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Nous vous proposons un article sur René CHAR de Pierre RIDEAU qui publie régulièrement sur METAHODOS. On pourra relever au moins deux « leçons » que P. Rideau tire de ses lectures – « Ne pas trahir son engagement, ne pas exposez inutilement la si précieuse et rare ressource humaine, s’oublier quand il s’agit des autres, préférez la souplesse à la rigidité quand il s’agit de l’autre, ne pas fractionner la confiance donnée… » – « De l’indulgence pour l’homme, de la rigueur pour l’équipier. »
ARTICLE DE PIERRE RIDEAU
AVEC RENE CHAR: « De l’indulgence pour l’homme, de la rigueur pour l’équipier. »
René Char est né le 14 juin 1907. Poète reconnu, un temps avec les Surréalistes, il s’en est détaché mais il en est resté une amitié avec Eluard.
Démobilisé après 1940, il s’installe à Céreste dans les Basses-Alpes et sous différents pseudos tels qu’Alexandre ou Hypnos, il agit, dès 1942, dans la Résistance.
Il n’a alors aucune expérience particulière ni dans les techniques militaires, ni dans la conduite d’un groupe, a fortiori d’un réseau. En 1943 et 1944, il dirige le secteur « atterrissage-parachutage » de l’Armée Secrète pour la zone Durance. Avec efficacité et il en sera remercié par Eisenhower.
C’est dans cette période qu’il écrit Feuillets d’Hypnos (publié après-guerre) composé de 237 fragments.
Dans le fragment 87, il donne des consignes à l’un de ses adjoints, Pierre Zyngerman chargé de la réception des parachutages d’armes et explosifs dans la zone Durance.
Fragment 87
LS*, je vous remercie pour l’homodépôt Durance 12. Il entre en fonction dès cette nuit. Vous veillerez à ce que la jeune équipe affectée au terrain ne se laisse pas entraîner à apparaître trop souvent dans les rues de Duranceville. Filles et cafés dangereux plus d’une minute. Cependant ne tirez pas trop sur la bride. Je ne veux pas de mouchard dans l’équipe. Hors du réseau, qu’on ne communique pas. Stoppez vantardise. Vérifiez à deux sources corps renseignements. Tenez compte cinquante pour cent romanesque dans la plupart des cas. Apprenez à vos hommes à prêter attention, à rendre compte exactement, à savoir poser l’arithmétique des situations. Rassemblez les rumeurs et faites synthèse. Point de chute et boîte à lettres chez l’ami des blés. Éventualité opération Waffen, camp des étrangers, Les Mées, avec débordement sur Juifs et Résistance. Républicains espagnols très en danger. Urgent que vous les préveniez. Quant à vous, évitez le combat. Homodépôt sacré. Si alerte, dispersez-vous. Sauf pour délivrer camarade capturé, ne donnez jamais à l’ennemi signe d’existence. Interceptez suspects. Je fais confiance à votre discernement. Le camp ne sera jamais montré. Il n’existe pas de camp, mais des charbonnières qui ne fument pas. Aucun linge d’étendu au passage des avions, et tous les hommes sous les arbres et dans le taillis. Personne ne viendra vous voir de ma part, l’ami des blés et le Nageur exceptés. Avec les hommes de l’équipe soyez rigoureux et attentionné. Amitié ouate discipline. Dans le travail, faites toujours quelques kilos de plus que chacun, sans en tirer orgueil. Mangez et fumez visiblement moins qu’eux. N’en préférez aucun à un autre. N’admettez qu’un mensonge improvisé et gratuit. Qu’ils ne s’appellent pas de loin. Qu’ils tiennent leur corps et leur literie propres. Qu’ils apprennent à chanter bas et à ne pas siffler d’air obsédant, à dire telle qu’elle s’offre la vérité. La nuit, qu’ils marchent en bordure des sentiers. Suggérez les précautions ; laissez-leur le mérite de les découvrir. Contrariez les habitudes monotones. Inspirez celles que vous ne voulez pas trop tôt voir mourir. Enfin, aimez au même moment qu’eux les êtres qu’ils aiment. Additionnez, ne divisez pas. Tout va bien ici. Affection. HYPNOS.
- Pierre Zyngerman, alias Léon Saingermain
Dans ce texte, René Char insiste sur trois éléments :
D’abord les menaces qui pèsent sur le groupe :
– la trahison, surtout involontaire, quand elle est le fait de la vantardise, de l’alcool…de la jeunesse…
Il le précise, le danger vient d’abord de nous-mêmes et on peut le maîtriser avec de la discipline. Bien d’autres témoignages sur la Résistance donnent raison à René Char, la cause principale de la chute de la plupart des réseaux est la trahison, sous la contrainte ou non, volontaire ou non d’un de ses membres.
Il sait les risques du « retournement », « personne ne viendra vous voir de ma part…Vérifiez à deux sources… »
– le combat disproportionné :
le groupe est fort de son engagement et de sa détermination, mais il reste inférieur à la puissance militaire de l’ennemi. Il ne faut jamais engager le combat, au contraire, se cacher, se dissimuler aux yeux de l’ennemi,« il n’existe pas de camp. »
– la routine, le laisser-aller :
René Char le sait, ou en a l’intuition, la mission exige de l’attention, de l’acuité, des sens en éveil pour parer au danger, la répétition du geste fait oublier sa justification et dans le fragment 233, René Char dira « considère sans en être affecté que ce que le mal pique le plus volontiers, ce sont les cibles non averties dont il a pu s’approcher à loisir » . « Contrariez les habitudes monotones. »
Il s’agit aussi de maintenir la cohésion du groupe, en empêchant la moindre fissure, celle d’un visage mal rasé, d’une hygiène ou une tenue négligées, symboles d’un relâchement qui deviendra menace à l’instant critique.
Ensuite, une façon de diriger son groupe, une forme de management (?)
– rigueur, attention, exemplarité, exigence : bien sûr, on retrouverait ces points dans la plupart des vademecum destinés à des chefs et/ou managers. Ici encore, la lucidité de Char impressionne ainsi que la clarté de ses consignes destinées, on peut le supposer, à des hommes comme lui, dépourvus d’expérience dans ce domaine, cernés par le danger et qui ont besoin de messages désencombrés de considérations vagues.
– une autre chose est présente, plus subtile et, à la fois vraie et, ô combien, souvent ignorée.
Il existe des « espaces » dans lesquels on ne peut pas imposer à des hommes -non professionnels- une conduite qui ignorerait leur part d’insaisissable, d’incontrôlable, d’inachevé. Il y a une part de risque, le nier serait vain, épuisant et peut-être contre-productif. « Ne tirez pas trop sur la bride ».
Mais, en revanche, dès lors qu’on a affaire à l’individu – membre d’un collectif-, la plus grande rigueur est exigée. Celle de l’arithmétique des situations. Celle aussi qui exige que l’esprit de ces hommes, engagés dans une activité à haute intensité, soit désencombré de toute pensée parasite, de ces pensées qui conduisent à siffler un air obsédant.
De l’indulgence pour l’homme, de la rigueur pour l’équipier.
Enfin, l’exercice des responsabilités
– il repose sur la confiance dont on est investi. Et la confiance ne se divise pas, ne se répartit pas.
Elle est entière et sur tous les segments de l’exercice des responsabilités.
Elle dit ce qui est sacré, elle couvre les décisions qui seront prises pour protéger ce sacré, y compris les décisions irrémédiables. Elle dit qu’il n’y aura pas de défaussement quand on saura le prix qu’il a fallu payer. « Interceptez suspects. Je fais confiance à votre discernement » se prolonge de façon implicite …et aux décisions qui en découleront.
René Char fera lui-même l’expérience tragique du discernement nécessaire pour préserver le sacré (fragment 138) et de la nécessité d’assumer sa responsabilité (fragment 14 « je le ferai moi-même »).
*
Ainsi, dans un texte très court, et très émouvant, René Char nous dit les choses essentielles, que chacun et chacune de celles et ceux placés à un poste de responsabilité peuvent et devraient entendre.
Ne pas trahir son engagement, ne pas exposez inutilement la si précieuse et rare ressource humaine, s’oublier quand il s’agit des autres, préférez la souplesse à la rigidité quand il s’agit de l’autre, ne pas fractionner la confiance donnée…
telles sont les règles que ses camarades -tant aimés- et lui se sont imposées dans un temps où leur vie était menacée à chaque instant par un ennemi impitoyable, un temps où l’espérance de leur vie se comptait en semaines.
C’est d’ailleurs, sachant ce danger omniprésent, que Char, toujours inspiré, indique la seule exception à l’obligation de limiter le risque, « sauf pour délivrer camarade capturé », c’est la chose que chacun a besoin de savoir et qui atténue le risque et renforce la solidarité.
Que dire ?
Nous ne pourrons jamais exprimer à leur juste niveau la gratitude et le respect que ces hommes et ces femmes méritent et, parmi eux, René Char qui, allant au bout de sa mission, a accepté d’en endosser les plus noirs aspects pour protéger les siens.
D’ailleurs, il ne fera de ces années et de son activité ni une rente ni un statut, à une exception près, lorsqu’en 1946, les siens sont salis et un compagnons froidement assassiné, il renoncera à sa discrétion pour détruire la calomnie.
Ainsi qu’il l’avait écrit …« sauf pour délivrer camarade … »
René CHAR. Fureur et mystère. NRF. Poésie Gallimard.
Pierre Rideau, 19 février 2021
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