
« Adoption de la réforme des retraites : « C’est un gouvernement en sursis » »
TITRE RADIO FRANCE QUI POURSUIT :
Anne Rosencher, directrice déléguée de la rédaction de L’Express,
Thomas Legrand, producteur à France Inter et chroniqueur à Libération,
et Jérôme Jaffré, politologue et chercheur associé au Cevipof, reviennent sur l’adoption, via le 49.3, de la réforme des retraites.
L’Assemblée nationale a adopté de justesse la réforme des retraites lundi. La motion de censure transpartisane du groupe LIOT a été rejetée à 9 voix près. Cette dernière a ainsi réuni 278 votes. Il en fallait 287 pour faire tomber le gouvernement. 19 députés Les Républicains ont voté pour le texte. C’est un camouflet pour la majorité.
Anne Rosencher, directrice déléguée de la rédaction de L’Express
La photo à l’instant T est très difficile à prendre. Il est devenu dans l’économie médiatique très difficile de penser, de prendre du recul. C’est quand même une mauvaise nouvelle pour l’exécutif. Il va être difficile de gouverner avec ce niveau d’opposition parlementaire qui s’ajoute à un impopularité de la rue. On a quand même cette impression d’un grand gâchis d’énergie politique. Tout ça pour ça.
Lors de son intervention à la télévision mercredi, j’espère qu’il ne va pas nourrir le récit, que l’on sent poindre aujourd’hui, du président martyr de l’irrationnalité française et des gaulois réfractaires, je ne trouve pas cela rationnel. Il ne doit pas perdre de vue que ce récit là de dénigrer le pays, de ne pas avoir confiance, est au cœur du déclassement français et d’un problème français.
Jérôme Jaffré, politologue et chercheur associé au Cevipof
La crise est multiforme. C’est un gouvernement en sursis, tôt ou tard il tomberait avec d’autres motions de censure. C’est une Assemblée Nationale en sursis. Tôt ou tard au moment qu’il pourra choisir, le Président dissoudra probablement pour essayer de trouver une autre Assemblée nationale, mais surtout pas maintenant car ses députés iraient au massacre. Pas de capacité à faire voter des textes importants pour trouver une majorité à l’Assemblée nationale dans les mois à venir, pas de majorité alternative. Cette motion de censure réunit les extrêmes ensemble. La réforme est adoptée mais elle n’est pas légitimée. Elle n’est pas légitimée pour les Français et c’est source de problèmes, de rancœurs. La crise politique est loin d’être terminée.
Le fait qu’Emmanuel Macron ait choisi le format du journal de 13h pour son allocution mercredi est curieux. Ce choix nous renvoie davantage à l’idée d’explication et pas à l’idée de solennité ou de remise en cause. Il y a deux hypothèses : un Macron qui s’arc-boute sur ce qu’il a fait ou un Macron qui dit « je vous ai compris ». J’aimerais que le Président dise avoir compris qu’il y a une certaine usure, un vieillissement de nos procédures constitutionnelles, de nos procédures démocratiques, un problème d’articulation entre les pouvoirs et les légitimités, un problème de représentation, un problème d’usage du 49.3. Mais le 13h ne me semble pas être le format parfaitement adapté.
Thomas Legrand, producteur à France Inter et chroniqueur à Libération
Il y a trois légitimités qui s’opposent en France : la légitimité du Président de la République élu directement par les Français, la légitimité législative et la légitimité de la rue. Tous nos acquis sociaux en France ont été obtenus par la rue. La république et la démocratie ont été obtenus par la rue en 1848 ou même en 1945 et en 1936. Ces trois légitimités sont aujourd’hui en opposition, en confrontation : qu’est ce qui va sortir de tout ça ? Je ne vois pas comment le Président peut donner de solution satisfaisante.
Dans l’esprit de tout le monde, la macronie, c’est fini. Chacun va attendre l’évènement institutionnel de rupture, qui peut être la dissolution. Ce qui est très étonnant c’est qu’on est dans la caricature de la Ve république. La question du président monarchique est ici exacerbée. Tout repose sur un homme.
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ARTICLE
Derrière la motion de censure, une nécessaire réflexion sur les institutions
Frédéric Says — Édité par Diane Francès — 20 mars 2023 – SLATE
Le gouvernement est sauf (pour l’instant), mais l’impasse demeure.
Qui se souvient encore du slogan d’Emmanuel Macron en 2022? «Avec vous». C’était il y a moins d’un an. Depuis, un par un, les événements sont venus démentir cette promesse. Jusqu’à la motion de censure transpartisane, qui a failli, à quelques voix près, congédier le gouvernement. Pour la première fois depuis 1962.
«Avec vous», oui, mais avec qui? Assurément, pas «avec» les syndicats, dont l’unanimité contre la réforme des retraitesest restée intacte. Pas non plus «avec» la droite, qui n’a pas su soutenir d’un bloc la mesure dont elle rêvait pourtant depuis des lustres. Pas non plus «avec» les Français, massivement et constamment opposés au projet gouvernemental, selon les enquêtes d’opinion.
En ce printemps 2023, les promesses d’une «nouvelle méthode» macronienne, plus horizontale, plus à l’écoute, semblent déjà appartenir aux archives de l’INA.
Mais en politique, si les paroles s’envolent, les institutions restent. Or, la crise actuelle fragilise aussi ces dernières.
Le pire de la IVe et de la Ve
En quelques semaines, nous avons vu un exécutif nerveux utiliser une procédure parlementaire expresse, puis dégainer le vote bloqué au Sénat, avant de déclencher l’article 49.3. Bref, le pire de la VeRépublique.
Mais en quelques semaines, nous avons aussi assisté à de pitoyables esclandres parlementaires, des marchandages, des combinazione entre partis pour faire tomber le gouvernement. Bref, le pire de la IVeRépublique.
En un mot, la période a offert les défauts du présidentialisme à outrance et les défauts du parlementarisme dévoyé. Qui, parmi nos responsables politiques, peut aujourd’hui s’en déclarer vainqueur? Personne. La plupart des analystes estiment que l’impasse dans laquelle nous nous trouvons profitera d’abord au Rassemblement national.
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Pourtant, si les Français réclament plus de social et moins de verticalité à la sauce VeRépublique, cela devrait ouvrir un boulevard à La France insoumise. LFI promet le retour de la retraite à 60 ans et promeut une VIe République parlementaire. Or, si l’on voit l’impasse de Macron, on peine à distinguer le boulevard de Mélenchon.
À moins que l’agressivité manifestée dans l’hémicycle par de nombreux députés LFI aient pour effet de crédibiliser, par contraste, le RN? Si tel est le cas, les partisans de Jean-Luc Mélenchonn’échapperont pas à une remise en question.
Les proches d’Emmanuel Macron non plus. Certes, au commencement de la crise actuelle, il y a une audace. Soulignons-le: sous la République actuelle, jamais une réforme des retraites n’avait été menée avec une majorité relative.
Balladur, Fillon, Ayrault… Tous disposaient de la majorité absolue, ce qui rend l’exercice beaucoup moins périlleux –même si les cortèges n’en sont pas moins fournis.
En ignorant la prudence élémentaire, Emmanuel Macron a bloqué son deuxième quinquennat. Sous le regard interloqué de la presse étrangère: «Si la démocratie française était dans un état plus sain, la réforme des retraites aurait déjà été abandonnée», note un éditorialiste du quotidien britannique The Guardian.
Quelles solutions pour en sortir?
Jusqu’ici, le président a négligé une bonne partie des cartes que la Constitution lui place dans les mains: dissolution, référendum… Il a préféré sortir de sa manche des «jokers» de sa conception: «grand débat national», «convention citoyenne». Une série d’artifices qui a apaisé les tensions, et même permis quelques menues avancées sur le fond. Mais qui a surtout remis à plus tard la «grande explication». La voici sous nos yeux?
Soulignons cette aberration, à laquelle nos rétines sont en train de s’habituer: ces jours-ci, l’Assemblée nationale vote sous protection policière. La mairie du IVearrondissement à Lyon a été vandalisée, les sous-préfectures de Sarlat (Dordogne) et Die (Drôme) ont été visées par des incendies. Des députés sont menacés, des permanences prises pour cibles. Aujourd’hui celle de Les Républicains, hier celles d’autres partis, demain celles de quiconque exprimera une position jugée insupportable par les adeptes de la menace par pavé interposé. Ajoutons à cela les brutalités policières, les nasses, qui assomment ces dernières heures les cortèges non déclarés.
La dernière enquête du Cevipof ne dépeint pas autre chose: 72% des Français n’ont pas confiance dans le gouvernement. 69% n’ont pas confiance dans l’Assemblée nationale. 68% n’ont pas confiance dans l’institution présidentielle. 65% n’ont pas confiance dans le Sénat. Tous ces chiffres sont en forte hausse depuis un an.
Dès lors, le débat sur les institutions ne pourra plus être évité en 2027. Il va même s’engager une première fois ces prochains mois, puisqu’Emmanuel Macron veut les réformer. Mais au vu du contexte actuel, l’espoir d’atteindre un consensus est aussi réaliste que d’attendre un mea culpa chez Donald Trump.
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Attention, néanmoins, aux fausses évidences et à la méthode Coué. Une VIeRépublique, avec le pouvoir à l’Assemblée nationale, serait-ce la solution miracle?
Aujourd’hui, si un tel régime existait, quel serait le résultat? Avec la tripartition de l’offre politique (macronistes / Nupes / RN), aucune majorité ne se dégagerait pour gouverner.
Au vu du rapport de force, l’attelage le plus probable pourrait être une coalition centre-droite-extrême droite. Un scénario qui semble d’abord relever de la science-fiction… mais qui n’a rien d’imaginaire. Il est même à l’œuvre actuellement dans plusieurs pays européens. En Italie, la presse parle d’ailleurs d’un gouvernement «centro-destra» (centre-droit), avec à sa tête Giorgia Meloni, qui fut admiratrice de Mussolini. Et en Suède, où le gouvernement conservateur-libéral est soutenu par le parti nationaliste Les Démocrates de Suède.
Une réalité à ne pas occulter avant de commencer à rédiger l’épitaphe de la VeRépublique.