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Un vocabulaire guerrier systématisé ? Et signe de faiblesse ?

ARTICLE

« Quand on parle de politique, le vocabulaire guerrier semble être devenu majoritaire »

Par Jérémie Peltier. le 11/01/2023 MARIANNE

Jérémie Peltier, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès et chroniqueur pour « Marianne », constate que les mots en rapport avec la guerre sont omniprésents dans le débat public.

Vous vous souvenez sans aucun doute de cette anaphore de notre chef prononcée au tout début du bazar lié au coronavirus il y a trois ans de cela, « Nous sommes en guerre », afin d’obtenir un effet de renforcement sur le fait que nous y étions vraiment – en guerre – quand bien même nous étions d’abord et avant tout en claquettes-chaussettes dans nos canapés et que nous allions pour bon nombre d’entre nous y rester.

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Ce qui est intéressant, c’est qu’il semble que cette anaphore a ruisselé depuis sur notre sol, arrosant l’intégralité du champ lexical utilisé dans le débat public pour parler de tout et son contraire, et pas seulement de la guerre en Ukraine.

VOCABULAIRE MAJORITAIRE

Tout d’abord, on pioche dans les mots de la guerre pour évoquer la situation économique du pays. Pour analyser l’inflation par exemple, c’est le terme d’« explosion » (quand une chose éclate violemment en projetant des fragments en se brisant) qui est régulièrement utilisé : on parle d’« explosion des prix », d’« explosion de la demande », d’« explosion des tarifs », donnant de fait le sentiment d’être dans une sorte de Verdun plein de trous dans lesquels les obus ne cessent de tomber.

« Le terme préféré du politique, « réforme », fait aussi écho aux mitraillettes et treillis que certains individus cherchaient à fuir. »

Pour lutter contre cette inflation ensuite, et donc se protéger face à ces torpilles et ces roquettes incessantes, c’est un vieux mot qui est désormais utilisé par les pouvoirs publics, puisant dans les guerres d’antan que même les moins de cent ans ne peuvent pas connaître : « bouclier », une arme défensive pour parer les coups, épaisse et lourde, que les chevaliers portaient autrefois au bras gauche et qui très souvent était décorée par des blasons. On parle alors de « bouclier tarifaire », de « bouclier énergétique », donnant un goût de Jeanne d’Arc et de Kaamelott à notre société numérique.

Quand on parle de politique, le vocabulaire guerrier semble d’ailleurs être devenu majoritaire. Le gouvernement doit souvent mener la « contre-attaque » (riposte offensive à une attaque) en soignant sa dernière « cartouche » qu’est le 49-3, un ministre est un « bon soldat » et un porte-parole du gouvernement devient un « sniper ». On aime vous rappeler que ce qui se joue sous nos yeux, c’est la fameuse « bataille » de l’opinion. En outre, le terme préféré du politique, « réforme », fait aussi écho aux mitraillettes et treillis que certains individus cherchaient à fuir lorsque le service militaire existait encore (les fameux « réformés » car inaptes au service en raison d’une santé défaillante, d’infirmités ou de blessures).

LA GUERRE DES RETRAITES

Qui plus est, en parlant de réforme, la retraite est peut-être le sujet du monde ayant le plus recours au vocabulaire guerrier. Le terme lui-même, « battre en retraite », peut d’ailleurs être utilisé par les soldats lorsqu’une armée doit s’éloigner d’un ennemi et abandonner sa position après un combat ayant tourné à son désavantage – toute référence avec la retraite du monde du travail n’est que pure hasard. Pour parler de la retraite, vous entendrez aussi dans les prochains jours que cette réforme est la mère de toutes les « batailles », que le terrain est « miné » par les oppositions qui vont de leur côté « mener l’assaut ».

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Que conclure de tout cela, au moment où vous lisez que gouvernement et syndicats sont dans une « guerre de positions » ? D’abord, on peut se demander si la première des batailles ne serait pas un jour d’utiliser des termes qui correspondent davantage à un imaginaire plus proche des générations qui ne connaissent pas la guerre. Ensuite, si les mots de la guerre sont massivement utilisés, notamment sur les retraites, c’est peut-être aussi qu’une partie non négligeable de salariés se sent attaquée dans sa chair au quotidien. Enfin, peut-être que ce champ lexical permet également de nous donner utilement le sentiment qu’il se passe quelque chose alors qu’il ne se passe rien. Les prochains jours seront de ce point de vue intéressants pour voir s’il y a d’abord des déserteurs ou des fantassins ayant répondu à l’appel à la « mobilisation générale » – le dernier pour la route.

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