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RÉFORMER LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL : INDÉPENDANCE ET SÉRÉNITÉ, PROFESSIONNALISME ET ÉTAT DE DROIT

Metahodos a plusieurs fois déjà traité des réformes indispensables qui doivent selon nous garantir :

L’INDÉPENDANCE, ( vis à vis du Conseil d’Etat et de l’exécutif, particulièrement )

LA SÉRÉNITÉ, ( rester hors du champ politique, devoir absolu de réserve, notamment )

LE PROFESSIONNALISME, ( nomination consensuelle de personnes expérimentées et réputées pour leur indépendance, de magistrats, d’universitaires …)

L’ÉTAT DE DROIT ( éviter en particulier que des injonctions soient édictées en direction du Parlement )

Nous vous proposons l’article ci contre qui propose également certaines pistes de modification.

ARTICLE

REVUE POUVOIRS GUILLAUME DRAGO

Cela pourra sembler irrévérencieux à l’égard d’une institution aujourd’hui très largement acceptée dans le paysage constitutionnel français. Outre le fait qu’un tel sujet prend légitimement sa place dans l’ensemble de contributions consacrées à la Haute Instance, le moment est propice à un tel exercice nécessairement prospectif.


En effet, la réflexion peut être aujourd’hui plus sereine après l’agi- tation des périodes électorales et celle née des controverses sur le statut pénal du président de la République qui avait entraîné le Conseil consti- tutionnel sur le terrain directement politique.


Proposer de réformer un organe constitutionnel qui tient son rang dans le système politique et juridique français, c’est peut-être toucher aux grands équilibres patiemment recherchés. Mais justement, tout équilibre finit toujours par être instable, au gré d’événements extérieurs qui viennent en troubler la sérénité. On peut au moins en identifier deux.


La réforme constitutionnelle est devenue plus que jamais un mode (une mode ?) de gouvernement. La Constitution est génétiquement modifiable et l’organe de contrôle qu’est le Conseil constitutionnel n’y est pas insensible. Toute compétence constitutionnelle augmentée, transformée, conduit à l’exercice du contrôle de constitutionnalité des actes qui en découle. Le rayonnement et l’influence du Conseil consti- tutionnel s’en trouvent augmentés d’autant.

Un deuxième type d’évolution ne peut pas laisser le Conseil consti- tutionnel indifférent : les questions européennes. Sur les deux fronts européens, celui de Strasbourg comme celui de Luxembourg et de Bruxelles, le Conseil constitutionnel n’a pas encore trouvé l’angle
d’attaque qui peut lui donner une position.

Et ces deux fronts pèsent sur le Conseil, autant en terme d’organisation et de procédure qu’en terme de compétence. On va y revenir.
Certes, l’exercice touchant à « l’ingénierie constitutionnelle » est toujours délicat, mais on veut relever le défi en orientant la réflexion prospective dans quatre directions principales : la réforme de l’institu- tion, le statut des personnes qui œuvrent au sein du Conseil, les ques- tions de compétence, la procédure.


L’INSTITUTION


Un premier débat concerne le statut juridique de l’institution. Il s’agi- rait de lui donner un « statut constitutionnel ». La réponse est simple : c’est déjà fait ! Point n’est besoin d’ajouter au texte constitutionnel, serait-ce même pour qualifier juridiquement le Conseil constitutionnel. La Constitution décrit la fonction de contrôle de constitutionnalité et définit l’institution. La fonction crée l’organe et cela lui suffit pour exister. Ajouter une définition serait inutile.


La question est en réalité plus générale et concerne la place du Conseil constitutionnel dans l’équilibre des institutions. On doit seu- lement faire un constat : au fil des révisions constitutionnelles, les ques- tions de droit constitutionnel venant sur le devant de la scène politique et juridique, le rôle du Conseil constitutionnel s’en trouve, presque mécaniquement, renforcé. D’abord, ce que nous appelons le « bris de jurisprudence constitutionnelle », que d’autres appellent « validations constituantes »2, c’est-à-dire l’appel au constituant pour contrer une décision du Conseil constitutionnel (par exemple en 1993, pour la réforme du droit d’asile, ou en 1999 pour l’égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives) met l’insti- tution sur le devant de la scène.

Et toute réforme constitutionnelle estaujourd’hui conduite l’œil rivé sur la jurisprudence du Conseil consti- tutionnel, soit pour la contrer, soit paradoxalement pour s’y conformer. La révision constitutionnelle relative à l’organisation décentralisée de la République en est une bonne illustration. Les principes mis en œuvre sont l’écho ou la reprise de jurisprudences constitutionnelles : ainsi pour l’expérimentation 3, ou pour la notion de collectivité d’outre- mer énoncée au nouvel article 74 de la Constitution4 pour ne citer que deux exemples. Les débats parlementaires illustrent le recours à unevéritable incantation de jurisprudence constitutionnelle.

Ensuite, la mise en œuvre de ces réformes constitutionnelles entraîne son lot de lois organiques et ordinaires qui font l’objet d’un contrôle de constitutionnalité quasi systématique. L’exemple de la révi- sion relative à la décentralisation le montre encore aisément. Celle-ci va redonner une place prépondérante au contrôle de constitutionnalité des actes juridiques issus de cette révision. Qu’il s’agisse des lois orga- niques de mise en œuvre de la révision, des lois d’application et surtout des lois expérimentales dont l’adoption concerne autant l’État que les collectivités territoriales, le Conseil constitutionnel va voir sa fonction
d’arbitre constitutionnel renforcée.
Ainsi, lorsque le droit est mou, flou, qu’il utilise des concepts peu
ou indéterminés, le juge est sollicité pour préciser ce que le droit n’a pas su dire.

Lorsque la Constitution se met à bavarder, le Conseil constitu- tionnel voit son pouvoir d’interprétation d’autant plus sollicité qu’il bénéficie de saisines aisées à mettre en œuvre et de modes de jugement assez libres par le recours aux réserves d’interprétation. L’augmentation de la matière constitutionnelle vient mécaniquement rehausser le rôle du Conseil qui élargit ainsi sa base de référence et renforce sa position institutionnelle.


LES PERSONNES


L’exigence principale qu’on attend d’un juge constitutionnel est son indé- pendance. Le statut des membres du Conseil constitutionnel est sur ce point satisfaisant, pour autant qu’on ne se lance pas dans la polémique ou l’analyse non vérifiable des affinités ou des préférences. Le régimedes incompatibilités, en particulier avec un mandat électif, a été heu- reusement renforcé par la loi organique du 19 janvier 1995, en rendant la fonction totalement incompatible « avec l’exercice de tout mandat élec- toral », ce qui aurait dû être fait depuis longtemps. Il faut s’en réjouir.

De même, il ne faut pas toucher à la durée du mandat des membres du Conseil, qui permet d’assurer une certaine stabilité à la composition de l’institution. Le système du renouvellement triennal impose déjà un rythme de changement suffisant. De plus, cette longue durée de neuf années dépasse celle de tous les mandats électifs, à l’exception du man- dat de sénateur de même durée, ce qui laisse le Conseil constitutionnel en dehors de tout calcul d’échéances électorales.

On peut légitimement poser la question du mode de désignation des membres du Conseil constitutionnel en reprenant les quatre critiques classiques, telles qu’elles ont été rappelées par le doyen Vedel 5. La pre- mière est l’entière liberté des autorités de nomination dans le choix de personnes.

Aucune exigence d’expérience, de compétence juridique, de limite d’âge n’est imposée par les textes. La critique est connue : cette liberté de choix renforce le caractère politique de l’institution, en per- mettant la désignation de proches du président de la République et des présidents des assemblées, plus pour leur fidélité politique que pour les qualités requises en vue de l’exercice des fonctions à venir. Les remèdes proposés sont divers : l’élection par le Parlement, comme cela était pra- tiqué pour le Comité constitutionnel de 1946 ou comme le rêvent cer- tains pour une hypothétique République future (Bastien François, Arnaud Montebourg, Olivier Duhamel) ; la désignation par d’autres autorités : le Conseil d’État, la Cour de cassation, la Cour des comptes, etc. ; enfin la définition d’un « profil » de juriste confirmé.

Il nous semble que la bonne réponse doit prendre en considération la nécessité de conserver à l’institution ce qui a fait son succès : l’équi- libre entre le politique et le juridique. Le mode de nomination doit faire la part juste entre les deux, en ce que les autorités de nomination doi- vent rester libres de nommer des personnalités dans un large spectre pour ne pas nier le caractère incontestablement politique de la nomina- tion qui fait corps avec l’institution.

La seule exigence qui ait un sens est d’indiquer que les personnali- tés nommées doivent avoir exercé des fonctions dans les domaines poli- tiques, juridiques, juridictionnels ou administratifs, laissant entendreque la connaissance de la chose publique est un élément nécessaire pour exercer l’une des fonctions de régulation de la puissance publique et du droit. Il faut ici s’inspirer des exigences demandées pour les juges d’autres cours constitutionnelles 6. On éviterait ainsi de nommer, sur un coup de tête ou de cœur, des personnalités certes reconnues et esti- mables (dans le domaine médiatique, sportif, artistique, «grande conscience »…), brusquement éprises des droits de l’homme. En ce domaine sensible des nominations, qui conduit au fil de celles-ci à modifier les équilibres au sein du Conseil, l’arrivée d’un Candide don- nerait le résultat que donne la feuille balayée par le vent… La raison devra bien l’emporter un jour sur ce point et éviter l’emprise de la démagogie ambiante


Quant à l’élection par les instances parlementaires, formule du Comité constitutionnel de la IVe République, le système n’apporterait rien de plus par rapport au mode actuel de nomination. Le résultat serait de renforcer la politisation de l’institution, ce qu’il faut éviter absolu- ment.

Le Conseil constitutionnel ne peut être un bon défenseur des pré- rogatives parlementaires – ce qu’il est réellement, contrairement aux idées reçues – que s’il existe une certaine distance entre les deux institutions 8


Afin d’assurer cohérence et stabilité à la composition du Conseil constitutionnel, il apparaît aujourd’hui nécessaire de supprimer la dis- position de l’article 56 de la Constitution selon laquelle « en sus des neuf membres…, font de droit partie à vie du Conseil constitutionnel les anciens présidents de la République ».

Cette bizarrerie constitutionnelle, dont on dit qu’elle aurait été introduite au profit du dernier président de la IVe République René Coty, n’a plus lieu d’être aujourd’hui. Elle apporterait, par la modification brutale et incontrôlable des majorités au sein du Conseil, trouble et imprévisibilité absolue. Imagine-t-on sérieu- sement M. Giscard d’Estaing venir siéger pour vérifier la compatibilité avec la Constitution du futur « traité constitutionnel » communautaire dont il aura été l’initiateur lors de la Convention européenne qu’il pré- side actuellement ? Là encore, il faut éviter le mélange des genres.

Un dernier point concerne la nomination du président du Conseil constitutionnel. Certains voudraient qu’il soit élu par ses pairs. L’effet de politisation interne, de clivage, de minorités, agissantes ou pas, serait garanti, ce que soulignait déjà avec force le doyen Vedel9.

La désigna- tion par le président de la République doit être maintenue. Il faudrait seulement préciser qu’il ne doit être désigné que parmi les membres nommés et pour un mandat de neuf ans, ce qui mettrait fin à l’incerti- tude actuelle. En effet, les textes ne permettent pas d’exclure la nomi- nation d’un membre de droit (à vie !), ni d’empêcher toute interpréta- tion, lors des nominations triennales, selon laquelle le président pourrait nommer un nouveau membre président à la place de celui désigné précédemment, comme si tous les trois ans le mandat du prési- dent du Conseil venait à expiration. L’épisode du remplacement de Daniel Mayer par Robert Badinter n’est pas non plus un heureux pré- cédent, dans la méthode employée, même si les textes le permettaient. Il faut donc préciser, tant dans l’article 56 de la Constitution que dans l’article 1er de l’ordonnance du 7 novembre 1958, que le président du Conseil constitutionnel est désigné pour neuf ans parmi les seuls membres nommés.


LES COLLABORATEURS
DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL


Selon une loi classique de la science administrative, toute institution tend naturellement à développer ses compétences, ses moyens, son per- sonnel, son influence. On est presque tenté de dire que le Conseil constitutionnel déroge à cette loi par la modestie de son organisation interne. Sous l’autorité du président du Conseil, le secrétaire général veille à la bonne marche de l’institution ainsi qu’au bon déroulement des procédures en cours. On a déjà eu l’occasion de dire10 que la fonction de secrétaire général est bien plus qu’une fonction administrative et qu’à notre sens elle pratique le mélange des genres, certes pour le bon exer-cice du contrôle de constitutionnalité le plus souvent, mais juger est une chose et administrer en est une autre. On n’y revient pas.

Le nombre restreint de collaborateurs auprès des membres du Conseil constitutionnel facilite sans doute la circulation de l’informa- tion et la simplicité des relations. Mais l’effet de « grande famille 11 » ainsi créé ne doit pas prendre le pas sur les exigences de l’efficacité.

Ainsi, le nombre trop limité de membres du « service juridique » nuit objective- ment, malgré la grande qualité de ses membres, à la recherche d’une information qu’il faut complète dans un temps limité. Mieux vaudrait y associer des assistants de justice et des collaborateurs plus nombreux et plus stables, ainsi que des référendaires attachés directement à chaque membre du Conseil, pratiquant ainsi la vertu de l’échange informel avant celle du délibéré qui doit être réservé aux seuls membres du Conseil constitutionnel.

LES COMPÉTENCES


Élargir les compétences du Conseil constitutionnel ? Question majeure pour l’équilibre général du contrôle de constitutionnalité et la place du Conseil au sein du système constitutionnel. La question est si vaste qu’on ne peut ici qu’évoquer les thèmes majeurs sans prétention à don- ner des solutions tranchées. Deux sujets dominent, à notre sens.


Le premier thème concerne les actes normatifs contrôlés par le Conseil.
Le Conseil constitutionnel est quasiment absent des débats portant sur les relations entre l’ordre juridique français et l’ordre juridique communautaire. Le contrôle de compatibilité des traités à la Constitu- tion actuellement organisé par l’article 54 de la Constitution est un contentieux d’arrière-garde, en ce sens qu’il fait toujours plier la Constitution devant les principes du traité communautaire. Certes, le Conseil a élaboré à cette occasion une jurisprudence de la souveraineté nationale et des transferts de compétences utile (1992, Maastricht ; 1997, Amsterdam), mais pas de véritable contrôle de conformité des traités au regard des exigences de l’ordre constitutionnel français en matière de droits fondamentaux. Il faut le regretter car il aurait pu ainsi contraindre plus tôt l’ordre juridique communautaire à prendre en considération les droits fondamentaux, selon un modèle français dont nous n’avons pas à rougir.


Reste le contrôle préventif de conformité à la Constitution des pro- jets et propositions d’actes communautaires. Une volonté politique vigilante à l’égard des projets communautaires pourrait le mettre en place. Si la contrariété de tels projets à la Constitution était déclarée, le gouvernement français pourrait opposer une « réserve de constitution- nalité» lors du processus de décision communautaire12. Cette procé- dure serait sans conteste plus conforme à la logique du système de contrôle de constitutionnalité des actes, tel qu’il est organisé dans notre pays, sans doute plus efficient au regard du contrôle de conformité à la Constitution, enfin plus respectueux de l’exigence constitutionnelle de respect de la souveraineté nationale.
La seconde extension des compétences du Conseil porte sur l’ouver- ture de la saisine13. La sagesse conduit à rejeter le recours direct des citoyens contre des lois devant le Conseil constitutionnel, comme pou- vant conduire au blocage de l’institution par des recours trop nombreux et souvent infondés 14. Le recours contre des décisions juridictionnelles ne fait pas partie de notre culture juridique et transformerait le Conseil en une Cour suprême, ce qui n’est demandé par personne. Quant au recours contre les décisions administratives, le juge administratif a prouvé depuis longtemps qu’il est le meilleur défenseur des libertés.
La seule exception qui pourrait être admise concerne le contentieux des actes préparatoires à une opération électorale ou de référendum. Après les décisions du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel des années 2000 (Hauchemaille, Larrouturou, Marini…), on pense qu’il faut unifier le contentieux de ces opérations au profit du seul Conseil consti- tutionnel, pour les opérations électorales ou de référendum dont il est actuellement juge a posteriori, en faisant jouer la théorie des blocs de com- pétences, considérant qu’il y a là une logique contentieuse qui conduit à confier au Conseil constitutionnel l’ensemble des contestations d’une opération de votation, du début à la fin. Il faudrait donc abandonner la jurisprudence du Conseil par laquelle il s’est reconnu une compétence « exceptionnelle » dans ces domaines, pour la lui conférer complètement en l’inscrivant dans les articles 58, 59 et 60 de la Constitution.


Sur l’ouverture de la saisine, la question est ailleurs : il s’agit de savoir dans quelle mesure l’argument de constitutionnalité peut être recevable devant un juge administratif ou judiciaire ? Au titre d’argument direct contre une loi, on sait qu’il n’est point admis, mais quel équilibre peut- on trouver entre une question de constitutionnalité soulevée devant un juge du fond et l’intervention du Conseil constitutionnel ? La seule solu- tion praticable nous semble être d’admettre les questions préjudicielles de constitutionnalité, avec un ensemble de précautions.


Le juge du fond doit pouvoir rejeter les questions manifestement mal fondées, comme le fait le juge a quo italien. La disposition de loi contestée doit répondre à deux conditions impératives : ne pas avoir été déjà déclarée conforme par le Conseil constitutionnel lors du contrôle a priori, commander l’issue du litige, la validité de la procédure ou, en matière pénale, le fondement des poursuites, conditions qui avaient déjà été proposées en 1990 lors de la première tentative pour créer un tel système. En revanche, on pense qu’il ne faut pas faire des Hautes Juridictions administratives et judiciaires un filtre jugeant du caractère sérieux de la demande, sous peine de les transformer en juges de consti- tutionnalité de première instance, concurrents du Conseil constitu- tionnel et en définitive appréciateurs de la question de constitutionna- lité et de ce qui doit revenir au Conseil constitutionnel. Ceci ne ferait qu’allonger les délais de traitement du contentieux. Tout juge devrait ainsi pouvoir renvoyer la question de constitutionnalité directement au Conseil constitutionnel, par une décision de sursis à statuer, à la manière des questions préjudicielles du droit communautaire : possibilité pour les juridictions dont les décisions peuvent faire l’objet d’un recours juri- dictionnel, obligation pour les juridictions suprêmes.
Reste la question des textes susceptibles de faire l’objet de questions préjudicielles de constitutionnalité. Il semble difficile de limiter dans le temps les textes auxquels pourrait s’appliquer ce type de question pré- judicielle.

La difficulté est double : éviter un contrôle de constitution- nalité anachronique (le contrôle de l’ordonnance de Villers-Cotterêts au regard de la Constitution de 1958 !) et le principe de sécurité juridique, en évitant de bouleverser des situations juridiques stables. L’application de la théorie des droits acquis devrait pouvoir y répondre, comme la prudence du juge. Faisons-lui confiance.

Enfin, on pourrait prévoir dans ce cas la possibilité pour le Conseil constitutionnel d’en appeler au législateur, en réservant les effets de sa décision pour l’avenir en fonction de la modification du droit décidée par la loi, sur la question constitutionnellement controversée15.
Plus largement, l’équilibre des relations avec les juges administratifs et judiciaires reste à trouver, comme le montre l’épisode contentieux du statut pénal du président de la République avec l’arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 10 octobre 200116. Le Conseil constitutionnel ne possède toujours pas le moyen concret d’imposer ses vues au juge ordinaire, sinon la volonté de collaboration de ce dernier. L’effectivité de la décision de constitutionnalité en souffre, même si les réserves d’interprétation adressées directement au juge ordinaire se veulent impératives.

L’autonomie des ordres de juridiction l’emporte toujours sur l’unité de l’ordre constitutionnel. Faudrait-il alors instituer une sorte de « rescrit constitutionnel » selon lequel le juge ordinaire devrait solliciter le Conseil constitutionnel chaque fois que se pose une question d’interprétation de la Constitution ? On demeure malgré tout hésitant, partagé entre le désir de voir la Constitution bénéficier d’une interprétation cohérente et uniforme, et la prérogative considérable d’interprète unique de la Constitution qui serait ainsi conférée au Conseil constitutionnel


LA PROCÉDURE


Réformer la procédure devant le Conseil constitutionnel ? C’est peut- être le sujet le plus difficile, tant il y a à dire. Que penser de ce que nous appelons « les conventions du contentieux constitutionnel », c’est-à-dire les pratiques contentieuses aujourd’hui presque normalisées, spéciale- ment dans le contentieux normatif ?


Évoquer les questions procédurales touchant au Conseil constitu- tionnel peut conduire à une impasse : celle de la qualification de l’insti- tution. C’est toujours la vieille question : juridiction ou pas ?

Une fois encore, la question est mal posée et même n’a pas de réel intérêt en droit français. Exerçant une fonction constitutionnelle dans l’ordre juridique, le Conseil constitutionnel peut être qualifié ou non de juridiction constitutionnelle, cela n’influe en rien et ne modifie aucunement sa fonction « spécifiquement juridique qui est d’examiner la conformité d’une loi ou d’un règlement parlementaire à la Constitution, c’est-à-dire aux textes de valeur constitutionnelle 18 » et son influence, explicitement et brutalement énoncée par l’article 62, alinéa 2 de la Constitution, selon lequel « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont suscep- tibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités juridictionnelles ».


La question retrouve de l’intérêt lorsqu’on porte le regard au-delà des frontières. Certes, la comparaison avec les autres cours constitu- tionnelles est indispensable pour y puiser ce qui pourrait améliorer le fonctionnement et la procédure devant le Conseil français. Mais les enjeux sont ailleurs : ce sont ceux des relations d’ordre juridique et donc de juridictions avec l’ordre communautaire de Luxembourg et l’ordre européen de Strasbourg. L’exercice auquel on se livre prend le sujet par l’aspect procédural de la question. Ce biais en vaut un autre.


Une évolution vers plus de juridictionnalisation ?

On n’est pas particulièrement favorable à cette évolution, pour plusieurs raisons. D’abord parce que le Conseil constitutionnel n’a pas été créé, voulu, comme devant être une juridiction, au sens le plus classique du terme, c’est-à-dire un organe destiné à trancher des litiges, entre deux préten- tions subjectives contradictoires. « Organe régulateur de l’activité nor- mative des pouvoirs publics20 », sa place dans les institutions de la République est bien plus essentielle qu’une juridiction : c’est un organe constitutionnel participant réellement à la confection de la loi, même si c’est négativement. Et même si cette fonction constitutionnelle ne l’empêche pas d’être en même temps de statut juridictionnel – si on veut le voir ainsi –, ce dernier qualificatif n’ajoute rien à ses prérogatives constitutionnelles.


On peut même dire qu’il faut se méfier de toute tentative d’assimi- lation avec d’autres cours constitutionnelles, par une recherche forcée d’assimilation, comme si on voulait gommer les particularités du Conseil constitutionnel français. Le discours qui tend par exemple aujourd’hui à vouloir absolument aligner le Conseil sur le modèle juri- dictionnel porté par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme peut conduire au résultat inverse de celui recherché, à savoir la défense du contrôle de constitutionnalité comme protecteur des droits fondamentaux. En effet, soumettre en tout le Conseil consti- tutionnel aux exigences procédurales de la Convention européenne des droits de l’homme conduira nécessairement à le soumettre aussi aux exi- gences du droit substantiel de la Convention.

Ceci signifierait à terme que la protection des droits fondamentaux serait entièrement soumise au droit de la Convention européenne des droits de l’homme, sans qu’on ait vraiment pris conscience de la réduction corrélative, et de la perte d’influence des droits fondamentaux tels qu’ils sont exprimés en droit constitutionnel français, ainsi que celle de la fonction de contrôle de constitutionnalité en France, soumise alors aux fluctuations de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. C’est en perte de souveraineté, juridique et juridictionnelle, qu’il faudrait compter cette soumission. Il faut donc y regarder à deux fois avant de plaider l’alignement du Conseil constitutionnel sur le modèle juridictionnel issu de la CEDH et de la Cour de Strasbourg.

Que faire alors ? Le doyen Vedel avait, avec le talent qu’on lui connaissait, défendu les pratiques actuelles en montrant qu’on ne ferait pas mieux en figeant dans un texte la procédure du contentieux norma- tif 21.

L’argument de l’efficacité et de la simplicité est toujours difficile à contredire. Reste celui de la transparence, dont la procédure actuelle n’est pas un modèle du genre. On peut hésiter sur le caractère public de l’audience, quoique ce principe relève des principes de procédure les plus élémentaires. Mais justement, le « procès constitutionnel 22 » ne peut pas être un procès comme les autres. Il ne faut pas que s’y produi- sent des « effets de manche », nécessairement mêlés de politique dans le cas présent. Le débat doit rester celui des principes et des moyens contentieux, de pur droit.

À ce titre, on peut faire deux propositions. D’abord suggérer que les parlementaires saisissants puissent désigner des mandataires pour porter la contradiction, au besoin oralement, devant le Conseil constitutionnel puisque les instances parlementaires ont refusé de venir directement présenter leur argumentation, même devant le seul membre du Conseil constitutionnel rapporteur. Serait ainsi rétablie une égalité des armes entre les parlementaires saisissants et le gouverne- ment qui a, lui, un accès direct au Conseil, oralement et au besoin par des notes supplémentaires qui viennent s’ajouter aux observations en réponse à la saisine.


Manque toujours le point de vue d’un ministère public, d’autant plus nécessaire que les questions de constitutionnalité sont de droit pur, sans mélange de faits, dans ce contentieux de norme à norme qu’est le contentieux constitutionnel des lois. On pourrait donc instituer un « procureur général de la Constitution », près le Conseil constitution- nel, désigné par accord des trois autorités de nomination des membres du Conseil constitutionnel, qui présenterait la question, en toute indé- pendance, du seul point de vue de la Constitution. Certes, il ne pour- rait assister ni participer au délibéré pour éviter les embûches dans les- quelles d’autres représentants du ministère public sont tombés, bien malgré eux 23. Mais on éviterait ainsi la relative incohérence de la défense d’un texte de loi, voté par le Parlement, par une instance gouverne- mentale, le Secrétariat général du gouvernement, qui a parfois bien du mal à justifier, sinon à défendre, un texte issu d’amendements purement parlementaires.


Mais on reste très opposé à l’admission des opinions dissidentes pour les membres du Conseil constitutionnel, contraire à la conception française du délibéré collégial et de la responsabilité commune de la décision juridictionnelle. L’autorité de la décision en serait toujours affaiblie, et conduirait inévitablement à des effets de tactique et de pros- pective en fonction de telle ou telle opinion dissidente. Le caractère objectif et abstrait du contrôle y perdrait également beaucoup


Sur tous ces points, il faut utiliser les possibilités ouvertes par l’ordonnance du 7 novembre 1958, permettant au Conseil constitu- tionnel d’élaborer un règlement intérieur en matière de contrôle de constitutionnalité des lois. C’est un moyen légitime et commode de réa- liser des améliorations procédurales, librement, sans avoir à emprunter ou à se soumettre à d’autres modèles. Le Conseil peut y trouver la pos- sibilité d’innover, d’inventer des modèles procéduraux adaptés aux par- ticularités du contrôle de constitutionnalité des lois.


Ce recours à un simple règlement de procédure sera-t-il suffisant pour garantir un « procès équitable » devant le Conseil constitutionnel ? La question ne se pose pas en ces termes. Il faut d’abord considérer que le Conseil doit pouvoir établir librement son règlement de procédure, en tant qu’organe constitutionnel, sans le voir contesté. La jurispru- dence récente du Conseil d’État permet de justifier ce point de vue 25. Le pouvoir de réglementation des cours constitutionnelles est fondé sur l’autonomie qui leur est donnée par la Constitution 26 et ne saurait don- ner lieu à contestation contentieuse devant un juge ordinaire. Il faut ensuite rappeler que le procès constitutionnel, particulièrement dans le contentieux des normes, n’a pas besoin de rassembler l’intégralité des garanties du procès équitable, parce que l’objet, la cause et les parties à l’instance constitutionnelle ne recueillent pas les éléments d’un procès « classique », d’autant que le contrôle porte sur une norme et s’exerce in abstracto. Le recours à un règlement intérieur est donc possible et sou- haitable. L’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel y invite puisqu’elle prévoit à son article 56 que « le Conseil constitutionnel complétera par son règlement intérieur les règles de procédures édictées par le titre II de la présente ordon- nance », ce qui comprend le contentieux normatif.


La fonction exercée par le Conseil constitutionnel le fait participer au processus législatif, serait-ce négativement. Mais il le fait selon des méthodes qui empruntent aux différents juges leurs modes de raisonnement et de fonctionnement : juge administratif français, cours consti- tutionnelles européennes. Cette fonction n’en fait pas un juge consti- tutionnel comme les autres, parce que le contrôle préventif de consti- tutionnalité le place au cœur de la décision normative. Quant à l’amélioration de l’institution, elle passe par une clarification du statut des membres, déjà bien avancée.

Alors ? Réformes mineures, à la marge ? Les grandes institutions sont comme les grands navires, leur cap ne peut être modifié que lentement, sans brusquer le mouvement. Les vraies réformes sont parfois discrètes.

L’enjeu principal porte sur l’extension des compétences, compte tenu des perspectives communautaires et européennes. Il doit redeve- nir un juge qui précède la décision normative, qui l’accompagne, y compris au plan européen, car il y va de la défense du modèle juridique français, inscrit dans nos textes fondamentaux. Et ce modèle porte aussi bien sur la conception du procès constitutionnel que sur les questions de fond. Sinon, à quoi peut servir la construction d’un modèle de droits fondamentaux qu’on a voulu universel si c’est pour le limiter à l’Hexagone ? Il y a là une question de conviction que doit porter, sans complexe, le Conseil constitutionnel français.


RÉSUMÉ


À l’heure de la réforme constitutionnelle, le Conseil constitutionnel serait- il le seul à ne pouvoir être réformé ? L’institution doit trouver un nouvel équilibre dans la désignation de ses membres, une plus grande transparence dans son fonctionnement et sa procédure, en clarifiant ses relations avec les juges administratifs et judiciaires. Mais l’enjeu principal demeure l’évolution des compétences, au regard de l’influence majeure du droit communautaire et du droit européen.

2 réponses »

  1. Bien sûr, mais chaque appareil institutionnel est un outil au service du pouvoir. Pour ce changement, il faudra peut être les prochains soulèvements qui risquent bien d’être très violents. Et, à touts ceux qui n’y croient pas, comme le disait Louise Michel à propos de la commune de Paris « Cinq minutes avant cela paraissait improbable. Cinq minutes après c’était complètement évident ! »Bien amicalementJean-Marc

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