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Populisme, haine, ressentiment: lire « L’école peut-elle sauver la démocratie? »

INTRODUCTION

Populisme, haine, ressentiment

Si le populisme sonne à nos portes, si les passions tristes comme la haine et le ressentiment fleurissent, c’est aussi parce que l’école n’a pas tenu ses promesses. La massification scolaire qui s’ouvre au début des années 1960 a longtemps été associée à l’espoir d’égalité des chances et de progrès de l’esprit démocratique.

Egalité des chances et de progrès de l’esprit démocratique : engagements non tenus

Or les auteurs de l’ouvrage – L’école peut-elle sauver la démocratie ? – François Dubet– Marie Duru-Bellat, que présente l’article repris ci contre (Les vices cachés de l’école du mérite) , démontrent qu’aucun de ces engagements n’a été tenu : l’école a généré de nouvelles formes d’inégalités, plus subtiles. La hausse du niveau de diplômes n’a pas assuré à tous une meilleure insertion professionnelle, et l’ascenseur social donne au contraire le sentiment d’être en panne.

Appel au rétablissement de la confiance démocratique

François Dubet, Marie Duru-Bellat  appelaient deja au rétablissement de la confiance démocratique dans le livre ecrit un ouvrage en 2015: 10 propositions pour changer d’École. Ils insistaient sur le fait que les politiques doivent s’emparer du débat éducatif et le porter dans une mobilisation des esprits.

Ils posaient la question de savoir si une société peut abandonner sa jeunesse à des mouvements radicaux de toute sorte ? Si on ne peut lui en imputer toute la responsabilité, comment l’école peut-elle prendre sa juste part de l’éducation à la citoyenneté ?

Réduire la ségrégation pour mieux éduquer toute une classe d’âge à vivre ensemble ; œuvrer à l’égalité des garçons et des filles pour libérer les élèves des carcans sexistes ; combattre l’hégémonie du diplôme pour préparer les jeunes à se former toute la vie… 

L’objectif de faire progresser la confiance envers les institutions démocratiques : effet inversé, le rejet

Loin de faire progresser la confiance envers les institutions démocratiques, l’école nourrit chez les perdants de la compétition scolaire le ressentiment : ceux qui pensent que l’école les a méprisés et exclus finissent par rejeter les valeurs démocratiques qu’elle promeut. Le succès de l’autoritarisme, de la démagogie et de l’indifférence politique en témoignent. Bref, le long processus de massification scolaire n’a pas eu que des conséquences heureuses.

L’identification des progrès de la scolarisation à ceux de la démocratie ne va plus de soi

Il faut donc changer profondément de point de vue sur l’école pour défendre la cohésion sociale et la démocratie.

Extraits de l’article proposé :

L »’idéal méritocratique selon lequel l’école doit être en mesure de neutraliser les effets des inégalités sociales et culturelles héritées de la naissance afin de produire des inégalités « justes », car ne tenant qu’aux seules performances des individus, ne cesse d’être démenti par la réalité du terrain. »

« La désillusion est particulièrement vive en France. D’où vient l’erreur, selon les auteurs ? D’avoir prétendu adapter à une grande échelle et avec les mêmes méthodes pédagogiques une philosophie conçue pour une poignée d’individus.« 

Armand Flax et Bérénice V.

ARTICLE

Les vices cachés de l’école du mérite

27 août 2020, L’Express

La France croit à l’école du mérite avec la foi du charbonnier. Parce que là est la justice, pense-t-elle, là réside la réponse aux inégalités de destin.

Chacun doit pouvoir s’élever à la seule force de ses vertus personnelles : la volonté, l’intelligence, la connaissance – depuis que la Révolution française a renversé l’inique édifice social de l’Ancien Régime, en offrant les premières places aux valeureux et non plus aux chanceux de sang bleu.
Et si le charme n’opérait plus ? Et si ce totem symbolique servait aujourd’hui à masquer et à reproduire ces injustices dont il était censé gripper l’implacable mécanique ?

C’est l’inconvenante question posée par le dernier livre du duo François Dubet– Marie Duru-Bellat, qui est plus ou moins à l’analyse du système éducatif ce que sont les Pinçon-Charlot à celle des grandes fortunes.

Dans L’école peut-elle sauver la démocratie ? (Seuil), les deux sociologues sont allés regarder de près les effets de la massification scolaire, dont l’ambition consistait à déployer la philosophie du mérite à une échelle encore inégalée. Force est de constater que le résultat n’est pas brillant, sans même entonner la complainte facile de la « baisse de niveau ».


A l’échelle globale, le degré d’éducation de la population s’est amélioré, bien sûr. Dans les années 1950, la moitié des élèves n’obtiennent pas le certificat d’études primaires. Deux écoles coexistent alors : celle destinée au peuple, n’allant généralement pas au-delà du cours moyen – hormis pour quelques rares « élus » aiguillonnés par un maître mentor –, et celle des classes favorisées, se poursuivant jusqu’au lycée et à l’enseignement supérieur. Dans les années 1920, un enfant de cadre a 17 fois plus de chances d’obtenir un diplôme de l’enseignement supérieur qu’un enfant d’ouvrier ou d’employé. Au début des années 1980, cet écart s’est réduit de plus de la moitié.


Mais à l’échelle des individus, les gagnants et les perdants sont restés les mêmes. L’accès aux filières prestigieuses demeure toujours aussi verrouillé, le chômage a déclenché une course aux diplômes dans laquelle les classes populaires peinent à s’imposer face à leurs « rivaux » bénéficiant de larges ressources familiales (cours particuliers, langues rares, études à l’étranger, etc.).

L’idéal méritocratique selon lequel l’école doit être en mesure de neutraliser les effets des inégalités sociales et culturelles héritées de la naissance afin de produire des inégalités « justes », car ne tenant qu’aux seules performances des individus, ne cesse d’être démenti par la réalité du terrain.


UN IMPLACABLE « TRI SÉLECTIF »


François Dubet et Marie Duru-Bellat usent d’une métaphore sportive très suggestive pour expliquer la mutation historique de la massification : avant les années 1960, le système fonctionne selon les règles du championnat ; chacun joue dans sa catégorie. Ensuite, tout le monde joue contre tout le monde. Hélas, dans ce tournoi aux millions de participants, les concurrents ne concourent pas à armes égales. Alors que l’épreuve s’allonge avec l’extension des études et la dévaluation des diplômes, les inégalités sociales de départ – milieu, sexe, origine géographique, niveau d’information, etc. –, loin de s’effacer, se cumulent à chaque étape de la sélection. L’école de masse creuse ainsi elle même les écarts, laissant sur le carreau des élèves à l’estime de soi meurtrie, proies faciles du sentiment antidémocratique.


La désillusion est commune aux pays industrialisés pareillement « massifiés », comme le prouve le dernier ouvrage du philosophe américain Michael Sandel (The Tiranny of Merit). Mais elle est particulièrement vive en France, nation de cette fameuse « voie royale » mise en place à l’époque révolutionnaire avec la création de l’Ecole normale supérieure et de Polytechnique. D’où vient l’erreur, selon les auteurs ? D’avoir prétendu adapter à une grande échelle et avec les mêmes méthodes pédagogiques une philosophie conçue pour une poignée d’individus.

2 réponses »

  1. Merci encore, Thierry, pour ce bel article.C’est aussi la société consumériste, avec ses publicités et ses invitations comportementales qui ont fait école par dessus les éducations familiales et nationales…Bien amicalementJean-Marc

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