
COMMENT LE « LIVRE DE POCHE » RACONTE SON HISTOIRE
« C’est en février 1953 que paraissent les premiers « Livre de Poche », Koenigsmark de Pierre Benoit (le n°1), L’Ingénue libertine de Colette, Les Clefs du royaume d’A.J. Cronin, Pour qui sonne le glas d’Hemingway…
Ils valent alors deux francs, soit à peine plus que le prix d’un quotidien, un peu moins que celui d’un magazine. Les débuts de cette nouvelle collection – qui deviendra une nouvelle manière de lire, démocratique et décontractée – sont modestes, et l’accueil du public, réticent : ne « braderait »-on pas la littérature ?
Henri Filipacchi, lui, ne doute pas de son bel avenir. Alors, secrétaire général de la Librairie Hachette, il possède une exceptionnelle connaissance du livre et de ses métiers. Par le passé, il a joué un rôle décisif notamment dans le lancement de collections aussi diverses que la « Bibliothèque de la Pléiade » ou la « Série noire ». Assisté d’une équipe restreinte, Henri Filipacchi se lance résolument dans l’aventure du Livre de Poche, dont la société éditrice, la Librairie Générale Française, est installée au 15, boulevard de la Madeleine, dans les lieux mêmes qu’avait habités Marie Duplessis, alias Marguerite Gautier, la « Dame aux camélias ». Réaliste et visionnaire, convaincant et chaleureux, il associe à son projet ses amis éditeurs d’Albin Michel, de Calmann-Lévy, de Grasset et de Gallimard. Détenteurs des plus grands fonds éditoriaux français, ils seront ainsi les « pères fondateurs » du Livre de Poche.
L’originalité d’Henri Filipacchi fut surtout de mettre au service des grands textes littéraires, classiques et modernes, les techniques d’impression et de diffusion qui, jusque-là, étaient plutôt l’apanage du roman populaire, voire de la « littérature de colportage », et d’avoir pressenti, puis accéléré considérablement la démocratisation de la lecture en mettant à la disposition d’un large public non simplement des romans d’évasion déjà portés par leur succès mais des œuvres parfois réputées difficiles.
Le pari d’Henri Filipacchi était donc plus qualitatif que quantitatif. On mesure aujourd’hui la justesse de son intuition, et son audace.
La diversité…
Qui aurait parié, en effet, au début des années 1950, qu’Un amour de Swann trouverait rapidement 500 000 lecteurs et que les Mémoires du cardinal de Retz, avec 60 000 exemplaires vendus entre 1958 et 1959, connaîtraient l’engouement d’un best-seller d’actualité ? Le Livre de Poche s’attachera toujours à donner l’image d’une collection sans exclusive, ouverte à tous les publics et à toutes les facettes de la création littéraire : Mary Higgins Clark y voisine avec Schopenhauer, Montaigne avec Philippe Claudel, Françoise Sagan avec Descartes.
Peu à peu, plus qu’aucune autre collection, Le Livre de Poche allait ainsi devenir le compagnon idéal de tous les instants, qu’il s’agisse de romans, de policiers, de manuels de cuisine ou de bricolage, de documents d’actualité, de recueils humoristiques ou de recueils de poésie. Sa diversification se fait jour dès les années 1950 et ne s’est jamais démentie. D’abord consacré uniquement à la réédition, Le Livre de Poche en vint, quelques décennies plus tard, à la publication d’ouvrages encyclopédiques originaux – dans le domaine des sciences, des arts ou de la philosophie – à côté du fonds littéraire qui en demeure le noyau central. Ainsi, très rapidement, le catalogue du Livre de Poche s’élargit avec la création de nombreuses séries spécialisées.
Évolution…
Durant les premières années de son existence, les ventes du Livre de Poche laissent planer une incertitude sur son avenir. Inquiétude de courte durée : dès la fin des années 1950, la collection est plébiscitée par une nouvelle génération de lecteurs. Un phénomène spontané, qui ne doit rien à la publicité.
La croissance s’accélère au cours des années 1960 : de 8 millions d’exemplaires en 1957-1958, les ventes passent à 28 millions d’exemplaires en 1969.
Simple succès commercial ? Révolution culturelle plutôt, qui a partie liée avec l’onde de choc du « baby boom ». Car Le Livre de Poche vient à point nommé pour accompagner l’essor de la scolarisation et stimuler la démocratisation de la lecture – sa « désacralisation » également.
Mais faut-il le déplorer ? Avec le recul du temps, on peut y voir l’un des acquis les moins contestables, les plus féconds des « Trente Glorieuses ».
Moins d’une décennie après sa création, Le Livre de Poche compte fortement dans la vie quotidienne des Français. Les pouvoirs publics le tiennent d’ailleurs pour aussi nécessaire que la baguette de pain ou le ticket de métro: il devient l’une des composantes de l’indice des prix, fondé sur la liste des « 259 articles » relevant de la « consommation de base » de tout un chacun… Honneur ambigu, qui lui vaudra d’être particulièrement exposé au blocage des prix.
Aujourd’hui…
Avec plus d’un milliard d’exemplaires vendus depuis sa création en 1953, Le Livre de Poche est aujourd’hui le premier éditeur de format poche en France.
Fidèle à sa vocation, cette maison, qui accueille aussi des éditeurs tiers, dispose d’un catalogue qui s’adresse à tous les publics et couvre un large spectre littéraire, des grands classiques (J.R.R. Tolkien, Boris Vian, Stefan Zweig, Harper Lee…) aux best-sellers contemporains français et étrangers (Delphine de Vigan, Grégoire Delacourt, Virginie Despentes, Pierre Lemaitre, Michael Connelly, Anthony Doerr, Dan Brown, Victoria Hislop, Ken Follett, Anna Todd… et bien d’autres), des livres pratiques aux essais et ouvrages de référence (Dale Carnegie, Frédéric Saldmann, Frédéric Lenoir ou Beate et Serge Klarsfeld, etc.). Le Livre de Poche édite également des textes inédits d’auteurs de son catalogue et compte désormais une vingtaine d’auteurs français et étrangers publiés directement sous le label Préludes. Plus de 650 titres de son catalogue sont actuellement disponibles en version numérique.
Toujours soucieux de proximité avec ses lecteurs, si divers soient-ils, Le Livre de Poche leur donne la parole à travers le Prix des Lecteurs dont ils peuvent devenir jurés.(www.prixdeslecteurs-livredepoche.fr).
Ainsi, en accompagnant la vie des lettres et des idées dans leur incessante évolution, Le Livre de Poche s’inscrit dans une perspective de renouvellement permanent. Attentif aux grandes tendances qui animent la société, il contribue à latransmission de multiples savoirs ainsi qu’à la préservation de notre patrimoine culturel. Et à la pérennité de la lecture, qu’elle ait pour but le loisir, la formation ou la découverte. »
ÉMISSION
Le Livre de Poche, histoire d’une révolution dans l’édition
Jeudi 9 février 2023 FRANCE CULTURE
En 1953, Henri Filipacchi se lance dans l’aventure du Livre de Poche. Pour la France, c’est une nouveauté. Le succès est immédiat. Peut-on parler d’un bouleversement dans le monde de l’édition ? Probablement. Des acteurs de ce projet nous en racontent la genèse et le succès jusqu’à la banalisation.
Avec
- Marc Kravetz grand reporter, il a préfacé Mes Saisons en Enfer.
Évoquer la collection du Livre de Poche, c’est comme faire surgir un trésor de la mémoire, pour la plupart d’entre nous le Livre de Poche correspond à nos premières lectures. Depuis sa création en France en 1953, on n’imagine plus s’en passer.
Henri Filipacchi lance Le Livre de Poche en 1953
C’est Henri Filipacchi, cocréateur des Éditions de la Pléiade, qui se lance dans l’aventure du Livre de Poche en 1953, alors qu’aux Etats-Unis, Pocket Book existe depuis 1939. Ayant compris l’évolution quantitative et qualitative du marché du livre et fort d’une grande expérience dans les métiers du livre, Filipacchi était décidé à créer cette collection populaire, de littérature classique et moderne.
Auparavant, il avait fait parcourir la France par ses collaborateurs pour sonder les libraires en ayant l’intuition que cette (r)évolution du marché de l’édition était nécessaire et répondait à l’air du temps. Les Anglo-saxons avaient devancé le mouvement avec un système de double édition : une première édition avec couverture dure puis, selon le succès, une réédition plus économique avec couverture souple.
Défenseurs et adversaires du Livre de Poche
C’est le poète et écrivain Jacques Prévert, grand partisan du Livre de Poche, qui faisait la comparaison avec la sortie des films d’abord en exclusivité aux Champs-Elysées puis dans les cinémas de quartier, où les gens attendaient leur sortie, mais parfois les films n’y passaient jamais… tandis que Le Livre de Poche, lui, « il passe dans leur quartier et ça c’est merveilleux ».
Mais Le Livre de Poche a aussi eu ses contempteurs car en démocratisant la lecture, il banalisait la chose littéraire. A partir des années 60, les collections imitant Le Livre de Poche se sont multipliées et aujourd’hui rares sont les éditeurs qui s’y refusent.
Une attention particulière aux couvertures
C’est également Henri Filipacchi qui a eu l’idée d’illustrer les couvertures du Livre de Poche, parfois par de grands noms de l’illustration et aussi plus souvent par des dessins proches des affiches de cinéma des années 1950. Encore maintenant, la couverture des collections en format de poche a son importance, il faut que la couverture parle et transmette un message clair du livre.
VOIR L’ÉMISSION
À réécouter : L’impact du livre de poche sur la culture, un débat en 1965
À réécouter : Séisme dans l’édition : la naissance du Livre de Poche
- Par Jean-Marc Turine
- Lieux de mémoire – Le livre de poche (1ère diffusion : 23/07/1998)
- Réalisation Guy Peyramaure
- Avec Marc Kravetz (journaliste) ; Claude Romagny (ancien directeur artistique du Livre de Poche) ; Dominique Goust (directeur général du Livre de Poche) ; Jacques Maillot (directeur artistique chez Gallimard) ; Sylvie Delassus (coresponsable des Editions Les Mille et une nuits)
- Edition web : Documentation de Radio France