
Le rejet du RIP illustre une « procédure trop complexe qui empêche l’expression de la souveraineté populaire »
Le juriste, Bertrand Mathieu, ancien conseiller d’État, analyse le rejet de la deuxième demande de Référendum d’initiative partagée sur la réforme des retraites, par le Conseil constitutionnel le 3 mai. Il dénonce une procédure trop complexe qui empêche l’expression de la souveraineté populaire.
Bertrand Mathieu est professeur à l’École de droit de la Sorbonne-université Paris 1, ancien conseiller d’État et membre de la Commission de Venise du Conseil de l’Europe.
ARTICLE
«Faciliter le recours au référendum est aujourd’hui une nécessité démocratique»
Par Bertrand Mathieu FIGARO 4 mai 2023
Si la validation par le Conseil constitutionnel de la loi rectificative de financement de la sécurité sociale était attendue en ce qu’elle s’inscrit dans une jurisprudence traditionnellement trespectueuse des prérogatives que la Constitution reconnaît au gouvernement dans le cadre de la procédure législative, les deux décisions portant sur la proposition de loi ayant pour objet de soumettre à référendum l’interdiction de fixer l’âge de la retraite au-delà de 62 ans présentent un caractère plus intéressant et conduisent à s’interroger sur la procédure même du Référendum d’initiative partagée. Rappelons que cette procédure permet à un cinquième des membres du Parlement de déposer une proposition de loi référendaire portant, notamment, sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la Nation.
La proposition est soumise au contrôle du Conseil constitutionnel qui veille, en particulier, à ce que la proposition ait bien cet objet, qu’elle respecte la Constitution et qu’elle n’ait pas pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an. Si le Conseil constitutionnel donne son «feu vert», un processus de recueil des signatures des citoyens est engagé, il dure 9 mois et environ 4,8 millions de signatures sont requises. À supposer que ce chiffre soit atteint, le président de la République n’est obligé de soumettre la proposition au référendum que dans l’hypothèse où, dans un délai de six mois postérieurement à la validation par le Conseil constitutionnel des signatures, la proposition de loi n’a pas été examinée par les deux assemblées.
À lire aussiRéforme des retraites : le Conseil constitutionnel rejette une deuxième demande de référendum
Adoptée en 2008, lors de la réforme constitutionnelle initiée par le président Sarkozy, cette procédure référendaire ne constitue qu’une apparence de renforcement de la démocratie directe. D’abord les verrous sont présents à toutes les étapes, un nombre de signatures considérables (10% du corps électoral) et le fait qu’un simple examen de la proposition par les assemblées permette d’éviter le vote des citoyens par la voie référendaire. Ensuite, à cette course d’obstacles procédurale s’ajoute une jurisprudence particulièrement rigoureuse du Conseil constitutionnel dont les décisions rendues le 14 avril et le 3 mai (décision 2023-4 RIP et 2023-5 RIP) constituent une nouvelle illustration. Si l’une des propositions, visant à faire de l’exploitation des aéroports de Paris un service public national a franchi les grilles de la rue de Montpensier, sans cependant prospérer faute du nombre requis de signatures, trois autres ont été «retoquées» par le Conseil constitutionnel.
Le sort réservé en France à la procédure référendaire constitue une forme de déni de démocratie, alors même que le référendum fait incontestablement partie de l’ADN de la Ve République, tout du moins dans sa version originelle.Bertrand Mathieu
La première visant à garantir un accès universel à un service public hospitalier de qualité a été jugée contraire à la Constitution car elle contenait une disposition subordonnant à l’avis d’une commission l’exercice par le Premier ministre de son pouvoir réglementaire ; la seconde, qui visait à augmenter, pendant une durée limitée le niveau d’une imposition existante, a été censurée comme ne constituant pas une réforme relative à la politique économique de la Nation. S’agissant de la première proposition relative à la fixation de l’âge de la retraite à 62 ans, le Conseil a jugé que son objet ne visait qu’au maintien d’une disposition existante et qu’elle ne constituait donc pas une réforme. S’agissant de la seconde, qui complète la fixation de l’âge de la retraite à 62 ans par un dispositif fiscal visant à son financement il a considéré, dans le sens de sa jurisprudence précédente, qu’il ne s’agissait pas d’une réforme au sens de l’article 11 de la Constitution. Ainsi, non seulement la proposition ne peut contenir une disposition qui serait contraire à la Constitution, mais encore il doit s’agir d’une modification substantielle du droit existant à la date à laquelle le Conseil est saisi.
Au-delà des vicissitudes de cette procédure, le sort réservé en France à la procédure référendaire constitue une forme de déni de démocratie, alors même que le référendum fait incontestablement partie de l’ADN de la Ve République, tout du moins dans sa version originelle. Le référendum est en effet inscrit dans la Constitution comme une expression de la souveraineté nationale alternative à celle des représentants (article 3). Et pourtant, depuis plus de quinze ans, aucun référendum n’a été organisé, la Constitution a été quasiment systématiquement révisée par la voie exclusivement parlementaire, le Conseil constitutionnel a laissé entendre qu’il pourrait contrôler le recours du président de la République au référendum direct, c’est-à-dire sans vote parlementaire préalable, pour réviser la Constitution, alors même, qu’aussi contestable que puisse être cette procédure, aucune disposition constitutionnelle n’attribue au Conseil constitutionnel cette compétence, et enfin, le rejet par référendum du projet de Constitution européenne a été contourné par le vote d’une loi autorisant la ratification d’un traité similaire à celui auquel les Français s’étaient opposés.
Si un jour une réforme constitutionnelle est à l’ordre du jour, il conviendra de faciliter le recours au référendum, en imposant par exemple cette procédure pour toute révision constitutionnelle importante.Bertrand Mathieu
En réalité cette mise à l’écart de la procédure référendaire traduit la peur des présidents de la République successifs de voir leur responsabilité mise en cause et la méfiance des juges pour une procédure jugée, peut-être, trop démocratique et pas assez libérale. Pourtant, dans un contexte où la crise de la démocratie représentative tient notamment au fait que le vote est largement déconnecté de la décision politique, les élus ayant perdu l’essentiel de leurs pouvoirs au profit, notamment, d’instances supranationales, de juges, d’institutions financières indépendantes… le référendum a une vertu démocratique majeure, celle d’établir un lien direct entre le résultat d’un vote et la décision prise.
À lire aussiComment le référendum est tombé en désuétude
Si un jour une réforme constitutionnelle est à l’ordre du jour, il conviendra de faciliter le recours au référendum, en imposant par exemple cette procédure pour toute révision constitutionnelle importante et en réformant cette fameuse procédure du RIP. En ce sens, il conviendrait de prévoir que la proposition de loi ne peut porter sur un texte ayant fait l’objet d’un vote depuis moins d’un an, afin de ne pas faire de cette procédure une forme d’appel contre une loi votée par le parlement, de réduire à un dixième des parlementaires et à un, ou deux, millions de signatures les exigences relatives à l’initiative, de ne permettre aux assemblées de faire obstacle à la tenue du référendum qu’en se prononçant par un vote et enfin d’élargir le champ du référendum en supprimant le terme «réforme» à l’article 11 de la Constitution et en précisant seulement que la proposition de loi doit avoir un objet relatif à la politique économique ou social (et environnemental) de la Nation.
Le référendum est un outil démocratique, il permet de répondre à une crise politique, la question n’est pas de savoir s’il eut été pertinent d’y recourir s’agissant de la fixation de l’âge de la retraite mais de s’inquiéter de la frustration qui peut naître de l’espoir déçu d’une procédure en réalité impraticable.