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Gérald Darmanin communique des chiffres sur la radicalisation au sein de l’immigration irrégulière
Le Monde 13 10 2020
Le ministre de l’intérieur a rendu publiques, mardi, des statistiques rarement divulguées par un gouvernement et a affirmé son intention de procéder à des expulsions.
A l’occasion de la première présentation mensuelle des chiffres de l’activité des forces de l’ordre, mardi 13 octobre, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a rendu publiques des statistiques sur le nombre d’étrangers en situation irrégulière fichés pour radicalisation.
Une communication rare de la part d’un gouvernement : corréler publiquement immigration irrégulière et radicalisation est « une nouveauté », a ainsi commenté auprès de l’Agence France-Presse (AFP) François Héran, démographe et responsable de la chaire Migrations du Collège de France.
Selon le ministre de l’intérieur, ce sont ainsi
4 111 étrangers qui sont inscrits au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), dont 851 immigrés clandestins.
Sur ce contingent,
661 font déjà l’objet de mesures d’éloignement, mais seules 428 « expulsions du territoire national ont été effectuées »,
a énuméré Gérald Darmanin lors d’un point presse amené à se répéter tous les mois, et mené conjointement avec la ministre déléguée à la citoyenneté, Marlène Schiappa.
« Consigne a été donnée de pouvoir expulser »
Reste 231 personnes « en situation irrégulière et suivies pour soupçons de radicalisation », selon le ministre, « qu’il nous faut expulser aujourd’hui ». Pour 180 d’entre eux, actuellement incarcérés, « consigne a été donnée de pouvoir expulser » à la sortie de prison, a dit M. Darmanin. Les autres « présentent un motif légitime », lequel justifie qu’ils restent à ce stade en France. Il s’agit par exemple de personnes originaires de pays en guerre, vers lesquels l’Etat français ne peut pas expulser en vertu des conventions internationales. « Chacun comprend qu’il est difficile d’expulser vers la Libye », a ainsi déclaré M. Darmanin.
Enfin, un haut fonctionnaire proche du dossier a indiqué à l’Agence France-Presse (AFP) que parmi les 231 étrangers qui pourraient faire l’objet d’une expulsion imminente, « il y a une dizaine de personnes qui sont en train de terminer leur peine ou qui l’ont terminée, et qui présentent des profils dangereux, [de sorte que] nous souhaitons qu’elles soient reprises par leur pays d’origine ». Ceux qui sont libres « sont assignés à résidence, une mesure qui est épouvantablement coûteuse », et font l’objet « de demandes diplomatiques pressantes », souligne cette source.
Pas de « lien nécessaire entre migrations irrégulières et radicalisation »
« S’il y a 300 000 irréguliers en France, ce qui est l’estimation la plus répandue, mais qui est sans doute inférieure à la réalité, les 231 suivis pour radicalisation, selon Gérald Darmanin, représentent une proportion de 1 sur 1 300. Ce n’est pas négligeable, mais ça invalide l’idée qu’il y aurait un lien nécessaire entre migrations irrégulières et radicalisation », estime François Héran. « Le problème le plus difficile à résoudre est le traitement de la menace radicale émanant de résidents en situation régulière, plus difficilement expulsables », ajoute cet expert.
Le lien effectué politiquement entre immigration et radicalisation, lui, n’est pas nouveau, même s’il n’a jamais été aussi détaillé. En 2018, par exemple, l’ancien ministre de l’intérieur Gérard Collomb avait affirmé que vingt étrangers radicalisés avaient été expulsés l’année précédente. Son prédécesseur, Bernard Cazeneuve, avait fait état en 2016 de dix-neuf expulsions d’étrangers « radicalisés » depuis janvier, un an après les attaques de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher.
En dressant un état des lieux aussi détaillé, Gérald Darmanin entend aujourd’hui « donner des gages de fermeté à l’opinion publique », juge pour sa part Pierre Henry, président de France Fraternités et spécialiste des questions migratoires. « Pas sûr qu’il y ait quelque chose à gagner à désigner ainsi les étrangers en situation irrégulière », estime-t-il.
Il faudra pourtant s’y habituer, a averti Gérald Darmanin. « J’aurai l’occasion périodiquement de rendre compte du travail très important que fait la DGSI » sur cette question, a-t-il indiqué, en précisant qu’il suivrait « individuellement chacun des cas évoqués ».