
le conseil de défense, sortie de route constitutionnelle ?
Le conseil de défense consacré à la crise sanitaire se tient régulièrement à l’Elysée. Quel est ce cénacle dénoncé comme un « comité secret » par le candidat de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon ? Qui le compose ?
Un grave doute qui ne sert pas une gouvernance équilibrée et respectueuse des institutions
« Lorsque l’on fait prendre une décision au sein d’une instance qui n’est pas appropriée, estime Jean-Philippe Derosier, il y a un doute qui peut s’installer, un manque de confiance, et donc potentiellement une contestation, une remise en cause, un manque d’adhésion. Dans un contexte de crise ce n’est jamais sain que d’ajouter de la crise à la crise. »
Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il décidé que le conseil de défense et de sécurité nationale était l’outil adéquat pour piloter une crise qui n’est pas militaire mais sanitaire ?
Un observateur de premier plan avance deux raisons, une juridique, et une politique. Le spectre, se souvient ce témoin, c’était l’affaire du sang contaminé. Emmanuel Macron, en tant que président de la République, bénéficie d’une immunité totale dans l’exercice de ses fonctions. Mais il y a eu le besoin de protéger le Premier ministre à l’époque, et le gouvernement, pour ne pas paralyser leur action. Juridiquement, cela se conteste : un magistrat peut demander la levée du secret défense. Et par ailleurs, Édouard Philippe ainsi que plusieurs ministres sont poursuivis devant la Cour de justice de la République (CJR).
L’autre raison est politique: la personnification de l’exécutif. Héberger la gestion de crise au conseil de défense, explique ce proche d’Emmanuel Macron, c’est mettre en scène la puissance de la réaction de l’exécutif rétréci au Président et enlever au 1° ministre ses responsabilités gouvernementales et le retirer du face à face démocratique avec le Parlement.
C’est installer le président de la République dans le rôle de « capitaine de crise ». Là, c’est clairement Emmanuel Macron qui barre et qui décide. Lui qui choisit les invités, biffe des noms, en rajoute, préside, en bout de table, et tranche…. Cela, c’était complètement assumé dès le début. Et quand un ministre ou le 1° ministre s’expriment sur la pandémie, c’est validé au plus haut. Par contre, le président a plusieurs fois surpris ceux ci lors de ses annonces qui se voulaient comme des défis et des surprises devant illustrer son pouvoir personnel..
Des attributions très larges
Si les conseils de défense ont une longue histoire, le conseil de défense et de sécurité nationale, sous sa forme actuelle, a été créé par décret le 24 décembre 2009, sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Ses attributions sont larges. Il « définit les orientations en matière de programmation militaire, de dissuasion, de conduite des opérations extérieures, de planification des réponses aux crises majeures, de renseignement, de sécurité économique et énergétique, de programmation de sécurité intérieure concourant à la sécurité nationale et de lutte contre le terrorisme. Il en fixe les priorités », est-il écrit.
Des conseils de plus en plus nombreux
Son usage s’est accru au fil des années. Les conseils de défense « classiques » se réunissent « à une date fixée à l’avance pour examiner des questions récurrentes (budget, loi de programmation militaire, etc.) » tandis que « le conseil de défense restreint est dédié aux crises », exposait Libération en 2013. Avec la multiplication des crises, le distinguo s’est fait plus ténu. Et le rythme de ces conseils de défense, quelle que soit leur forme, s’est accéléré depuis « les attentats de 2015 », notent Les Echos. « Au total, 10 réunions ont été organisées cette année-là, puis 32 en 2016, et 42 en 2017 », selon le rapport d’activité du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale.
Un conseil de défense se réunit désormais au moins une fois par semaine, parfois davantage. « Le président de la République le convoque aussi après chaque attentat, comme ce fut le cas 48 heures après l’assassinat du professeur Samuel Paty », souligne Le Figaro. Emmanuel Macron s’est emparé de ce format sur des sujets très divers, y compris l’environnement, en créant un conseil de défense écologique. Le chef de l’Etat privilégie également le conseil de défense dans la lutte contre la pandémie de coronavirus.
Ces réunions, toutefois, se tiennent désormais dans un cadre plus agréable. Selon France Inter, depuis le début de l’épidémie, elles ne se déroulent plus « dans le bunker de l’Elysée », mais « dans le grand salon Murat… Pour que les participants ne soient plus collés les uns aux autres ».
Des participants choisis par le chef de l’Etat…
Le même décret du 24 décembre 2009 précise qui participe aux conseils de défense. « Dans sa formation plénière », le conseil comprend, outre le Président de la République, le Premier ministre, le ministre de la Défense, le ministre de l’Intérieur, le ministre chargé de l’Economie, le ministre chargé du Budget, le ministre des Affaires étrangères, et « s’il y a lieu, sur convocation du président, d’autres ministres pour les questions relevant de leur responsabilité ». Le conseil de défense restreint, lui, « peut être réuni dans une composition fixée par son président en fonction des points figurant à son ordre du jour ».
D’autres personnalités peuvent y être conviées, selon le bon vouloir du chef de l’Etat. « Le président du conseil de défense et de sécurité nationale peut, en outre, convoquer, pour être entendue par le conseil (…), toute personnalité en raison de sa compétence », ajoute encore le décret de 2009.
… Et tenus au secret-défense
Enfin, ce conseil de défense offre un avantage non négligeable sur le conseil des ministres : les participants y sont tenus au secret-défense. Jean-Luc Mélenchon avait d’ailleurs dénoncé cette opacité, le 3 novembre. Ce conseil de défense « ne rend compte à personne et n’informe personne des décisions qu’il a prises ». Un paradoxe, alors que le conseil de défense est, semble-t-il, le lieu effectif des décisions, avec des réunions programmées avant le Conseil des ministres, comme le remarque Le Figaro.
La France est aujourd’hui dirigée par un comité secret : le Conseil de défense.
Il ne rend de compte à personne et n’informe d’aucune décision prise.
Le gouvernement, en exécutant les décisions du Conseil de défense, est lui-même placé hors de toutes responsabilités ! pic.twitter.com/BxoFB1crEq— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) November 3, 2020
Selon Le Monde, ce conseil de défense en vient « à supplanter le conseil des ministres, lequel devient de plus en plus souvent une simple chambre d’enregistrement, avec un déroulé très codifié et protocolaire ». Le compte rendu, public, du conseil des ministres, perd donc en partie de son intérêt.
En revanche, le quotidien estime infondée une autre critique portée par le député France insoumise des Bouches-du-Rhône. En raison du secret-défense, « les personnes qui composent sont placées hors de tout recours devant la Haute cour de justice », avait déclaré Jean-Luc Mélenchon. C’est faux, répond au Monde le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, puisque le secret-défense peut être levé par un juge en cas de poursuite
Nous vous proposons, en complément, un article sur ce sujet
ARTICLE
Coronavirus : comment fonctionne le très critiqué conseil de défense ?
Le fonctionnement de l’instance, convoquée plus de 30 fois dans le cadre de la lutte contre la crise sanitaire du Covid-19, est jugé opaque, ce que conteste l’Elysée.
Sommaire
- 1. La Constitution permet de réunir des conseils de défense
- 2. Les différences entre le conseil de défense et le Conseil des ministres
- 3. « La France insoumise agite le drapeau du complotisme »
Emmanuel Macron doit réunir la semaine prochaine un conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN) avant une intervention télévisée prévue mardi 24 novembre sur les suites du second confinement, mis en œuvre depuis le 30 octobre. L’organisation d’un conseil de défense puis, le même jour, une prise de parole présidentielle à la télévision sont des figures imposées de la dramaturgie façonnée par l’exécutif dans son traitement contre le Covid-19. Mais le recours au CDSN, utilisé à 32 reprises dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19, soit en moyenne chaque semaine depuis le début de la crise sanitaire, d’après un décompte de l’Elysée, hérisse les oppositions, qui jugent cette instance opaque et piétinant les droits des parlementaires.
Au début du second confinement, le chef de file des députés La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon a publié dans Le Journal du dimanche une tribune en forme de réquisitoire contre l’usage de ce dispositif. « Le monarque décide tout seul, dans le secret, sans en informer même son Conseil des ministres », écrit l’élu.
« En démocratie, la délibération n’est pas un signe de faiblesse, ou un embêtement. C’est une garantie pour prendre la meilleure décision possible. Et la condition nécessaire pour créer du consentement à l’ordre. Le régime macroniste ne le permet plus », conclut Jean-Luc Mélenchon.
En termes moins cinglants, le sénateur Les Républicains Philippe Bas a critiqué dans un entretien au Figaro le recours au CDSN, qui « n’est pas une nécessité pour le travail gouvernemental », selon lui. « Le conseil de défense n’est pas une instance naturelle pour prendre des décisions de santé publique puisqu’il est lié à la fonction de chef des armées. En temps de crise, on peut y discuter d’opérations militaires mais même cela est exceptionnel », a expliqué Philippe Bas. « À côté de l’action concrète de l’Etat, une action psychologique se développe en s’appuyant sur des symboles illustrant le pouvoir en alerte », analyse le parlementaire. L’élu voit dans les réunions du conseil de défense des opérations de communication.
1. La Constitution permet de réunir des conseils de défense
À l’Elysée, on rejette ces accusations en rappelant « la genèse du conseil de défense », prévu par la Constitution de la Ve République. Cette source interrogée par Dossier Familial évoque l’article 15 de la loi fondamentale, suivant lequel le président « est le chef des armées » et « préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale ».
Le conseil de défense et de sécurité nationale est un héritage militaire. Un conseil supérieur de défense nationale avait déjà fait son apparition en 1906, d’après le site officiel Vie publique. En 1958, alors que la guerre d’Algérie et ses répercussions menaçaient la cohésion nationale, Charles de Gaulle revenu au pouvoir avait voulu un nouveau régime pour renforcer les prérogatives présidentielles et éviter l’instabilité gouvernementale, le tout au détriment du Parlement. Un décret du 24 décembre 2009 a créé le conseil de défense et de sécurité nationale, fusionnant les conseils traitant de défense, de sécurité intérieure et de crises extérieures, selon Vie publique.
Convoquer un conseil de défense sur le Covid-19, c’est affirmer la verticalité du pouvoir et tenter de créer du consensus autour de décisions atteignant les libertés, pour contrer l’épidémie. « L’instance couvre tous les sujets de sécurité nationale et extérieure, elle ne se réunit que sur les sujets rentrant dans son champ d’intervention », poursuit-on à l’Elysée. Le conseil de défense écologique a été mis sur pied à cinq reprises durant le quinquennat, dont la dernière fois le 27 juillet dernier, concernant la mise en œuvre des propositions de la Convention citoyenne pour le climat.
Les réunions sont plus fréquentes dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Après l’assassinat du professeur Samuel Paty, le 16 octobre, le conseil a décidé de mesures le surlendemain. Sous le quinquennat de François Hollande, ce dernier avait réuni cette instance à plusieurs reprises sur le thème du terrorisme, à partir des attentats de novembre 2015. « Dans le cadre de la crise sanitaire, Emmanuel Macron est sur un rythme d’un conseil de défense presque chaque semaine, le mercredi », rappelle notre source.
Pour l’exécutif, la lutte contre l’épidémie, que le chef de l’Etat a résumée six fois par la proposition martiale de « Nous sommes en guerre » dans son discours du 16 mars, justifie l’accumulation de ces réunions, toutes vues comme nécessaires. À la présidence de la République, on explique que l’instance est « collégiale, opérationnelle et assure une vision transversale ».
2. Les différences entre le conseil de défense et le Conseil des ministres
L’Elysée considère que le conseil de défense est particulièrement « efficace » pour la prise de décisions dans la crise sanitaire, le Conseil des ministres étant un autre outil utilisé.
Mais, à l’issue des réunions du Conseil des ministres, un compte rendu écrit est publié, et le porte-parole du gouvernement expose lors d’une conférence de presse les différents points abordés. L’exécutif ne divulgue cependant que ce qu’il veut rendre public. Les médias peuvent avoir des échos des discussions.
La parole sur les réunions du CDSN est entravée : les participants sont tenus au secret-défense, ce qui n’est pas le cas des personnes présentes au Conseil des ministres. L’article 413-9 du Code pénal attribue le « caractère de secret de la défense nationale » aux « procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers intéressant la défense nationale qui ont fait l’objet de mesures de classification destinées à restreindre leur diffusion ou leur accès ». Les informations du CDSN ne peuvent être répandues par les participants.
Mais les poursuites contre les membres du gouvernement qui y prennent part restent possibles, comme l’a observé le professeur de droit public Jean-Philippe Derosier auprès du Monde et contrairement aux assertions prononcées le 3 novembre à l’Assemblée nationale devant des journalistes par Jean-Luc Mélenchon. En tant que président de la République, Emmanuel Macron bénéficie, lui, d’une immunité judiciaire, qui ne dépend nullement de la mise sur pied d’un CDSN.
3. « La France insoumise agite le drapeau du complotisme »
« La France insoumise agite le drapeau du complotisme, de la prise de décision autoritariste », dénonce-t-on à l’Elysée, où l’on vante « des gages de transparence » propres à assurer « le contrôle démocratique ». « Chaque décision prise est inscrite dans un texte, toutes les décisions sont abordées soit par [le ministre des Solidarités et santé] Olivier Véran, soit par [le Premier ministre] Jean Castex, soit par le président de la République, qui par exemple a explicité les décisions prises en matière de restriction de libertés », souligne-t-on. « Les chiffres évoqués au cours des conseils sont repris dans des rapports de la Direction générale de la santé », ajoute-t-on à l’Elysée.
Les ministres qui publient leur agenda peuvent mentionner leur participation au conseil de défense, soit au palais, soit à distance. L’instance réunit les membres du gouvernement et hauts fonctionnaires concernés. Jean Castex et les ministres Olivier Véran et Gérald Darmanin (Intérieur) comptent parmi les membres récurrents des conseils sur la crise sanitaire. Le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, aussi.
De façon ponctuelle, des membres du gouvernement dont le portefeuille recouvre les sujets abordés, sont également invités à participer. À l’Elysée, on cite par exemple Jean-Michel Blanquer (Education nationale, jeunesse et sports) sur la question de l’ouverture ou de la fermeture des écoles, ou Cédric O (délégué chargé de la Transition numérique et des communications numériques) sur l’application de traçage du virus, nommée StopCovid puis TousAntiCovid.
Si elle est systématiquement des CDSN portant sur la sécurité extérieure, le domaine militaire et la lutte contre le terrorisme, la ministre des Armées Florence Parly ne prend part à ceux concernant le Covid-19 que lorsque des sujets à l’ordre du jour relèvent de son portefeuille. « Ainsi, elle a été présente durant la première vague lorsqu’il a fallu mobiliser pour transférer des patients entre régions par hélicoptère militaire », indique-t-on encore à l’Elysée. À la présidence, on dément en outre la « rumeur » de la participation des directeurs du renseignement et du chef d’état-major des armées aux conseils de défense liés à la crise sanitaire.
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