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DISSOLUTION DE L’ONG MEMORIAL EN RUSSIE : LA REPRESSION SE POURSUIT

Un nouveau palier dans la répression

L’interdiction de l’association Memorial en Russie a suscité de nombreuses réactions au niveau international. Cette ONG est l’un des piliers de la société civile russe. Sa dissolution marque un nouveau palier dans la répression exercée par le pouvoir de Vladimir Poutine.

Article

Pourquoi la main de Vladimir Poutine se cache derrière la dissolution de l’ONG Memorial en Russie

29 décembre 2021 Ouest France Fabien CAZENAVE

La justice russe a ordonné ce mercredi 29 décembre, pour la deuxième fois en deux jours, la fermeture des structures de la principale organisation de défense des droits du pays, Memorial, en dépit d’une vague internationale d’indignation.

La décision prise ce mercredi s’applique à l’organisme recensant les violations des droits humains dans la Russie contemporaine, notamment les poursuites politiques visant les opposants de Vladimir Poutine. La veille, la Cour Suprême avait banni sa maison mère, Memorial International, et ses structures enquêtant sur les purges soviétiques.

Fondée en 1989 par des dissidents soviétiques voulant sauvegarder la mémoire des victimes des crimes staliniens, l’ONG Memorial s’est imposée ensuite comme un pilier de la société civile, s’attirant les foudres du Kremlin pour son engagement en faveur de la défense des libertés publiques.

Memorial, un pilier de la société civile russe

Fondée par des dissidents soviétiques, dont le prix Nobel de la Paix Andreï Sakharov, Mémorial souhaitait faire la lumière sur les crimes de l’Union soviétique contre son peuple. Après la fin de l’URSS, elle s’est également engagée dans la défense des droits humains.

Galia Ackerman, historienne engagée pour les droits de l’Homme, rappelait ainsi dans Ouest-France fin novembre que c’est la conscience de la nation. Parce que c’était l’une des toutes premières organisations non gouvernementales qui ont été créées en Russie pendant la Perestroïka. À l’automne 1987, donc avant l’effondrement du régime et de l’URSS.

Le premier coup d’éclat de Memorial en 1989 a été ses révélations sur le massacre de Katyn, l’extermination de milliers d’officiers polonais en 1940, longtemps attribué par la propagande soviétique aux Nazis. Ce massacre était en réalité l’œuvre du NKVD, les services du ministère de l’intérieur soviétique. Pour de très nombreux Russes en quête d’informations sur le sort passé de leurs proches, l’ONG a joué un rôle de premier plan dans la documentation de la terreur stalinienne.

Lors des deux guerres de Tchétchénie, l’association s’est illustrée en documentant les exactions des forces russes et leurs alliés tchétchènes. En 2009, Natalia Estemirova, responsable de l’ONG dans cette région du Caucase, avait été assassinée. Le crime n’a jamais été élucidé.

Pourquoi la dissolution de l’ONG est-elle inquiétante ?

Les deux dissolutions prononcées mardi et mercredi marquent le franchissement d’un nouveau palier dans la répression tous azimuts des voix critiques du Kremlin.

Les partisans de l’ONG considèrent que le pouvoir poutinien veut supprimer Memorial pour passer sous silence ses propres dérives mais aussi l’histoire des répressions soviétiques car le Kremlin a plus à cœur de célébrer l’héritage de l’héroïsme de l’URSS face aux nazis que celui de la mémoire des millions de victimes de Staline.

Le président russe veut contrôler l’écriture de l’histoire, celle de cette Union soviétique disparue il y a tout juste trois décennies, et dont il a qualifié l’effondrement de plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle​, a expliqué le chroniqueur Pierre Haski sur France Inter ce mercredi. Vladimir Poutine s’attaque à une institution qui a recensé les crimes du stalinisme, là où il veut d’abord retenir la puissance, incarnée par la victoire sur le nazisme.

Si l’on nous dissout, cela confirmera que les poursuites à des fins politiques sont devenues une réalité systémique de nos vies​, avait plaidé mercredi devant le tribunal Alexandre Tcherkassov, qui dirige le Centre de défense des droits humains. Le procureur Alexeï Jafiarov avait accusé mardi l’ONG de créer une image mensongère de l’URSS en tant qu’État terroriste​, de salir la mémoire ​de la Seconde Guerre mondiale et de chercher à réhabiliter des criminels nazis​.

Vers une guerre mémorielle

Memorial représentait un obstacle sur le chemin de la réhabilitation sélective de l’URSS dans une vision poutinienne qui puise dans l’imaginaire de la Russie tsariste, comme dans la virilité guerrière stalinienne, les instruments de son pouvoir absolu​, estime ainsi Pierre Haski.

Aujourd’hui, la mémoire de la répression politique et la liste même des prisonniers politiques maintenue par Memorial est une mise à mal d’un système qui se positionne désormais dans la continuité d’un passé répressif. La mémoire historique et la défense des droits sont devenues un facteur politique dans une situation où les autorités ont fait du passé leur idéologie et de la société civile leur adversaire​, avait réagi mardi Lilia Shevtsova, publiciste, docteur en histoire et professeure, dans des propos relayés par Ouest-France .

La sanctuarisation d’une seule vision de l’Histoire est devenue une tendance lourde en Europe ces dernières années. La Hongrie de Viktor Orban tente de masquer le rôle du gouvernement hongrois dans l’extermination des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale ou d’imposer une nouvelle lecture de l’insurrection de 1956. De même en Pologne où les dernières lois visent à nier toute participation de Polonais à la Shoah, malgré les preuves historiques. Au Parlement européen, une guerre mémorielle agite parfois l’hémicycle.

Une répression de plus en plus sévère en Russie

L’année 2021 a été marquée par l’emprisonnement du principal adversaire du Kremlin, Alexeï Navalny, puis l’interdiction de son mouvement pour « extrémisme »​, mais aussi la désignation de nombreuses ONG, médias indépendants ou simples individus comme « agents de l’étranger »​.

Cette qualification, en référence à celle « d’ennemi du peuple » à l’époque soviétique, contraint les personnes ou entités visées à se soumettre à de fastidieuses démarches administratives et à mentionner ce statut dans chacune de leurs publications.

C’est justement parce qu’elles reprochaient à Memorial et à son Centre des droits humains d’avoir manqué à cette dernière obligation dans certaines publications que les autorités russes ont obtenu sa dissolution. Le Centre était également accusé d’avoir fait l’apologie du en publiant une liste de prisonniers contenant les noms de membres de groupes religieux ou politiques interdits en Russie.

L’un des historiens de Memorial, Iouri Dmitriev, a aussi été condamné lundi à 15 ans de prison pour une affaire « d’agression sexuelle »​, dénoncée comme un coup monté destiné à le punir pour ses recherches sur la terreur soviétique.

Des réactions outrées dans le monde

La dissolution de Memorial a suscité de très nombreuses réactions au niveau international. Cette décision affaiblit ​la communauté russe des défenseurs des droits de l’homme en déclin​, ont estimé mercredi les Nations unies. Une société civile libre, diverse et active est cruciale pour toute société et les voix légitimes de la société civile ne doivent pas être stigmatisées, y compris par l’usage de l’expression “agent de l’étranger”​, a encore déclaré la porte-parole de la Haute commissaire aux droits de l’Homme Michelle Bachelet.

Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a fait part mardi de son indignation ​et de sa préoccupation ​mardi. La dissolution de Memorial International est une terrible perte pour le peuple russe qui a le droit de bénéficier d’une connaissance juste de son passé et d’une société fondée sur les valeurs fondamentales portées par le Conseil de l’Europe​, la vigie des droits humains sur le continent, a-t-il dit dans un communiqué. Berlin a jugé plus qu’incompréhensible ​cette décision de son côté, tout comme Londres et Washington. Le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken parlait ainsi mardi d’un affront ​aux droits humains.

Mikhaïl Gorbatchev, le dernier chef de l’URSS, et Dmitry Muratov, journaliste russe qui vient de recevoir le prix Nobel de la paix, avaient dit en novembre leur angoisse ​de voir interdite l’association Memorial.

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