
La sordide affaire du chantage à la vidéo de Saint-Etienne pause deux graves problèmes :
- Le refus du maire (Perdriau) de démissionner illustre la tendance récurrente de certains hommes politiques à esquiver leur responsabilité politique, y compris en instrumentant la justice, et en évacuant tout principe déontologique ou éthique;
- Mais surtout l’affaire révèle l’absence de mécanismes pouvant mettre en mouvement la responsabilité politique des exécutifs locaux maires et présidents des interco, départements, regions, syndicats mixes…. .
LES PROPOSITIONS DE METAHODOS
METAHODOS a régulièrement traité des lacunes de la démocratie locale qui pourtant devrait servir d’école de la démocratie – en raison, tout particulièrement, d’une proximité facilitant celle-ci.
Séparation des fonctions de l’exécutif de celles du législatif
Parmi nos propositions il y a, en particulier, la séparation des fonctions de l’exécutif de celles du législatif ( président de l’assemblée, vice présidents, présidents des commissions, président des instances relatives à la commande publique, rapporteur du budget, secrétaire de l’assemblée, questeur, …)
Ce dispositif permettra un contrôle véritable des exécutifs et des administrations qu’ils dirigent, une transparence de l’action, des évaluations de l’action publique, et par là la possibilité d’une bonne information des citoyens et l’exercice de leurs prérogatives de contrôle et de débat.
On aimerait pouvoir observer des initiatives concrètes – de propositions de réformes et d’actions véritables – de la part des élus territoriaux et des organisations puissantes qui les fédèrent au niveau national.
Les critiques de l’Etat que développent les collectivités sont souvent fondées, mais elles gagneraient en crédibilité si les élus territoriaux faisaient vivre une véritable démocratie de proximité ( dans toutes ses dimensions : représentative, participative, directe ). Elles sont, de surcroit bien placées pour associer les établissements d’enseignement ( écoles, collèges, lycées, universités ) à ce que nous appelons l’école de la démocratie de proximité.
Mise en oeuvre de la responsabilité des élus de l’exécutif devant l’assemblée
De nombreux lecteurs ont régi à l’ affaire de Saint Etienne et proposent que nous ajoutions à nos propositions un dispositif de mise en cause de la responsabilité des élus de l’exécutif par l’assemblée territoriale.
Il s’agit d’inscrire dans le droit politique local l’équivalent d’une motion de défiance ou de motion de censure votée par les conseiller pour contraindre le responsable de l’exécutif – maire ou président, adjoint ou vice président – (qu’ils ont élu) à démissionner.
Ce dispositif – dans sa « menace » de mise en œuvre – permettrait également de contraindre l’exécutif à exécuter des décisions de l’assemblée restées sans suite. De telles situations ne sont pas rares.
DEUX ARTICLES PROPOSÉS
« Le droit local est le parent pauvre de la démocratie française, Tocqueville l’avait déjà noté et son constat reste globalement d’actualité » écrit Olivier Beaud dans le second article proposé ci contre.
Le premier article de Hugo Soutra évoque le même sujet avec pertinence.
1. ARTICLE
Ce que l’affaire Perdriau dit de la démocratie locale…
HUGO SOUTRA PUBLIÉ LE 12/10/2022 COURRIER DES MAIRES
Un maire gravement mis en cause au point de devenir illégitime aux yeux de toute une partie de sa population peut-il s’accrocher à son fauteuil ? Oui ! Alors que la municipalité de Saint-Etienne fait actuellement la Une des journaux pour une affaire de chantage politique, Olivier Beaud en tire les premiers enseignements juridico-politiques. Le maintien en fonction de Gaël Perdriau illustre, selon ce constitutionnaliste, les profondes lacunes de la démocratie locale française, qui pâtirait notamment de l’absence de mécanisme de révocation aux mains des conseillers municipaux ou de citoyens ordinaires.
Depuis longtemps contesté en interne par les cadres de Les Républicains, Gaël Perdriau a été opportunément exclu par Christian Jacob, mardi 11 octobre, à la veille d’un congrès national stratégique. Pas certain que le maire de Saint-Etienne s’en trouve affecté… Contesté par une partie de son conseil municipal pour son rôle supposé dans le chantage à la vidéo exercé à l’encontre de son ancien premier adjoint Gilles Artigues, critiqué par ses homologues de la métropole qu’il préside ainsi que divers acteurs économiques locaux l’estimant « indigne » de les représenter, il n’a, par contre, pas eu à démissionner de ses fonctions locales. Et ne compte pas le faire de sitôt. Du moins pas tant que sa culpabilité ne soit juridiquement reconnue.
Sur le blog Jus Politicum animé par une cinquantaine d’auteurs de la Revue internationale de droit constitutionnel, Olivier Beaud ne s’attarde pas sur le « procédé déshonorant de pression politique » valant toutes ces opprobres à Gaël Perdriau, qui reste « présumé innocent. » Seul le contexte juridique, médiatique et politique à l’origine du maintien en fonction du maire de Saint-Etienne et président de Saint-Etienne Métropole intéresse ce professeur en droit public à l’université Paris Panthéon-Assas. Et l’analyse concise et pédagogique qu’il tire de cette affaire mérite le détour.
La présomption d’innocence « invoquée à toutes les sauces »
La défense de Gaël Perdriau, tout d’abord, « caractéristique de l’attitude actuelle de certaines personnalités politiques », instrumentaliserait habilement le droit pénal, selon lui, pour mieux esquiver sa responsabilité politique. L’élu stéphanois se réfugie en effet derrière le principe de la présomption d’innocence – invoqué « à toutes les sauces » – et le secret de l’instruction, décrypte ce constitutionnaliste, à la fois pour conserver son fauteuil, nier les faits qui lui sont reprochés, et ne rendre de comptes ni à ses électeurs, pas plus qu’à ses grands électeurs.
Deux principes inappropriés dans de telles circonstances, juge pourtant Olivier Beaud : « on pourrait penser la question de la responsabilité politique, indépendamment de la question de la culpabilité pénale », estime-t-il, rappelant qu’ « en l’occurrence, il est tout à fait indifférent aux citoyens stéphanois de savoir si leur maire a commis un délit pénal. Il leur suffit de connaître une grande partie des faits révélés par la presse pour avoir la conviction qu’il n’est plus digne de leur confiance. Le lien entre confiance et légitimité politique est ici central. »
Responsabilité politique engagée
Peu suspect de négligence vis-à-vis de principes essentiels de l’état de droit, l’universitaire parisien poursuit son réquisitoire en questionnant la façon dont l’élu stéphanois continue d’administrer la mairie et la métropole : « à supposer que M. Perdriau puisse démontrer qu’il n’a ici rien commandité du tout, sa responsabilité est d’ores et déjà engagée pour s’être entouré de ‘curieux’ collaborateurs aux non moins ‘curieuses’ pratiques. »
Lui reconnaissant le fait de « ne pas être le premier homme politique à user de cette ‘ficelle’ du droit pénal », Olivier Beaud monte ensuite en généralité, insistant sur « le défaut de responsabilité politique des maires (et plus globalement des élus locaux) en France. » En l’état actuel du droit, il n’existe en effet qu’un seul moyen légal de révoquer un maire délégitimé : l’article L2122-16 du code général des collectivités territoriales. Un garde-fou allant à l’encontre des lois de décentralisation et du principe de libre-administration, fait-il remarquer, puisque faisant de nouveau de l’Etat une « autorité de tutelle ». Et de fait « rarement mobilisé » par le ministère de l’Intérieur, souligne le juriste, pas au bout de ses surprises…
Anomalie démocratique
« Cette affaire de Saint-Etienne est hautement instructive en ce qu’elle révèle au grand jour une lacune surprenante : l’absence possible de mise en cause de la responsabilité politique du maire de la part, non pas de l’Etat, mais de la collectivité locale elle-même – soit par les membres du conseil municipal, soit par les citoyens eux-mêmes. Autrement dit, il n’existe pas dans le droit politique local l’équivalent d’une motion de défiance ou de motion de censure votée par les conseillers municipaux pour contraindre le maire (qu’ils ont élu) à démissionner, pas plus qu’il n’existe de procédure de recall (à l’initiative des citoyens), pour le destituer » s’étonne Olivier Beaud, qui relève un peu plus loin le « contraste entre la responsabilité pénale envahissante du maire et son absence de responsabilité politique. »
Si le président de la République peut bien faire l’objet d’une procédure de destitution, ce n’est donc toujours pas le cas des maires. En France. En 2022. En dépit de la « concentration massive des pouvoirs » aux mains des exécutifs locaux, faisant du maire d’une grande ville « une sorte de petit monarque à lui tout seul », analyse-t-il… Une « anomalie » confirmant, d’après le constitutionnaliste, un vieux constat d’Alexis de Tocqueville : « le droit local est le parent pauvre de la démocratie française. »
Vers une modernisation de la décentralisation ?
« Alors qu’on discute sans fin de la réforme des institutions de la Ve République (…), ne serait-il pas grand temps d’envisager une réforme des lois de décentralisation pour y introduire des mécanismes intelligents et sensés de responsabilité des élus locaux ? » interroge ainsi M. Beaud, qui en termine par un appel à moderniser d’urgence notre droit politique local : « si cette affaire Perdriau pouvait ouvrir les yeux à « nos » décideurs sur les lacunes de la responsabilité politique locale, elle aurait au moins une utilité. »
2. ARTICLE
L’AFFAIRE PERDRIAU, LE MAIRE ET LA DÉMOCRATIE LOCALE
Par Olivier Beaud, Professeur de droit public à l’Université Panthéon-Assas JUS POLITICUM
Le lundi 26 septembre 2022 a eu lieu à la mairie de Saint-Etienne un conseil municipal très mouvementé car certains élus ont explicitement demandé au maire actuel, Gaël Perdriau (LR), de démissionner en raison des faits révélés par le journal Mediapart. Ils n’ont pas été entendus par ce dernier et ils ont, en signe de protestation, quitté la salle de délibération.
Il faut dire brièvement un mot des faits qui ne sont pas reluisants. On a appris par la presse qu’une tentative de déstabilisation d’un adjoint au maire avait eu lieu puisque celui-ci a fait l’objet d’un chantage à la diffusion d’une vidéo le mettant en scène avec ce qu’on appelle un escort-boy. Selon l’accusation proférée initialement par la presse, l’équipe rapprochée du maire aurait été à la manœuvre dans ce procédé déshonorant de pression politique. Depuis la révélation de ces faits, le directeur de cabinet du maire et l’un de ses adjoints à l’éducation ont démissionné.
On imagine bien que ce ne sont pas ces faits — largement relayés par les médias, comme en témoigne la diffusion sur les antennes de radio d’extraits de conversations diffusés sur les médias nationaux — qui peuvent intéresser le constitutionnaliste d’autant qu’ils ne sont pas complètement établis. M. Perdriau n’a tiré aucune conséquence de la très grave accusation selon laquelle il ne serait pas étranger à cette affaire. Comme l’a écrit un journal du soir pour résumer la séance mouvementée du conseil municipal, il « s’accroche à son fauteuil de maire »[1].
Aux yeux du constitutionnaliste, cette triste affaire est surtout intéressante pour au moins deux raisons : d’une part, la défense du maire de Saint-Etienne est caractéristique de l’attitude actuelle de certaines personnalités politiques consistant à utiliser le droit pénal comme un moyen visant à esquiver leur responsabilité politique et, d’autre part, elle révèle une singulière absence : le défaut de responsabilité politique des maires (et plus globalement des élus locaux).
I – L’omniprésence envahissante du droit pénal : la présomption d’innocence « à toutes les sauces »
Pour expliquer aux édiles stéphanois qu’il ne voulait pas démissionner, Gaël Perdriau s’est réfugié derrière deux règles fondamentales de la procédure pénale. À la radio, il a invoqué le principe de la présomption d’innocence pour se défendre de l’accusation selon laquelle il serait à l’origine du chantage à la vidéo qui est à l’origine d’une plainte pénale depuis le mois d’août[2]. Par ailleurs, il aurait déclaré lors du conseil municipal, tout en niant les faits qui lui sont reprochés, qu’il ne pouvait pas en dire davantage en raison du secret de l’instruction[3]. Ainsi, pour ne pas davantage s’expliquer devant certains membres du conseil municipal et devant ses concitoyens stéphanois, M. Perdriau bâtit sa défense sur le droit pénal.
On sait notamment que la présomption d’innocence est un principe issu de la procédure pénale selon lequel tout accusé est présumé innocent jusqu’à ce que survienne son éventuelle condamnation[4]. Il s’agit d’un principe éminemment libéral qui revient à faire reposer le fardeau de la charge de la preuve sur l’accusation. Même si ce principe est allègrement violé dans beaucoup d’affaires actuelles, il est censé défendre des personnes accusées et poursuivies par la justice. Le point intéressant dans cette affaire est que Gaël Perdriau le brandit sans comprendre à quel point ce principe de droit pénal est ici inapproprié.
On peut y voir un symptôme de l’impérialisme du droit pénal qui contamine toutes les affaires politiques. Tout le monde raisonne à partir du droit pénal et plus personne ne sembler comprendre qu’on pourrait penser la question de la responsabilité politique, indépendamment de la question de la responsabilité pénale. En l’occurrence, il est tout à fait indifférent aux citoyens stéphanois de savoir si leur maire a commis un délit pénal. Il leur suffit de connaître une grande partie des faits révélés par la presse pour avoir la conviction qu’il n’est plus digne de leur confiance. Le lien entre confiance et légitimité politique est ici central. Aux yeux d’une grande partie de l’opinion publique « stéphanoise », leur maire est désormais « indigne » de les représenter et devrait donc démissionner de lui-même. Mais il s’accroche à son mandat, comme une moule à un rocher, invoquant tour à tour le principe de présomption d’innocence et le secret de l’instruction pour justifier le fait qu’il ne démissionne pas. Si on comprend bien sa ligne de défense, sa culpabilité ne serait pas encore prouvée dans cette affaire.
Il ne s’agit pourtant pas ici de culpabilité (pénale), mais de responsabilité (politique). En politique, on peut être responsable de l’action d’autrui, c’est le cas pour le ministre qui est responsable — en théorie, au moins – des fautes commises par son administration. Un maire peut être tout autant jugé responsable de l’action de ses collaborateurs. En effet, à supposer que M. Perdriau puisse démontrer qu’il n’a ici rien commandité du tout, sa responsabilité est d’ores et déjà engagée pour s’être entouré de « curieux » collaborateurs aux non moins « curieuses » pratiques. En toute hypothèse, il devrait rendre compte à ses électeurs, et même à ses « grands » électeurs de la façon dont il « administre » (c’est-à-dire gouverne) la ville de Saint-Etienne. De ce point de vue, son invocation récurrente du principe de présomption d’innocence et du secret de l’instruction apparaît comme un moyen de se soustraire à une telle obligation. En d’autres termes, il instrumentalise le droit pénal pour échapper à sa responsabilité politique.
Accordons à M. Perdriau un point : il n’est pas le premier homme politique à user de cette « ficelle » du droit pénal. Mais son cas personnel est secondaire dans la mesure où c’est la question de principe qui nous importe ici. Or, en matière de gouvernement des assemblées locales, les textes ne prévoient pas de véritable responsabilité politique. C’est un obstacle de taille qu’il convient maintenant d’évoquer.
II – L’introuvable responsabilité politique des maires en France : une anomalie démocratique
En effet, le citoyen ordinaire pourrait s’étonner : pourquoi ne peut-on pas mettre en cause la responsabilité politique de cet élu ? Les juristes eux, savent qu’il existe un moyen légal de révoquer un maire. Il est prévu par l’article L2122-16 du code général des collectivités territoriales qui dispose : « Le maire et les adjoints, après avoir été entendus ou invités à fournir des explications écrites sur les faits qui leur sont reprochés, peuvent être suspendus par arrêté ministériel motivé pour une durée qui n’excède pas un mois. Ils ne peuvent être révoqués que par décret motivé pris en conseil des ministres. » Ainsi dans l’hypothèse d’un maire gravement défaillant, l’Etat refait surface et apparaît comme la seule autorité compétente, agissant comme une autorité de tutelle qu’il n’est plus depuis les lois de décentralisation. En raison du précédent du régime de Vichy, on devine aisément que cet article est rarement mobilisé. Il n’y aurait eu, lit-on, que six révocations de maires depuis 1958. On peut le comprendre car cette immixtion de l’État dans la direction exécutive d’une commune est directement contraire au principe démocratique et au principe de libre administration des collectivités locales. Il n’est donc pas surprenant que M. Perdriau n’ait pas été suspendu par le ministre de l’Intérieur.
Toutefois, cette affaire de Saint-Etienne est hautement instructive en ce qu’elle révèle au grand jour une lacune surprenante : l’absence possible de révocation du maire de la part, non pas de l’Etat, mais de la collectivité locale elle-même, soit par les membres du conseil municipal, soit par les citoyens. Autrement dit, il n’existe pas dans le droit politique local l’équivalent d’une motion de défiance ou de motion de censure votée par les conseillers municipaux pour contraindre le maire (qu’ils ont élu) à démissionner, pas plus qu’il n’existe de procédure de recall (à l’initiative des citoyens), pour le destituer.
La question, faute de pratique, intéresse d’ailleurs peu les spécialistes[5]. Il est même étonnant de constater que la seule question évoquée dans les ouvrages concernant la décentralisation porte sur la seule responsabilité pénale des élus locaux[6]. On connaît d’ailleurs à ce propos tous les excès de ces jurisprudences invraisemblables condamnant pénalement des maires pour des accidents ayant eu lieu dans des cours d’école. Il a fallu la loi « Fauchon » du 10 juillet 2000 pour mettre fin à ce délire des « délits non intentionnels ».
Un tel contraste entre la responsabilité pénale envahissante du maire et son absence de responsabilité politique est d’autant plus étrange qu’il existe en matière de gouvernance des villes une concentration massive des pouvoirs en faveur du premier édile. Le maire d’une grande commune est une sorte de petit monarque à lui tout seul. Cette concentration des pouvoirs a permis à des maires un peu « visionnaires » de dynamiser leurs villes ou de les réveiller. Chacun peut trouver aisément les noms de ces « grands maires » sous la Ve. Telle est la face positive de cette présidentialisation des institutions municipales. La face négative existe aussi et elle concerne tous les maires qui ont pratiqué, à grande échelle et avec un grand talent, le clientélisme et le népotisme. Ici aussi, des noms connus peuvent venir à l’esprit de toute personne s’intéressant à la politique. Il est donc curieux pour le moins qu’on n’ait pas songé à instituer au moment de la décentralisation, un garde-fou consistant à introduire une forme de responsabilité politique (normale ou exceptionnelle) du maire.
On l’a bien fait en ce qui concerne le président de la République qui, depuis la révision constitutionnelle de 23 février 2007, peut faire l’objet d’une procédure de destitution (art. 68). Il ne serait pas difficile d’imaginer au moins deux mécanismes de mise en cause de la responsabilité politique du maire. Le premier pourrait s’exercer via les membres du conseil municipal, un peu sur le mode de l’article 49 de la constitution de 1958, avec certaines limitations (quorum, majorité absolue ou majorité qualifiée pour ne pas rendre trop facile et arbitraire la révocation du maire). Le second pourrait permettre l’intervention des citoyens eux-mêmes en cas de carence des élus locaux — dont la majorité, soumise au maire, continuerait à faire bloc autour de lui — et qui n’engageraient pas la responsabilité politique de celui-ci. Ce serait une sorte de recall à la française qui pourrait améliorer la situation de la commune aux prises avec un maire défaillant et considéré comme « indigne » de représenter ses « administrés » (le terme en dit long sur le système politique local en France).
Alors qu’on discute sans fin de la réforme des institutions de la Ve République et de la défaillance de la démocratie représentative, que devrait pallier en partie la démocratie participative, ne serait-il pas grand temps d’envisager une réforme des lois de décentralisation pour y introduire des mécanismes intelligents et sensés de responsabilité des élus locaux ? Le maire seul ne serait pas concerné tant l’intercommunalité est aujourd’hui présente dans les institutions locales. Cela nous débarrasserait peut-être, enfin, de ces récurrentes « affaires » viciées et de cet impérialisme nocif du droit pénal dont les premières victimes sont la démocratie et les citoyens.
Enfin, on peut tirer une leçon plus générale de cette absence de responsabilité politique au niveau local : le droit local est le parent pauvre de la démocratie française. Tocqueville l’avait déjà noté et son constat reste globalement d’actualité. Le plus curieux, pour ne pas dire le plus étrange, c’est que les lois de décentralisation successives depuis 1982, n’ont pas prévu un tel mécanisme compensatoire. En effet, elles ont supprimé la tutelle de l’Etat et ont nécessairement accordé plus de pouvoir aux maires, qui sont à tout moment de potentiels « tyrans » locaux en raison de leur majorité municipale. Or, elles l’ont fait sans même accompagner ce processus par une corde de rappel qui serait leur responsabilité politique. Les universitaires, qui ne sont pas forcément des élus locaux, sont pourtant bien placés pour connaître ce genre de phénomène car, depuis la loi LRU de 2007, ils connaissent des présidents potentiellement tout puissants, sans mécanisme de révocation possible par le conseil d’administration.
Si cette affaire Perdriau pouvait ouvrir les yeux à « nos » décideurs sur les lacunes de la responsabilité politique locale, elle aurait au moins une utilité. Les citoyens de Saint-Etienne auraient alors une maigre consolation à leurs déboires actuels car ils auraient fait progresser la vie publique en permettant la modernisation du droit politique local. On peut toujours rêver… ce que doivent souvent faire les constitutionnalistes français s’ils veulent continuer à s’intéresser aux institutions de ce pays.
[1] « A Saint-Etienne, le maire s’accroche à son fauteuil malgré le scandale », Le Monde du 28 sept.2021
[2] C’est une plainte déposée contre Gaël Perdriau pour « chantage aggravé, guet-apens en bande organisée, détournement de fonds publics et non-dénonciation de faits délictueux ». Elle est à l’étude au parquet de Saint-Étienne. a fait savoir le procureur de la République. « Chantage à la video intime : une plainte déposée contre le maire de Saint-Etienne », Le Progrès de Lyon du 28 août 2022
[3] « L’édile fait des mystères. “ Des éléments de preuve ont été donnés à la justice, qui montre que le dossier est infiniment plus complexe que la version à charge et sans contradiction véhiculée par une certaine presse “ , distille-t-il, se réfugiant derrière le secret de l’instruction pour ne pas en dire plus. » Art. précité du Monde.
[4] On ne dira rien ici du secret de l’instruction qui est une règle ineffective en France, ce dont tout le monde semble s’accommoder, ce qui en dit long d’ailleurs sur l’inculture juridique dans notre pays. Dans notre livre sur le sang contaminé, nous avions évoqué le couple infernal « médias/justice » qui ne peut prospérer qu’en violant le secret d’instruction.
[5] Dans un manuel qui fait autorité, trois lignes sont consacrées dans le § consacré au mandat du maire à cette question : on y apprend que « le conseil municipal n’a pas la possibilité de mettre fin au mandat du maire » et qu’il existe une disposition particulière pour le révoquer (art. CGCT, art L. 2122-16). J.-F.Auby, J.B. Auby, R/ Noguellou, Le droit des collectivités locales, Paris, 6° éd., PUF 2015, p. 156
[6] Voir à ce propos, M. Verpeaux, C. Rimbault, F. Waserman, Les collectivités territoriales et la décentralisation, 12° éd Paris, La Documentation française, 2021, pp. 101 et suiv.
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