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LA DÉMOCRATIE, « EN CRISE DANS TOUTES SES DIMENSIONS » POINT DE VUE

TRIBUNE

La démocratie en France est en crise dans toutes ses dimensions

Aurélie Trouvé, députée LFI-NUPES et économiste, et Stefano Palombarini, économiste 03/03/2023 JDD

La députée LFI-Nupes Aurélie Trouvé et l’économiste Stefano Palombarini s’inquiètent de l’état de la démocratie française, comme révélée par les oppositions politiques et syndicales à la réforme des retraites voulues par le gouvernement.

Voici leur tribune. « Au cœur de l’affrontement sur l’avenir du système de retraites, il nous paraît nécessaire de prendre un peu de recul pour saisir des enseignements d’ordre plus général sur l’état de la démocratie en France.

Constatons d’abord que oe sondage) qu’elle sera tout de même votée et appliquée. Il ne s’agit pas de l’expression d’une résignation passive : au contraire, l’ampleur du mouvement social d’opposition à la réforme est historique. La population considère simplement dans sa grande majorité que ses attentes ne seront pas prises en compte dans les décisions du Parlement. On ne peut imaginer signal plus clair d’une crise profonde de la démocratie représentative, qui a au moins trois types de causes différentes.

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La première, qui n’est pas spécifique à la France, est strictement connectée à la conception néolibérale de l’État qui s’est enracinée au cours des quarante dernières années, et du rôle du gouvernement qui en découle, consacré à la diffusion de la logique marchande et au soutien de la compétitivité de (grandes) entreprises. La deuxième est en rapport avec les institutions de la Vème république, et avec la concentration des pouvoirs dans la personne du Président de la République qu’elles impliquent. La troisième, davantage conjoncturelle mais fondamentale, est liée à la présence d’un gouvernement minoritaire qui, au lieu d’essayer de construire des alliances, tente systématiquement de passer en force.

Pendant les cinq premières années de présidence d’Emmanuel Macron, l’Assemblée nationale, avec une écrasante majorité pour le gouvernement, n’a fait qu’entériner ses décisions. Le début du second quinquennat est marqué par un retour de la conflictualité dans l’hémicycle, conflictualité sitôt dénoncée et caricaturée par l’exécutif, et étouffée autant que possible par des procédures d’examen des lois qui corsètent les débats et minent le pouvoir législatif des parlementaires.

 Si la démocratie représentative se porte mal, la démocratie sociale ne va pas mieux. 

Ainsi le choix du « 47-1 » empêchait dans tous les cas d’examiner à l’Assemblée, en neuf jours, les vingt articles du projet de loi sur les retraites, d’autant plus qu’il laissait la possibilité au gouvernement d’imposer à tout moment ses choix par un « 49-3 ». La polémique sur la possibilité de discuter de l’article 7 a occulté ce profond déni de la démocratie parlementaire.

Si la démocratie représentative se porte mal, la démocratie sociale ne va pas mieux. On peut se réjouir, et nous le faisons, de l’unité syndicale retrouvée, mais il faut garder à l’esprit que celle-ci est d’abord le produit du refus du pouvoir de toute forme de concertation avec les organisations des travailleurs. Ce qui a poussé le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, peu adepte de l’opposition frontale à l’exécutif, à appeler à mettre la France à l’arrêt le prochain 7 mars.

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Plus que sceptiques sur les mécanismes de la représentation politique, les Français constatent ainsi que leurs représentants syndicaux ne sont pas non plus écoutés. Mais il y a un troisième enseignement qu’il faut tirer de l’opposition sociale massive engendrée par le décalage de deux ans de l’âge légal de départ à la retraite. La forte résistance à la proposition du gouvernement doit être mise en relation avec des conditions de travail qui se sont considérablement dégradées : non seulement le nombre d’accidents au travail en France est en hausse depuis dix ans, mais l’Assurance-maladie enregistre un nombre grandissant de maladies professionnelles, physiques et psychiques.

Les catégories populaires sont évidemment les premières concernées par la dégradation du rapport salarial, mais elles ne sont pas les seules. De nombreuses études signalent qu’au cours des trente dernières années, les modifications des formes contractuelles, les changements technologiques et la diffusion des techniques de management néolibéral ont sensiblement réduit l’autonomie des salariés français, et notamment des plus qualifiés : la financiarisation des entreprises implique une pression plus forte sur les résultats de court terme, le numérique permet d’accroître le contrôle hiérarchique sur l’activité, l’individualisation des statuts et des rémunérations engendre une plus grande inquiétude des salariés sur leurs perspectives de vie.

 Au-delà de désaccords tactiques ou temporaires, cette unité de la gauche et des syndicats contre un pilier de la politique néolibérale offre la perspective d’une alternative plus globale. 

Il ne faut ainsi pas s’étonner si selon le sondage IFOP, l’opposition au report de l’âge de la retraite n’est pas seulement le fait de 80 % des ouvriers et des employés, mais aussi de 72 % des cadres et des professions supérieures.

Au-delà de son contenu spécifique, l’affrontement sur les retraites signale donc que la démocratie en France est en crise dans toutes ses dimensions : la démocratie représentative, la démocratie sociale, la démocratie d’entreprise sont profondément abîmées. Par conséquent, la confiance dans les mécanismes démocratiques s’abîme aussi. Le Rassemblement national a tout à fait le droit de considérer qu’une telle situation est, de son point de vue, réjouissante, car lorsqu’on ne croit plus à la démocratie, les solutions brutalement autoritaires finissent par apparaître les seules raisonnables : le pouvoir actuel prétend vouloir éviter un tournant d’extrême-droite, mais son action contribue à en préparer les conditions.

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Dans ce contexte, le rôle de la gauche est non seulement de tout faire pour combattre le projet de réforme porté par le gouvernement, mais aussi de redonner du souffle à la démocratie dans toutes ses dimensions. Ce souffle ne peut venir que d’une rupture avec le néolibéralisme. La Nupes s’est justement formée sur un tel programme, avec une alliance des principales forces de gauche qui se propose comme une alternative concrète de gouvernement. Elle rencontre une forte aspiration au changement, qui s’exprime dans le mouvement social contre la réforme des retraites et dans l’unité syndicale. Au-delà de désaccords tactiques ou temporaires, cette unité de la gauche et des syndicats contre un pilier de la politique néolibérale offre la perspective d’une alternative plus globale. »

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