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« Leçons de l’arbre et du vent » : le devenir-arbre de Jacques Réda
Une lumineuse méditation poétique de l’écrivain nonagénaire, où prédomine l’alexandrin.
Par Monique Petillon (Collaboratrice du « Monde des livres »)
A l’âge du collège, il imitait tous les poètes qu’il découvrait et admirait : Ronsard, ou le Rimbaud du Bateau ivre. Aujourd’hui âgé de 94 ans, « vieux poète contemporain fidèle à ses aïeux », composant encore « en élève de La Fontaine et de Victor Hugo », Jacques Réda nous offre un lumineux recueil, Leçons de l’arbre et du vent. Une méditation poétique en soixante-deux séquences, dont la table des incipit, où prédomine l’alexandrin, permet de mesurer la portée : « L’éternité demande un long apprentissage. »Lire aussi cette rencontre (2017) : Article réservé à nos abonnés Jacques Réda, l’écrivain qui vibre au son du jazz
Des magnifiques proses des Ruines de Paris (Gallimard, 1977) à la poésie de « l’étrange univers du vivant », dans Rythme, chaos, mythologies, cinquième tome de La Physique amusante (Gallimard, 2018), Jacques Réda a arpenté d’innombrables chemins : une « dromomanie » destinée peut-être à trouver l’endroit où enfin s’« enraciner ». Jusqu’à ce que, confiné en raison de la récente épidémie, ce voyageur ait dû limiter ses flâneries à son territoire le plus proche.
A Paris, aux Buttes-Chaumont ou bien « dans le parc funéraire où le père Lachaise (…) sermonne les défunts privés de paradis » − jardins temporairement désertés en raison du confinement −, la nature a repris ses droits. Un renardeau y est né. Le poète redécouvre « l’Arbre », le sacralise, s’identifie à lui (« Mon feuillage, ce sont les vers que j’ai signés »). Il recense tous les oiseaux que, s’il devenait arbre, il souhaiterait héberger sur ses branches ou ses creux, et notamment « le merle, improvisateur de génie ».
Le ton est parfois familier et amusé, parfois mélancolique et fervent. Car il s’agit bien de « leçons » presque métaphysiques, et de tentations contradictoires, entre chaos et harmonie.
Autant d’autoportraits
« De la sérénité j’ai fait l’Arbre un emblème/ Comme du vent celui de la mobilité. » L’essentiel, pour ce poète, qui est aussi chroniqueur de jazz, c’est en effet le « Rythme », qui anime la prosodie − et le swing, qui transforme la marche en danse. Quant à son amour pour la forêt, il prend alors un tour testamentaire dans un beau poème apaisé : « Il est une forêt sans borne où je voudrais/ M’enfoncer, en mourant, Loin de la médecine/ Qui m’impose pour vivre une foule d’extraits/ Chimiques. J’y prendrais tout doucement racine. »
C’est encore avec la liberté du promeneur que Jacques Réda, qui fut directeur de LaNouvelle Revue française (1987-1995), aura éparpillé les hommages aux nombreux écrivains et artistes contemporains qu’il admire, de Pierre Alechinsky à Pascal Quignard, de Charles-Albert Cingria à Cavafy, que ce soit dans La Sauvette (Verdier, 1995) ou dans les quatreLivres des reconnaissances (Fata Morgana, 1985, 1992, 2016 et 2021). Ainsi que dans Mes sept familles (Fario, 2022), où, de Jean Follain à Jean Tardieu, il brosse les portraits de sept poètes qui ont été ses amis. En effet, comme le suggère le titre d’un autre recueil, ils constituent autant d’autoportraits (Fata Morgana, 2010). « Car c’est toujours un peu de soi que l’on peint lorsque l’on tente de décrire les autres, ou de les deviner. Peut-être leur emprunte-t-on aussi de quoi flatter le portrait que l’on ébauche alors inconsciemment de soi-même. »
Lire un extrait sur le site des éditions Gallimard.
Monique Petillon(Collaboratrice du « Monde des livres »)