d’un parti politique de premier plan », ainsi qu’à « sa situation personnelle ». On rappellera ici qu’à la différence des peines obligatoires (C. proc. pén., art. 485-1), les juridictions du fond sont tenues de motiver le choix de la peine complémentaire facultative, au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle (Crim. 1er févr. 2017, n° 15-85.199 et n° 15-84.511).  

Pour quelles raisons le Tribunal correctionnel de Paris a-t-il ordonné l’exécution provisoire de la peine complémentaire d’inéligibilité ?

Les dispositions des articles 471, alin. 4, du code de procédure pénale et 131-10 du code pénal autorisent les juges répressifs à assortir la peine d’inéligibilité de l’exécution provisoire. Cependant, le recours à cette mesure a pour conséquence d’anéantir l’effet suspensif de l’appel (C. proc. pén., art. 506) et de porter atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif.  

Dans la présente affaire, pour prononcer l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité, le tribunal correctionnel s’est appuyé sur « une convergence de jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation » d’où il résulte que la faculté pour une juridiction d’ordonner une telle mesure « répond à l’objectif d’intérêt général visant à favoriser l’exécution de la peine et à prévenir la récidive » (V. en ce sens, Cass. crim., 4 avr. 2018, n° 17-84.577 ; Crim. 21 sept. 2022, n° 22-82.377 ; Crim. 18 déc. 2024, n° 24-83.556). Ainsi, par une décision récente n° 2025-1129 QPC du 28 mars 2025, le Conseil constitutionnel a-t-il clairement rappelé les objectifs poursuivis par l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité, qui permet « d’assurer, en cas de recours, l’efficacité de la peine et de prévenir la récidive » (§ 13). Pour le Conseil, cette mesure contribue à « renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants », si bien qu’elle met en œuvre « l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public ».  

Prenant en considération ces éléments, la juridiction correctionnelle a cherché, en l’espèce, à vérifier si le risque de récidive, d’une part, et, d’autre part, les objectifs à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de bonne administration de la justice pourraient justifier le prononcé de la peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provision.

Pour établir le risque de récidive, les juges répressifs se sont fondés sur la stratégie de défense, qui consistait non seulement à contester les faits reprochés mais à revendiquer leur « impunité totale et absolue », en soutenant que « les assistants parlementaires auraient effectué un travail politique, non détachable du mandat de leur député, au profit d’un parti politique ». Or, selon le tribunal, « ce système de défense constitu[ait] une construction théorique qui mépris[ait] les règles du Parlement européen, les lois de la République et les décisions de justice rendues notamment au cours de la présente information judiciaire ». De plus, la plupart des prévenus, dont Marine Le Pen, n’ont « manifesté aucune volonté de participer à la manifestation de la vérité, avec laquelle ils ont pour certains un rapport très distendu … ». Ainsi, le tribunal a-t-il estimé que « dans le cadre de ce système de défense (…) qui tend[ait] à contester la compétence matérielle du tribunal autant que les faits, dans une conception narrative de la vérité, le risque de récidive [était] objectivement caractérisé ». 

Quant à la nécessité de prononcer l’exécution provisoire au regard des impératifs de sauvegarde de l’ordre public et de bonne administration de la justice, les juges correctionnels ont pris en considération le « trouble irréparable à l’ordre public démocratique qu’engendrerait le fait que[Marine Le Pen] soit candidate, voire élue par exemple et notamment à l’élection présidentielle, alors qu’elle est condamnée pour détournement de fonds publics notamment à une peine d’inéligibilité en première instance et pourrait l’être par la suite définitivement ». Dès lors, eu égard à l’importance de ce trouble irréparable, le tribunal a jugé nécessaire d’ordonner, à titre conservatoire, l’exécution provisoire de la peine complémentaire d’inéligibilité prononcée à l’encontre de Marine Le Pen.  

Que pensez-vous de la motivation de la décision quant à l’exécution provisoire ?

Bien que la motivation de la déclaration de culpabilité pour les faits poursuivis et celle des peines prononcées n’appellent pas d’observations particulières, il n’en est pas de même pour la peine complémentaire d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire.  

On pourrait d’abord se demander s’il y avait un réel risque de voir Marine Le Pen renouveler les actes qui lui sont reprochés, étant donné qu’elle n’a plus ni la qualité de députée européenne ni celle de présidente du parti. On relèvera, en outre, que, pour caractériser le risque de récidive, les juges correctionnels se sont fondés sur « le système de défense », et notamment sur « l’absence de reconnaissance des faits » et leur « impunité revendiquée ». Ils ont également retenu à l’encontre des prévenus, dont Marine Le Pen, le fait de n’avoir « manifesté aucune volonté de participer à la manifestation de la vérité ». Mais, peut-on prendre appui sur de tels éléments pour établir le risque de récidive alors que, conformément aux exigences de la jurisprudence européenne, notre législation réserve une place importante au droit au silence, institué au profit de la personne suspectée ou poursuivie, quelle que soit la phase du procès pénal ? Doit-on rappeler ici que la CEDH a consacré, à plusieurs reprises, le « droit de tout accusé de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination » (CEDH, 25 févr. 1993, aff. Funke c/ France, requ. n° 10588/83) ? Comme on l’a justement fait observer, « une personne n’est nullement tenue de collaborer à la recherche de preuves contre elle ». Un mauvais choix de défense est une chose et le risque de récidive est une autre. 

S’agissant, par ailleurs, des impératifs de bonne administration de la justice et de sauvegarde de l’ordre public, la décision du tribunal correctionnel fait état d’un « trouble irréparable à l’ordre public démocratique » causé par l’éventuelle élection de la prévenue à la présidence de la République, « alors qu’elle est condamnée pour détournement de fonds publics (…) en première instance et pourrait l’être par la suite définitivement ». Par une telle affirmation, les juges correctionnels se projettent dans l’avenir et tentent à anticiper la décision de la cour d’appel ou même celle de la Cour de cassation. Est-ce réellement le rôle du juge de première instance ? De plus, une telle motivation fragilise la portée du principe de la présomption d’innocence (art. 6 §2 CEDH, art. 9 DDHC), qui joue tant que la culpabilité d’une personne n’a pas été établie par une décision définitive ayant acquis l’autorité de la chose jugée.

De plus, l’exécution provisoire se concilie mal avec la jurisprudence de la CEDH qui se montre particulièrement attachée au principe du double degré de juridiction et au droit à un recours juridictionnel effectif (CEDH, 3esection, 21 février 2008, Ravon et autres c/France, requ. n° 18497/03), ce qui a conduit le législateur français à introduire des voies de recours dans plusieurs domaines, y compris dans celui des enquêtes.  

Enfin, dans sa décision du 28 mars 2025, le Conseil constitutionnel a entendu, par une réserve d’interprétation, encadrer le rôle du juge, qui décide de recourir à une mesure d’exécution provisoire, en énonçant qu’il lui appartient « d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte » qu’elle « est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur » (§ 17). Si l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité n’a pas pour effet de mettre fin à un mandat parlementaire (Cons. const., 22 oct. 2009, n° 2009-21S D ; Cons. const., 16 juin 2022, n° 2022-27 D), elle pourrait toutefois avoir des incidences sur la liberté du vote des électeurs. Le Conseil constitutionnel n’inviterait-il pas, par la décision précitée, le juge pénal à tenir compte d’un tel élément ?

1 réponse »

Répondre à Jean-Pierre RETTIG Annuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.