BILLET
Actualité de la planification
L’actualité nous donne à observer bien des paradoxes sur les contenus et les horizons de l’action publique.
Le Président de la République a annoncé que désormais l’action publique avait un horizon de 600 jours et a, entre autres, constitué un Comité d’Experts Economiques qui doit faire des propositions et consulté le Parlement. Le gouvernement concocte avec difficultés et un retard inexpliqué, un plan de relance de l’économie. En même temps est annoncé – depuis des semaines – la nomination d’un haut-commissaire au Plan.
« Quand on entend parler d’une entreprise ou d’un gouvernement endetté qui s’efforce de « restaurer la confiance », on perçoit sa fragilité : par conséquent, « il est condamné », selon le penseur parfois présenté comme le plus stimulant de notre époque, Nassim Nicholas Taleb, dans Le point du 23 juin 2020..
Un Haut Commissaire
Chassé par la porte, il revient par la fenêtre. Ministre de la Justice pour quelques jours en mai 2017, François Bayrou a été forcé de démissionner alors que son nom était cité dans une affaire touchant à l’utilisation de fonds publics.
François Bayrou a jugé utile d’insister sur le sujet, soulignant même avoir évoqué le sujet avec le chef de l’État qui lui aurait proposé le poste. Ce qui n’empêche pas M Jean Castex de dire que c’est son idée, mais qu’il ne sait pas qui sera nommé. Il avait, semble-t-il, avec le même souci de montrer ses prérogatives annoncé qu’il a proposé au PR les deux ministres « proches des gens » ( culture et justice), nominations dont le PR avait eu l’idée.
La République est généreuse, dit-on parfois, en tous cas il y a un bon nombre de soldats à sauver. « Par souci de cohérence », le « candidat » souhaite être rattaché au chef de l’État, et non pas au Premier ministre. Si Jean Castex semble hésiter , des ministres n’hésitent pas – selon Le Point – à critiquer le patron du MoDem, demandant s’il ne veut pas « être vice-président ».
Imprévisibilité
Dans nos sociétés et dans notre économie contemporaine, un commissariat au Plan, cela veut il encore dire quelque chose ? Un Etat qui peine à conduire des reformes sur une période de un à trois ans, serait il plus à même de planifier et réaliser des actions, projets et reformes à plus long terme ? Le sujet – au delà de l’opportunité politique de redonner une visibilité à un homme politique – mérite toutefois réflexion
Nous avons édité deux publications ( la France de 2020 vue en 2010 et la France de 2025 vue en 2015) illustrant la difficulté de faire des prévisions:
https://metahodos.fr/2020/08/12/article-de-2010-la-france-en-2020-comment-nous-allons-rebondir-lecture-siderante/
https://metahodos.fr/2020/08/13/futur-anterieur-suite-la-france-de-2025-vue-en-2015/
« L’impossibilité de prédire l’imprévisible » évoquée dans l’article ci contre devrait conduire les dirigeants à faire preuve d’humilité et surtout à développer un « parler vrai » sur les diagnostics, les enjeux, les scénarios de solutions…et ainsi donner du corps à la vie démocratique et à l’action publique.
« Ceux qui tablent sur les prévisions courent davantage de risques, s’attireront des ennuis et feront même peut être faillite. Pourquoi ? Quelqu’un qui fait des prévisions se fragilise face aux erreurs de prévision. Un pilote trop sûr de lui finira par s’écraser. Et les prévisions chiffrées incitent les gens à prendre davantage de risques« , indique Nassim Nicholas Taleb.
Antifragilité
Face aux bouleversements externes, les systèmes ou les organisations doivent s’adapter pour surmonter les crises de leur temps. C’est en quelque sorte le propos de la philosophie « antifragile » de Nassim Nicholas Taleb, l’ex-trader devenu philosophe des sciences du hasard qui nous invite à appréhender les crises comme des occasions de renforcement, plutôt que comme des désastres qu’il conviendrait de prédire avec précision.
Dans son ouvrage Antifragile, les bienfaits du désordre, Taleb explique simplement que « tout ce qui, à la suite d’évènements fortuits (ou de certains chocs), comporte plus d’avantages que d’inconvénients est antifragile ». Dans le cas contraire, il s’agirait de systèmes fragiles.
Nassim Nicholas Taleb
il est Libano-New-Yorkais, écrivain, ancien trader, statisticien et philosophe des sciences du hasard. Depuis 2007, il est l’un des essayistes les plus lus et les plus traduits dans le monde. Il a été le seul à avoir anticipé la crise financière et son ampleur. Il se consacre aujourd’hui à l’écriture et enseigne les rapports entre l’épistémologie des probabilités et les sciences de l’incertitude, et notamment la « prise de décision en situation d’opacité » à l’université de New York où il a reçu le titre de Distinguished Professor ainsi qu’au Centre d’Économie de la Sorbonne où il est professeur invité.
Best-seller traduit en trente-trois langues, son premier ouvrage, Le Hasard sauvage, a paru aux Belles Lettres en 2005. Le Cygne Noir (Les Belles Lettres, 2007) a été vendu à trois millions d’exemplaires dans le monde. Antifragile est le troisième volet de cette philosophie aux vertus tonifiantes.
Approfondissons l’imprévisibilité et l’antifragilité
avec Julien Granata auteur de l’article ci dessous.
PA et TL
ARTICLE
Construire des sociétés « antifragiles » pour survivre à l’imprévisibilité des crises
Par Julien Granata, The Conversation 10 06 2020
Face au chaos, ce qui n’est pas antifragile ne survit pas.
Le professeur d’économie américain Nouriel Roubini, surnommé « Dr Doom » pour ses prévisions pessimistes, a prédit une crise financière en 2020 suivie d’une récession mondiale.
Néanmoins, ses prédictions n’étaient en aucun cas liées aux conséquences d’une pandémie, mais à celles d’une augmentation des taux d’intérêt entraînant de l’inflation puis une impossible relance budgétaire par des États surendettés.
En France, qu’il s’agisse de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), du Centre de recherches pour l’expansion de l’économie et le développement des entreprises (Rexecode) ou encore de la Banque de France, les organismes en charge d’élaborer des prévisions économiques tablaient pour 2020 sur une prévision de croissance supérieure à 1 %.
L’impossibilité de prédire l’imprévisible devrait encourager les décideurs politiques à inhiber l’importance qu’ils accordent aux prévisions économiques. Mais face aux bouleversements externes, les systèmes ou les organisations doivent s’adapter pour surmonter les crises de leur temps.
La philosophie « antifragile » de Nassim Nicholas Taleb, l’ex-trader devenu philosophe des sciences du hasard, nous invite à appréhender les crises plus comme des vecteurs de renforcement que des désastres qu’il convient de prédire avec précision.
NI ROBUSTESSE, NI RÉSILIENCE
La pandémie de Covid-19 nous rappelle, à juste titre, que la nature est fondamentalement imprévisible. Qu’elles soient économiques, climatiques ou sanitaires, les crises vont inévitablement croître en fréquence et en intensité.
Le corps humain, le monde du vivant, autant que les systèmes, se renforcent lorsqu’ils sont soumis à des facteurs externes de désordre ou de volatilité. Cette faculté à tirer profit du chaos, voire d’en avoir besoin pour devenir meilleur, est l’essence même de l’antifragilité qui se nourrit du hasard et de l’incertitude.
L’Hydre de Lerne, dont les têtes se multiplient chaque fois qu’elles sont coupées, est un symbole antique d’antifragilité.
Dans son ouvrage Antifragile, les bienfaits du désordre, Taleb explique simplement que « tout ce qui, à la suite d’évènements fortuits (ou de certains chocs), comporte plus d’avantages que d’inconvénients est antifragile ». Dans le cas contraire, il s’agirait de systèmes fragiles.
Face à une nature imprévisible, ce qui n’est pas antifragile ne survit pas.
L’antifragilité se distingue donc de la robustesse, liée à la capacité de résistance, ainsi que de la résilience consistant à se réorganiser après perturbation pour maintenir ses fonctions et sa structure initiale.
Contrairement à la robustesse et la résilience, l’antifragilité ne cherche en aucun cas à rendre les systèmes plus robustes aux crises, mais simplement à se renforcer à leur contact.

Graphique illustrant la différence entre les principes de robustesse, de résilience et d’antifragilité.
Plus concrètement, l’antifragilité n’invite pas à des politiques consistant à la mise en œuvre de protocoles préventifs, comme le fait de constituer des réserves de masques, mais plutôt à renforcer les capacités d’adaptation rapide, car de futures crises imprédictibles nécessiteront la mise en œuvre rapide de protocoles difficilement anticipables à ce jour.
L’ÉCONOMIE MONDIALE : FRAGILE ET PEU PRÉVISIBLE
Taleb relate dans son ouvrage que la Federal Aviation Administration a découvert qu’une trop forte délégation aux systèmes automatiques, rendant les vols en apparence plus sûrs, augmentait le risque d’accident aérien.
Mais contrairement au système aérien dont l’accident rare d’un avion n’entraîne pas la chute de tous les autres, l’économie mondialisée fonctionne comme un système unique au sein duquel les erreurs se propagent et entraînent un risque systémique d’effondrement.
Alors que chaque accident aérien permet à son système de se renforcer pour empêcher le prochain, chaque crise bancaire augmente la probabilité de la suivante.
Un système économique antifragile saurait stopper les contagions pour se renforcer de ses erreurs. Nul ne tenterait de le rendre robuste sous d’improbables prévisions ou en sauvant ses banques systémiques comme lors de la crise financière de 2008.
Il est bon de rappeler à ceux qui ne jurent que par les prévisions économiques que les probabilités des événements rares ne sont pas calculables alors que leurs conséquences peuvent avoir une portée considérable.
En rendant les régions économiques interdépendantes autour d’un système unique de financiarisation généralisée, l’économie mondialisée s’avère bien fragile.
Même si depuis 2008 les interconnexions interbancaires ont largement diminué, celles entre les banques et le shadow banking (ou finance parallèle qui échappe notamment à la régulation) – situation dénoncée en 2018 par le président de la Banque centrale européenne Mario Draghi – ont augmenté renforçant le risque systémique.
Par sa rareté et son imprévisibilité, s’il reste difficile de prévenir d’une pandémie mondiale (entendons avec précision, car il est facile de prédire à la manière d’un Bill Gates ce que tout virologue sait déjà) et surtout de ses conséquences, il s’avère plus aisé de prédire l’augmentation de la fréquence des crises bancaires du fait de la multiplication d’intermédiaires financiers.
En effet, ces derniers, pour maintenir un niveau de profit, vont fatalement faire prendre des risques au système économique sans jamais en prendre eux-mêmes.
INVESTIR SUR LES CAPACITÉS D’ADAPTATION
Tout ce qui relève d’une culture formelle, centralisée et descendante entrave l’antifragilité. L’essor d’une classe de preneurs de non-risques – bureaucrates, banquiers, académiques ou journalistes – qui alimente l’illusion que le monde fonctionne en vertu d’un schéma rationnel fragilise les systèmes.
Cette nouvelle classe que Taleb nomme « fragilista » a tendance à surestimer ce qui est rationnel à ses yeux comme la portée du savoir académique, les décisions d’un conseil scientifique, les études de marché ou les prévisions économiques. Pire, ils vont encourager l’engagement de moyens dans des actions artificielles où les profits sont faibles, mais visibles, et les effets secondaires potentiellement graves et invisibles.
Finalement, ce qui fragilise modélise des prévisions et, parallèlement, les systèmes prévisionnels conduisent inexorablement à de la fragilité.
Comme le défend Taleb, les livres d’histoire de l’économie ou de management sont majoritairement écrits par les non-praticiens qui imaginent le monde sous le prisme de ce qu’ils voient, considérant ce qui ne leur est pas accessible comme n’existant pas. Comme tout académique, ils sont régis par les lois de la rationalisation a posteriori qui interprètent mal l’évidente influence du hasard, de la chance ou des crises.
Si les crises sont inévitables, au lieu de faire d’incommensurables efforts pour les prévenir, il serait alors préférable d’en faire sur les capacités d’adaptation rapide et d’évolution durable en abandonnant toute velléité de retour à la situation antérieure. L’antifragilité n’est point nostalgique.
1 réponse »