
BILLET
Débauchages et rumeurs de ralliement
« Emmanuel Macron a décoré en secret Christine Lagarde à l’Élysée »
Titre la presse Le président de la République a remis les insignes de commandeur de l’Ordre national du mérite à la patronne de la Banque centrale européenne (BCE), rapporte Le Figaro, dimanche 13 février.
Cette distinction est intervenue quelques jours après que Nicolas Sarkozy ait soufflé le nom de la patronne de la Banque centrale européenne (BCE) au président de la République sortant, pour en faire sa future Première ministre, en cas de réélection.
Une décoration très politique. Christine Lagarde a été promue Commandeur de l’Ordre national par Emmanuel Macron du mérite ce mercredi, selon une information du Figaro confirmée par BFMTV.
Christine Lagarde ne dément nullement, alors qu’elle est soumise à la plus stricte neutralité
Nous écrivions il y a quelques jours, à propos de l’annonce du changement d’orientation politique par E Woerth qui avait été précédée d’une diffusion dense de rumeurs et confidences :
« Un autre dossier est ouvert depuis plusieurs semaines – sous couvert d’une rumeur qui permet de tester les réactions et opportunités. »
« Il s’agit de la Présidente de la BCE qui est pourtant soumise à un strict devoir de réserve. Faute de démentir, ses orientations stratégiques sur les taux ne peuvent que prêter à suspicion tant leur influence est grande sur l’appréciation de la politique économique de l’exécutif français. »
En tous cas, l’absence de démenti sur les récentes informations largement reprises par toute la presse, voire de protestation, de la part de la présidente de la BCF fait enfler la rumeur.
Jean Armand
Voir nos publications concernant Christine Lagarde :
FAITS ET DITS : tactiques personnelles et reniements en politique https://metahodos.fr/2022/02/12/faits-et-dits-quand-les-tactiques-personnelles/
CHRISTINE LAGARDE : « LA FETE EST FINIE ! » … « L’ARGENT GRATUIT C’ETAIT HIER. DEMAIN, CEINTURE » https://metahodos.fr/2022/02/10/33897/
Article
Le rêve américain de la Macronie : Christine Lagarde, bientôt à Matignon ?
Par Louis Nadau, Publié le 14/02/2022 Marianne
Pragmatique, indécrottable libérale, championne de l’entregent et incarnation de l’élite mondialisée, Christine Lagarde, que la macronie semble rêver de voir à Matignon en cas de réélection d’Emmanuel Macron, est probablement la plus anglo-saxonne des technocrates françaises.
Ils en rêvent. Une femme européiste, « fluent in english », ancienne patronne du FMI et actuelle de la BCE, compétente, sérieuse, loyale… Christine Lagarde à Matignon, ça aurait décidément de la gueule, fantasment les macronistes. Si bien que la presse bruisse d’échos catapultant l’illustre représentante de la Troïka à visage humain à la tête du gouvernement d’Emmanuel Macron, si celui-ci venait à être reconduit pour un second mandat en avril. Indice supplémentaire : selon Le Figaro, l’ancien banquier d’affaires a remis mercredi dernier les insignes de Commandeur de l’Ordre national du Mérite à ex-avocate d’affaires. Pragmatique, indécrottable libérale, championne de l’entregent et incarnation de l’élite mondialisée, Christine Lagarde est probablement la plus anglo-saxonne des technocrates françaises.
Las ! Christine Lagarde a semblé fermer la porte à cette possibilité. « J’ai un métier, j’ai une fonction. Je suis à Francfort (siège de la BCE, N.D.L.R.) jusqu’en 2027. Je n’ai pas pour habitude d’abandonner en cours de route, donc… Il y a d’autres gens tellement plus compétents pour faire le job, donc je vais essayer de me concentrer sur ce que j’ai à faire », déclarait-elle le 20 janvier sur France Inter. Que ses admirateurs se rassurent cependant : avant de le devenir, Christine Lagarde avait également indiqué ne pas vouloir être ministre, ni présidente de la BCE. À l’entendre, elle dirigerait le monde à l’insu de son plein gré. « Toutes mes bifurcations ont été le fruit de rencontres, de hasards, sans aucun doute de chance », expliquait-elle au Monde en 2019. Story telling largement démenti par son parcours.
ROCK STAR À DAVOS
Après son bac, la jeune femme avait passé un an et demi aux États-Unis, concluant son séjour par un stage dans l’équipe du sénateur républicain du Maine William Cohen. Deux fois recalée à l’ENA, elle gravit pendant 25 ans les échelons chez Baker McKenzie, cabinet d’avocats mastodonte (4 600 collaborateurs dans 35 pays) dont elle finit par diriger le comité exécutif en 1999 depuis Chicago, jusqu’à son entrée au gouvernement Villepin en 2005. Elle traversera de nouveau l’Atlantique six ans plus tard, mais pour atterrir à Washington, comme directrice générale du FMI après l’affaire DSK. Christine Lagarde y étoffera un carnet d’adresses où figurent nombre de grands de ce monde : Barack Obama, Meryl Streep, Bono…https://0baa971aa8ae9ccc14aee7410ff0bdbf.safeframe.googlesyndication.com/safeframe/1-0-38/html/container.html
Pour le départ de son amie en partance pour la BCE – modeste sauterie de 250 invités – le chanteur irlandais laisse un message vidéo, avec cette impayable anecdote : « Quand je suis arrivé dans une petite station suisse où se retrouvent chaque année les puissants du monde, j’ai entendu des participants dire qu’une rock star était attendue à Davos et qu’elle allait secouer le sommet. J’étais assez flatté qu’on parle de moi en ces termes. Avant de réaliser que la rock star en question, ce n’était pas moi, mais Christine Lagarde ! »
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Habituée du forum de Davos, l’ancienne élue d’opposition du 12e arrondissement de Paris (sa seule expérience élective), festoie alors avec Ivanka Trump, Alan Greenspan (ancien président de la FED, dont le laxisme n’aura pas aidé à éviter la crise financière de 2008), Lakshmi Mittal, bien connu des anciens ouvriers de Florange, ou encore David Rubenstein, fondateur du fonds d’investissement Carlyle. « C’est la spécificité de Christine Elle a ce sens du réseau très peu courant en France, encore moins chez les femmes : décomplexé, à l’américaine », expliquait son amie Anne Lauvergeon à nos confrères du Monde.
Sens du réseau n’allant pas sans un don certain pour la flagornerie, confère la lettre d’allégeance saisie en 2013 par les enquêteurs lors d’une perquisition au domicile parisien de Christine Lagarde, dans le cadre de l’affaire de l’arbitrage Tapie. Extrait de cette fervente missive : « Utilise-moi pendant le temps qui te convient et convient à ton action et à ton casting. (…) Si tu m’utilises, j’ai besoin de toi comme guide et comme soutien : sans guide, je risque d’être inefficace, sans soutien je risque d’être peu crédible. Avec mon immense admiration. Christine L. »
RIGUEUR ET FLEXIBILITÉ
Le ton de Christine L. était nettement moins enjôleur lorsqu’il s’agissait de mettre au pas les Grecs en 2012. « Je pense qu’ils devraient aussi s’aider collectivement en payant leurs impôts », déclarait-elle auprès du Guardian. Ironie de l’histoire : elle-même n’en payait pas, ses revenus de fonctionnaire au sein d’une organisation internationale échappant à la taxation. Qu’on ne s’y trompe pas : si les anciens collaborateurs de Christine Lagarde louent son sens de l’écoute et sa capacité à bâtir des compromis, la dirigeante de la BCE n’a pas la main qui tremble lorsqu’il s’agit d’appliquer la doxa libérale tant prisée outre-Atlantique : après avoir refusé de restructurer la dette grecque, elle tord ainsi la loi sur les bonus dans un sens favorable aux banquiers et freine la réglementation de la spéculation.
À peine nommée ministre déléguée au Commerce extérieur en 2005, elle assure sur Europe 1 que le droit social français « compliqué, lourd », est un « frein à l’embauche » et doit être urgemment réformé. On ne fait pas sa carrière aux États-Unis sans conserver un léger tropisme pour la flexibilité… Deux ans plus tard, la nouvelle ministre de l’Économie, dont le passage à Bercy sera marqué par une loi allégeant les droits de succession, lâchait cette bombe ruinant la communication « rassurante » de François Fillon : « Bien sûr que nous préparons un plan de rigueur, mais ce plan de rigueur est destiné à la Fonction publique pour l’essentiel. »
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Celle qui assurait avec une admirable vista que « le gros de la crise était derrière nous » a la tranquille assurance de ceux qui savent avoir toujours raison, ou presque. Tant pis si les économistes du FMI admettent eux-mêmes, en 2013, avoir sous-estimé les effets négatifs de la cure austéritaire imposée à l’Europe, Christine Lagarde maintient le cap. « Il n’y a pas d’austérité excessive dans la zone euro », déclare-t-elle en 2014 dans Les Échos. L’estime de soi, tant promue en Amérique, ne manque pas à la banquière européenne. « J’ai accepté d’entrer au gouvernement pour trois raisons : on me faisait confiance, j’ai confiance en moi et, je ne pense pas que ce soit un péché, je sais donner confiance aux autres », expliquait-elle par exemple à Libération en 2005.
« TEINTÉES DE SOCIAL »
Aujourd’hui, Christine Lagarde est certes plus souple. Ses convictions « libérales » sont « teintées de social », a-t-elle tenu à préciser au Monde. Sous sa présidence, la BCE n’a pas pris de virage ordolibéral après la présidence de l’italien Mario Draghi, relativement souple quant aux règles européennes. Il reste toutefois une certaine marge à l’éphémère ministre de l’Agriculture et de la Pêche avant la conversion marxiste. Sur France Inter, c’est en authentique techno que s’exprime Christine Lagarde : « réformes structurelles », « impératif » de la « stabilisation des finances publiques », « nécessité de rembourser la dette », « sanctions » contre les pays contrevenant aux règles européennes, retour à une version light du dogme des 3 % de déficit… un vrai bingo du jargon des élites financières.
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Femme à l’élégance soignée et à la diction bourgeoise, Christine Lagarde se défend d’appartenir au gratin mondial, et ne manque jamais une occasion de mettre en scène ses attaches normandes. « La maison de ma mère, qui était normande, était ‘de l’aut’côté d’l’eau’, raconte-t-elle au Courrier Cauchois en juillet 2020. Toute petite, on allait chercher le lait à la ferme avec le broc et les œufs dans le poulailler. » Mais le naturel perce parfois chez la coupable non condamnée de l’affaire Tapie, qui s’était « impliquée personnellement dans la décision de ne pas faire de recours contre l’arbitrage » accordant 400 millions d’euros à l’homme d’affaire pour solder son litige avec le Crédit lyonnais dans la vente d’Adidas. Agacée par les questions de la presse, Christine Lagarde coupait net : « Est-ce que vous croyez que j’ai une tête à être copine avec Bernard Tapie ? »