
« La démocratie nous enseigne la raison et la modération ».
« Parce qu’elle ne prétend pas être parfaite, la démocratie garantit la liberté de pensée […] Il est plus important que jamais de défendre la démocratie pluraliste », rappelle Christian Lequesne, professeur à Sciences Po Paris.
Article
La démocratie demeure notre meilleur avenir
Publié le 04/02/2022 Ouest France
Dans l’euphorie de la fin de la Guerre froide, certains prédisaient la fin de l’histoire
et la diffusion de la démocratie partout dans le monde. Trente ans plus tard, on mesure le péché d’optimisme. La Chine de Xi Jinping est plus autoritaire que celle de Deng Xiaoping. En Russie, Vladimir Poutine – au pouvoir depuis 1999 – ne laisse aucun espace à ceux qui ne lui font pas allégeance. Après la tentative d’empoisonnement de son principal opposant, Alexeï Navalny, c’est l’organisation Mémorial, active dans la dénonciation des atteintes aux droits de l’homme (et notamment des crimes staliniens) qui a été dissoute par la Cour suprême russe.
Mais l’Occident lui-même n’échappe pas à la remise en cause de la démocratie. Aux États-Unis, les partisans de Donald Trump refusant la défaite face à Joe Biden ont donné en janvier 2021 l’assaut du Capitole – le bâtiment du Parlement — pour marquer leur détestation de la démocratie américaine. En Pologne et en Hongrie, pays membres de l’Union européenne, les partis au pouvoir mettent à mal depuis plusieurs années l’indépendance de la justice, celle des médias et annihilent toute opposition. En France, où deux tiers des citoyens continuent à marquer leur attachement à la démocratie, 61 % pensent que celle-ci est en réel danger. L’élection présidentielle qui se profile compte plusieurs voix qui, malgré un discours contraire, ne croient pas dans les bienfaits de la démocratie pluraliste.
Ne pas céder à la peur
Pourquoi ce retour en arrière de la démocratie ? Une explication est sociale. Les crises économiques et le manque de pouvoir d’achat ont fait renaître le spectre d’un État autoritaire devant assurer un rôle distributif plus grand face aux lois du marché. C’est oublier que les régimes autoritaires redistribuent en général peu, car ils sont facilement gangrenés par la corruption de dirigeants qui agissent sans contrôle. Les États-providence sont toujours démocratiques. En outre, beaucoup de ceux qui rejettent la démocratie se moquent totalement de la question sociale. Leur obsession est avant tout identitaire.
Pour eux, l’État autoritaire est vu comme le moyen de lutter contre un grand complot mondialiste qui détruirait nos identités nationales. Là encore, il s’agit d’une grande illusion. L’idée d’un tour de vis autoritaire pour protéger notre identité nationale n’a aucun sens. Ce n’est pas parce que nous consommons des produits importés ou que nous faisons partie de l’Union européenne que nous ne sommes plus français, italiens ou polonais. Les partis politiques et les candidats qui introduisent chez les électeurs un doute sur leur identité nationale le font avec un seul dessein : celui de créer une peur qui permet simplement de légitimer un rejet de la démocratie.
Il est important de ne pas céder à la peur sous le seul feu de l’émotion identitaire. La démocratie nous enseigne précisément la raison et la modération. Parce qu’elle ne prétend pas être parfaite, la démocratie garantit la liberté de pensée. Elle s’efforce – parfois imparfaitement – de réduire les inégalités plutôt que de décréter une fausse société égalitaire, comme le firent les régimes communistes en Europe de l’Est jusqu’en 1989. Il est plus important que jamais de défendre la démocratie pluraliste sans oublier la célèbre maxime de Churchill : la démocratie est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres.